Crèches : le système est « à bout de souffle », selon la rapporteure de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale

Le projet de rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les crèches, soumis à un vote ce lundi, fait le constat d'un système « à bout de souffle », selon sa rapporteure Sarah Tanzilli (députée Renaissance). La faute au modèle économique et au fonctionnement de ces établissements selon elle. Un avis que ne partage pas le vice-président de cette commission, William Martinet (LFI), qui dénonce les « effets néfastes des crèches privées lucratives ».
Selon le gouvernement, il manque 200.000 places d'accueil pour les tout-petits et des professionnels dans 49% des crèches. (photo d'illustration)
Selon le gouvernement, il manque 200.000 places d'accueil pour les tout-petits et des professionnels dans 49% des crèches. (photo d'illustration) (Crédits : Pixabay)

[Article publié le 27 mai 2024 à 9h59, mis à jour à 15h00] C'est ce lundi que le rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les crèches va être voté par cet organe, où siège l'ensemble des groupes au Palais Bourbon. Et le constat est sans appel.

« Complexité kafkaïenne, sous-financement chronique, insatisfaction des usagers et des personnels, multiplication des dérogations : le système d'accueil des jeunes enfants en crèche est à bout de souffle », a déclaré sa rapporteure, la députée Renaissance Sarah Tanzilli.

Pour rappel, la création de cette commission, chargée d'enquêter sur le modèle économique des crèches et la qualité d'accueil du jeune enfant, a été votée en novembre dernier par l'Assemblée nationale, à la demande de LFI malgré l'opposition de la droite et d'une large partie du camp présidentiel. L'initiative du parti de gauche se basait notamment sur les conclusions d'un rapport alarmant publié en avril 2023 par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), missionnée par le gouvernement après la mort d'un bébé de 11 mois dans une crèche privée du groupe People & Baby à Lyon en 2022. Les inspecteurs avaient relevé une qualité d'accueil « très disparate » dans le secteur et recueilli des témoignages dans le public et le privé de professionnels et de parents, décrivant des situations s'apparentant à de la maltraitance dans certains établissements. Deux livres-enquêtes parus en septembre - « Le prix du berceau », de Daphné Gastaldi et Mathieu Perisse, et « Babyzness », de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette - ont à nouveau mis le sujet sur la table, en jetant une lumière crue sur le mode de fonctionnement de certaines structures du secteur privé, où se joue une course au rendement au détriment des enfants.

Reste que le poste de président de cette commission est revenu à un député LR, Thibault Bazin, et celui de rapporteure à Sarah Tanzilli. Vice-président, le député LFI William Martinet a indiqué à la presse qu'il publierait un contre-rapport.

Lire aussiPetite enfance : pourquoi une telle pénurie de personnel dans les crèches en France ?

Mauvais modèle économique

Il ressort du rapport de la commission que les pouvoirs publics ont mis l'accent sur la quantité de places plutôt que la qualité d'accueil, pourtant essentielle quand « les neurosciences montrent que les 1.000 premiers jours de l'enfant sont déterminants dans son avenir », selon Sarah Tanzilli.

« Les travaux ont démontré que les défaillances identifiées n'étaient pas la conséquence de l'ouverture du secteur des crèches au secteur privé ou de l'influence des fonds d'investissement. C'est le modèle économique et les règles de fonctionnement des crèches qui ont contribué à établir un cercle vicieux de la défaillance », a précisé l'élue du Rhône à l'AFP.

Ce « cercle vicieux » s'est ensuite installé : face au manque de personnel, les pouvoirs publics ont « allégé les taux d'encadrement ». Le financement incite à « accueillir le plus d'enfants possible » dans une crèche. Cela dégrade les conditions de travail des professionnelles et les pousse à quitter le métier. Avec in fine moins de berceaux : 10.000 places sont « gelées » en France faute de personnel, explique Sarah Tanzilli. Pour la rapporteure, des problèmes liés à la qualité d'accueil s'observent partout, que ce soit dans le privé, dans le public ou l'associatif.

Débat sur le rôle des crèches privées

Un avis que ne partage pas William Martinet. Pour lui, au contraire, « les travaux ont fait la démonstration des effets néfastes des crèches privées lucratives » : 93% des 26 fermetures administratives de crèches ont eu lieu chez des gestionnaires privés lucratifs, a-t-il indiqué lors d'une conférence de presse jeudi dernier. « Une des révélations » des auditions est un « montage financier problématique » : certains groupes paient des loyers pour une partie de leurs bâtiments à des sociétés civiles immobilières qui appartiennent à leurs actionnaires, a-t-il dit à la presse.

