Coronavirus : les jeunes se vivent comme la génération sacrifiée de la crise

SONDAGE EXCLUSIF. La crise sanitaire est en train de voler la jeunesse de nos enfants. C'est la principale leçon de notre sondage exclusif IFOP pour La Tribune et Europe 1 que nous dévoilons ce lundi à Station F à l'occasion d'un événement intitulé "Partageons l'économie". La Tribune, qui fête cette année ses 35 ans, a demandé aux 18-30 ans leurs craintes et leurs espoirs. Bonne nouvelle, ils restent confiants dans l'avenir. Mais le choc de la Covid-19 bouleverse profondément leur entrée dans la vie et leur vision du monde.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

« J'ai conscience des sacrifices qui ont été demandés à notre jeunesse ces derniers mois. On sortira de cette crise en étant encore plus au rendez-vous de ce que nous leur devons. Je m'en porte garant. » Invité il y a une semaine à  s'exprimer devant des entrepreneurs à l'occasion de Bpifrance InnoGénération (BIG), Emmanuel Macron l'a reconnu. La jeunesse paye un très lourd tribut à la crise sanitaire. Et c'est bien ce que confirme le sondage exclusif Ifop pour La Tribune et Europe1 que nous dévoilons ce lundi à Station F à l'occasion d'un événement intitulé «  Partageons l'économie » (diffusion en live video sur latribune.fr ce lundi puis en Replay).

Dans cette enquête réalisée début octobre, intitulée « Le regard des jeunes Français à l'heure du Coronavirus : état d'esprit, place dans la société et impacts de la crise sanitaire » (1) , les symptômes d'un mal profond sont présents : 87% se disent d'accord avec l'affirmation que « ce sont les jeunes générations qui vont payer pendant des décennies la dette contractée au cours de la crise du coronavirus », 78% se plaignent de ne pas pouvoir vivre une vie sociale et affective normale, 66% s'estiment injustement accusés d'être responsables de la reprise de l'épidémie. N'en jetez plus, la France est au bord d'une crise, voire d'une guerre des générations. Une courte majorité, de 54%, pense même qu'à la faveur de cette crise sanitaire, les jeunes générations ont été sacrifiées au profit des Français les plus âgés. Dans le détail, le résultat est plus nuancé : il y a une égalité parfaite entre celles et ceux des 18-30 ans qui se disent « plutôt d'accord » ou « plutôt pas d'accord » (35% chaque).

« La crise de la Covid-19 bouleverse leur vie et les jeunes le vivent mal », observe Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop qui le souligne : à l'âge de l'insouciance, « on ne voit pas du tout d'insouciance dans leurs réponses ». Les jeunes sont certes un peu moins inquiets que la moyenne pour leur santé ou celle de leurs proches qui reste la crainte principale, à 40% (contre 53% pour tous les Français en août). Mais ils le sont beaucoup plus en ce qui concerne les conséquences économiques et sociales : la seconde crainte la plus citée est la conséquence de la crise sur l'emploi (35% contre 29% pour l'ensemble des Français), devant le risque pour les libertés publiques (25% contre 18%).

Clairement, la crise sanitaire devenue économique et sociale est en train de pourrir l'avenir de nos enfants tout en menaçant la vie de leurs parents. Entre 18 et 30 ans, c'est l'âge où l'on quitte le lycée et le nid familial pour construire sa vie et devoir le faire dans cette « société du sans contact » est très perturbant. Bien sûr, les générations de leurs grands-parents ont connu aussi la guerre et les privations mais le contraste est saisissant avec l'entrée dans la vie de leurs parents les « boomers ».

Protéger la vie ou protéger l'économie

Il est intéressant aussi de mesurer comment la crise sanitaire, en s'installant dans la durée, modifie les perceptions : dans l'arbitrage entre protéger la vie ou protéger l'économie, la jeunesse est très divisée. 51% donnent la priorité à la lutte contre la pandémie tandis que 49% attendent du gouvernement qu'il favorise prioritairement l'amélioration de la situation économique (dont à 55% les 25-29 ans). « Le sentiment de crise économique est si profond que 54% des jeunes vont jusqu'à penser qu'il faut favoriser l'emploi quitte à suspendre ou différer la transition écologique », souligne Frédéric Dabi. Un clivage politique se manifeste au sein de la jeunesse entre les sympathisants LR qui mettent à 66% l'économie devant le climat alors que 75% des sympathisants EELV restent convaincus que l'écologie doit primer. Fort heureusement, le plan de relance tente de faire les deux en fléchant 30 milliards vers la croissance verte.

Si les jeunes sont si conscients des enjeux économiques, c'est qu'ils le vivent personnellement : 24% ont eu l'expérience de l'interruption d'une formation depuis le début de la crise sanitaire dont 42% des lycéens et étudiants ; 21% ont connu l'annulation d'un stage dans des entreprises recourant massivement au télétravail et donc incapable d'accueillir et d'encadrer ces premières expériences professionnelles. Et 18% ont déjà connu un licenciement ou le non renouvellement d'un contrat.
Pour autant, « les jeunes français ne baissent pas les bras », relève Frédéric Dabi : « Ils restent majoritairement optimistes pour l'avenir (62%) et 59% pensent qu'ils vivront mieux qu'aujourd'hui dans dix ans (contre 46% lors d'une enquête de février) ». Touchés, mais pas coulés par la crise du coronavirus, la jeunesse ? « Tout dépend de quelle jeunesse on parle, reconnaît le DGA de l'Ifop, quand on fait une enquête sur les jeunes, on s'attache à mesurer en quoi ils sont en rupture, ou pas, avec la moyenne des Français ». A cet aulne, l'enquête nuance sérieusement l'analyse : si 22% restent confiants et enthousiastes, 21% se disent « révoltés » et « 32% » résignés. C'est la zone de danger que confirme ce sondage si on fait le parallèle avec le sentiment d'être une génération sacrifiée.

