
Il n'y a pas si longtemps, et pourtant c'était un autre temps, on disait de Michel Rocard qu'il était un homme politique du « parler vrai », du parler cash. Cette semaine, au micro de France Inter, le polytechnicien Jean-Marc Jancovici s'est peut-être dit qu'il était temps de « parler vrai » aux Français sur le climat, et peu importe les conséquences immédiates et les petites polémiques médiatiques.
C'est ainsi qu'il a expliqué qu'il serait nécessaire dans les prochaines années de limiter le nombre de vols d'avion dans une vie pour tout un chacun. Précisément, Jancovici lance le chiffre de 4 vols maximum pour des activités hors professionnelles. Tollé immédiat mais buzz assuré. Dans son viseur, le tourisme de masse, mais pas que. C'est toute la conception du voyage qu'il faut renouveler selon lui. Et pour les plus vieux, autant partir en Corrèze... Forcément, pour l'auditeur type d'Inter issu des CSP+ et de ces classes moyennes qui se sont développées après les années 1960, le choc est rude.
Ce n'est pourtant pas la première fois que Jean-Marc Jancovici met les pieds dans le plat. Depuis la création en 2010 du Shift project, ce think tank consacré à la nécessaire diminution des énergies fossiles, le polytechnicien est devenu un « bon client » des médias. Au point d'agréger autour de lui de nombreux « fans ». L'année dernière, son dernier livre s'est d'ailleurs très bien vendu (aux alentours des 100.000 exemplaires). Et les « shifters » comme ils s'appellent, ces bénévoles qui s'investissent d'une manière ou d'une autre dans l'action de ce laboratoire d'idées seraient près de 10.000 aujourd'hui. Pas mal de trentenaires sensibles à la question climatique, des jeunes ingénieurs... Jancovici a trouvé son public.
Au point de susciter l'intérêt et l'interrogation de nombreux responsables politiques. Que compte faire « Janco » dans les prochaines années ? Serait-il tenté comme l'économiste Gaël Giraud par le grand bain de la politique ? Du côté de Jancovici, ça travaille en tout cas. Le polytechnicien s'aide de nombreux groupes de travail dans lesquels toutes les bonnes volontés peuvent se retrouver. Les « shifters » font furieusement penser aux « helpers », ces « marcheurs » qui avaient rejoint Emmanuel Macron dès 2016. L'un d'entre-eux explique toutefois qu'il n'existe « pour le moment pas d'options concrètes sur 2027 ». Ajoutant : « Je pense qu'il veut peser dans le débat, mais de là à l'incarner... » Peser dans le débat : Jancovici s'y était essayé en 2022 en présentant, au nom du Shift Project un « Plan de transformation de l'économie française ». Avant de séduire, l'homme cherche donc d'abord à convaincre le plus grand nombre, à conscientiser les Français.
Et face aux urgences actuelles et à venir, Jean-Marc Jancovici n'a pas caché son scepticisme ces dernières années par l'efficacité du régime démocratique, craignant que ce dernier « ne survive pas à la fin des énergies fossiles ». Usant déjà de la provocation, il a ainsi estimé par le passé qu' « un système de type chinois » puisse être « un bon compromis » : « Pour lutter contre le changement climatique, il faut être capable d'imposer des efforts extrêmement significatifs et cela veut dire qu'il faut qu'on ait un pouvoir très fort pour être capable de faire respecter ces efforts ». Une chose est sûre : cette écologie punitive risque de se faire plus d'ennemis au final que d'amis.
Cette perspective d'un « pouvoir très fort » n'est vraiment pas du goût de Laurent Berger, le leader de la CFDT. Celui qui termine son mandat dans quelques jours expliquait cette semaine dans La Tribune qu'il était nécessaire au contraire d'associer un maximum de Français sur toutes les décisions prises : « Globalement, les années Macron auront été celles d'une gouvernance trop verticale alors que les problèmes du pays sont de plus en plus complexes comme la transition écologique qui nécessite d'associer davantage les corps intermédiaires ». Évoquant un « vice démocratique », Berger « attend toujours que l'exécutif remette en route le dialogue social ».
La gouvernance souhaitée par Laurent Berger semble donc située à l'opposé d'un polytechnicien comme Jancovici. C'est que ce leader syndical croit encore au collectif, et à la collectivité. Voilà pourquoi il ne croit pas à « l'homme ou la femme providentielle » ou « que la réponse soit individuelle ». À Bruno Jeudy qui lui demande s'il serait tenté par la politique, voire par une candidature à la présidentielle, sa réponse est sans équivoque : « Je ne veux pas faire de politique. Pas question de gêner la CFDT. Et puis, je n'ai pas le goût pour la politique. » Et de rappeler que « cette personnalisation du conflit est venue beaucoup [d'Emmanuel Macron] et sans doute aussi des médias ». C'est vrai : le président de la République a pensé que Berger était tenté par la présidentielle et cela expliquait son comportement à l'égard de l'exécutif. Emmanuel Macron pensera-t-il la même chose à propos de Jancovici ? Drôle d'époque où la politique se résume trop souvent au nombre de likes...