Selon Sarah Tanzilli, les auditions ont montré que « les fonds d'investissement n'ont pas un modèle basé sur la rentabilité à court terme ou le versement de dividendes à leurs actionnaires ». « Le modèle économique de ces fonds inclut la qualité d'accueil pour pouvoir croître », observe-t-elle, soulignant les déboires du groupe privé People & Baby depuis la mort de l'enfant dans l'établissement lyonnais.

Actuellement, la France compte 460.000 places d'accueil en collectif, dont 50% relèvent des crèches publiques, 27% des crèches privées et 23% des crèches associatives. Les crèches privées ont fourni 90% des nouvelles places en dix ans. Il manque des professionnels dans 49% des crèches selon les estimations gouvernementales. Plus globalement, l'exécutif évoque un manque de 200.000 places d'accueil pour les tout-petits et s'est fixé pour objectif de les créer d'ici 2030.

« Le rapport démontre que le secteur privé n'est pas responsable de la dégradation de la qualité d'accueil et que l'ensemble des crèches ont besoin d'une reforme globale du subventionnement public », estime lundi la FFEC, la Fédération française des entreprises de crèches (privées).

Lire aussiProtection de l'enfance : pour une bien-traitance de l'enfant, de ses parents et des professionnels

Des pistes de solutions

Parmi les pistes envisagées par la rapporteure pour améliorer la situation : ramener le taux d'encadrement à un adulte pour 5 enfants (1 pour 6 actuellement) d'ici 2027, pour permettre aux professionnels de bien faire leur travail et attirer des vocations. « De belles promesses sans moyens pour augmenter les salaires et donc qui ne verront jamais le jour », grince William Martinet.

Passer de un adulte pour six enfants à un pour cinq équivaut à 25.000 professionnels supplémentaires, pour un coût d'un milliard d'euros par an, ou à fermer 70.000 places, explique à l'AFP Elsa Hervy, déléguée générale de la FFEC.

La rapporteure propose en outre de supprimer le mécanisme de réservation de berceaux par les employeurs, qui crée un « coupe-file » pour leurs employés. Dans une logique de service public de la Petite enfance, la commune doit devenir selon elle l'interlocuteur unique des parents, soutenue par un « versement petite enfance » imposé aux employeurs.

« Un nouvel impôt payé par tous les salariés », selon la FFEC, qui estime que cette mesure aboutirait à détruire 150.000 places de crèches actuellement financées par les réservations des employeurs.

Précédemment, le gouvernement a déjà promis un contrôle renforcé et « plus systématique et plus inopiné » des crèches par les centres de protection maternelle et infantile (PMI). En mars, il a aussi indiqué lancer une campagne de contrôles des grands groupes de crèches, comme l'avaient recommandé les inspecteurs de l'Igas dans leur rapport. Il a aussi annoncé une revalorisation de 100 à 150 euros mensuels des personnels de la petite enfance, une somme « non seulement insuffisante » mais « rien ne dit à ce stade qu'elle pourra être mise en œuvre, tout dépend des collectivités », déplore Cyrille Godfroid, cosecrétaire général du syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE).

(Avec AFP)

Commentaires 4
à écrit le 27/05/2024 à 16:31
Signaler
"où se joue une course au rendement au détriment des enfants." Repas rationnés, couches non changées, soins minutés, humiliations, gestes brusques voire violents, non-surveillance débouchant sur des accidents corporels... Puis ,course au rende...

à écrit le 27/05/2024 à 14:21
Signaler
Avoir des crèches fonctionnelles est un choix strictement politique. C'est de choix de donner aux femmes une certaines liberté de travail ou d'apprendre. Tous les pays ne font pas ce choix la France l'enterre en conscience. Avoir des crèches c...

à écrit le 27/05/2024 à 10:56
Signaler
"La rapporteure propose en outre de supprimer le mécanisme de réservation de berceaux par les employeurs, qui crée un « coupe-file » pour leurs employés." Ce peut être l'origine de certaines offres d'emploi non-pourvues dans la restauration et de l'e...

à écrit le 27/05/2024 à 10:06
Signaler
Ben vous voyez comme bien souvent je ne suis d'accord avec aucune de ces deux "analyses", il serait temps que les salaires à 5 chiffres descendent vivre avec les salaires à 3 chiffres pour voir comme la vie est réellement. Nous avons de moins en moin...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.