« Dans le détail, on relève aussi d'autres singularités : les jeunes femmes et les 25/30 ans sont moins optimistes que les garçons en général et les moins de 20 ans », explique Frédéric Dabi. La conscience du choc du coronavirus n'est pas identique au sein même de la jeunesse. « Ce clivage de genres se retrouve sur de plus en plus d'items dans nos enquêtes », souligne Frédéric Dabi, un effet de la présence plus forte dans le débat public des sujets de mixité, d'égalité homme-femme et de violences faites aux femmes. « Il y a 11 points d'écart entre les jeunes hommes et les jeunes femmes dans l'optimisme en l'avenir (66% contre 57%), ce qui  pose évidemment question à notre société», ajoute-il.

Si on regarde uniquement le négatif de la photo, d'ailleurs, il y a des points inquiétants sur l'état d'esprit de la jeunesse française : 38% sont pessimistes (c'est néanmoins moins que l'ensemble des Français, 56%), 18% pensent qu'ils vivront moins bien dans dix ans, et 56% pensent que la société ne leur accorde pas de place pour réussir leur vie professionnelle. Souvent majoritaire chez les sympathisants RN ou France Insoumise, chez les moins diplômés et dans les quartiers populaires, ce sentiment de désespérance sociale est aggravé par le coronavirus.

Qu'est-ce qu'une vie réussie ?

Pour les jeunes d'octobre 2020, une vie réussie, c'est avoir une famille heureuse (62% des réponses, en tête) et, en deuxième position, « avoir du temps libre pour profiter de la vie » (41%). La génération Covid sera à coup sûr une génération télétravail, dans le prolongement d'un changement de rapport de la génération Y et Z au « tripalium » et à l'entreprise. Etre « amoureux » ne vient qu'en cinquième position des réponses, et « faire une belle carrière professionnelle » vient en dernier.

Au chapitre des valeurs les plus positives selon eux, les jeunes ont soif de liberté (58% de réponses) mais plébiscitent aussi la solidarité (53%) et une valeur hier « de droite », le « mérite » (48%), à égalité, c'est le cas de le dire, avec « l'égalité » justement. Les jeunes d'aujourd'hui sont aussi plus « tolérants » que leurs parents (la lutte contre l'immigration clandestine ne vient qu'en quatorzième position de leur priorités. Les mots pour eux les négativement connotés sont « l'Etat », « l'ubérisation », « la religion » et, nouvel « opium du peuple ? », les « réseaux sociaux » rejetés à 50%, contre toute attente au regard de leur utilisation (en fait ce sont les vieux et les « gilets jaunes » qui sont sur Facebook désormais).

Cette jeunesse sacrifiée mais qui ne veut pas tout sacrifier pour réussir place au premier rang des priorités de l'action publique la santé, l'éducation, la sécurité et la lutte contre le terrorisme et le pouvoir d'achat. Curieusement, signe qu'elle fait mal son service après-vente, alors qu'elle vient de voter un plan de relance massif, l'Europe et l'Union européenne sont à la dernière place, tout comme la réduction des impôts ou de la dette publique. Comme quoi les jeunes qui devront financer la dette Covid ne sont pas pour le moment très préoccupés aujourd'hui de la voir s'envoler. Ou alors ils ont compris que les banques centrales vont maintenir des taux zéro pour très, très longtemps...

La dette climatique et la RSE

La génération des 18-30 ans est plus préoccupée par la dette climatique, qui vient en troisième priorité de l'action publique. Mais, comme on l'a vu, l'urgence économique et sociale prime pour la majorité d'entre eux qui cherchent en priorité un boulot, même si ils aimeraient bien que cela soit compatible avec le secours de la planète. A la demande de la Tribune, l'Ifop a aussi interrogé les jeunes sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Et là, surprise, les entreprises sont plutôt félicitées pour leurs efforts pour accompagner la transition écologique et s'y mettre. Il est vrai que les employeurs ont compris la soif de « sens » de cette jeunesse qui, influencée par la jeune activiste Greta Thunberg, angoisse devant la crise climatique.
La RSE est jugée utile à 41%, morale à 38%, accessible à 20% et efficace à 18%. Utile, voire indispensable : 85% des jeunes considèrent que les entreprises ont une responsabilité importante, sans se distinguer là de l'ensemble des Français. Mais attention au procès en com' ou de « green washing » : les jeunes sont vigilants sur ce point, ils estiment encore à 55% que la RSE est le plus souvent une démarche marketing pour s'acheter une image écologique et sociale : Patrick Pouyanné, qui veut faire de Total un champion des énergies renouvelables a encore du travail pour convaincre...
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(1) Enquête menée auprès d'un échantillon de 1017 personnes représentatif de la population française âgée de 18 à 29 ans. Entretiens par questionnaires auto-administrés en ligne du 2 au 6 octobre 2020.




Philippe Mabille
Commentaires 2
à écrit le 20/11/2020 à 10:48
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Génération sacrifiée ? Ceux qui ont entre 20 et 25 ans en 2020 seraient considérés comme "génération sacrifiée" ? J'aurai pensé que ceux qui avaient cet age en 1914 (1 millions de morts cinq ans de guerre) en 1940 ( 100 000 morts cinq ans de stala...

le 08/12/2020 à 17:07
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il faut lire tout l'article : " Bien sûr, les générations de leurs grands-parents ont connu aussi la guerre et les privations mais le contraste est saisissant avec l'entrée dans la vie de leurs parents les « boomers »."

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