Protection de l’enfance : pour une bien-traitance de l’enfant, de ses parents et des professionnels

OPINION. Des soignants et professionnels de la protection de l’enfance appellent notamment à une meilleure prise en compte du rôle des parents dans les processus de soin et d’insertion.
Parmi les signataires, Frédéric Van der Borght, psychologue, thérapeute familiale, haptopsychothérapeute, directeur d’Aire de famille et Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, professeur à l’université de Mons, président de la Commission des 1000 premiers jours.
Parmi les signataires, Frédéric Van der Borght, psychologue, thérapeute familiale, haptopsychothérapeute, directeur d’Aire de famille et Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, professeur à l’université de Mons, président de la Commission des 1000 premiers jours. (Crédits : dr)

La protection de l'enfance traverse une crise très grave : burn out des professionnels, perte de sens, mesures non exécutées, explosion inquiétante du placement de bébés dès la sortie de maternité dans des pouponnières débordées... Larvée depuis plusieurs années, elle apparait enfin au grand jour. C'est en soi une excellente chose, car cela nous met au défi d'y répondre collectivement. Pour sauver un système à la dérive, le problème n'est pas d'abord une question de moyens financiers et humains, malgré la générosité et l'engagement de l'immense majorité des professionnels. Cela appelle davantage à un véritable changement de paradigme.

Il n'est pas cohérent de s'alarmer du grand nombre de mesures inexécutées par manque de place et de moyens alors que près de 50 % de placements coûteux pourraient être évités par une meilleure évaluation des situations et l'apport d'aides réellement appropriées (1).

La protection de l'enfance s'est construite sur un déni de la place des parents et des familles. Être « enfant de la DDASS », autrefois, c'était être un enfant sans famille, issu de parents morts, toxiques ou défaillants. Il a fallu attendre le rapport Bianco-Lamy et la loi de 1984 pour que la place des parents commence à être réhabilitée. Cette prise en compte est relativement récente et encore très fragile. Certains, en prenant appui sur des faits dramatiques, s'empressent de discréditer ce travail de soutien aux parents pour mieux protéger l'enfant. Le droit de vivre en famille impose de rechercher sans cesse un équilibre entre accompagnement des parents et protection de l'enfant.

Bien entendu, la plupart des abus, des maltraitances, des négligences surviennent dans le milieu familial puisque c'est là que les enfants vivent dans leur immense majorité. Cependant, en pourcentage relatif, un enfant a beaucoup plus de risques de subir des abus et des violences psychologiques ou physiques quand il est placé dans une institution ou une famille d'accueil. Une étude internationale récente parue dans The Lancet indique que le placement des enfants en dehors de leur milieu familial a un effet défavorable sur leur développement. Cette étude recommande de réorienter les fonds publics et privés vers des actions en protection de l'enfance centré sur un soutien préventif social, éducatif et thérapeutiques auprès de l'enfant et de sa famille de naissance.

Les abus, les négligences graves, les maltraitances sont des pathologies du morcellement, les conséquences de failles dans des systèmes familiaux mais aussi sociaux. Les causes des défaillances qui produisent des situations de violences et de maltraitances dont les enfants sont victimes sont multifactorielles et complexes. De fait, l'environnement social, affectif, médical, professionnel, qui entoure la famille, a un rôle déterminant dans la bien-traitance de l'enfant et dans la sécurisation de ses liens d'attachement affectifs.

Au nom du noble idéal de la lutte contre la maltraitance des enfants, la tentation est très forte pour que les parents - le « maillon le plus faible » de la « chaine des pouvoirs d'agir » -soient pris comme bouc émissaires.

Cette stratégie clivante et passionnelle déculpabilise à bon compte, évite de mobiliser le sentiment de responsabilité collective, qui implique une analyse plus globale et approfondie. Ainsi, trop souvent des parents sont accusés de maltraitance quand ils amènent à l'hôpital leur enfant porteur de symptômes qui pourraient laisser suspecter des maltraitances, alors qu'ils sont en fait liés à des maladies rares d'origine génétique (par exemple, l'ostéogenèse imparfaite à l'origine de fractures à répétition) ou liés à la prématurité, à une naissance traumatique. Sous couvert de principe de précaution, l'enfant se retrouve alors, à tort, placé en pouponnière et les parents sous le coup d'une mise en cause pénale, alors que la priorité aurait dû porter sur une investigation médicale plus approfondie et des soins adaptés.

Cette dérive répressive est alimentée par des positions dogmatiques « intégristes » qui revendiquent l'aura d'une expertise incontestable. Elle pousse à une attitude de suspicion a priori des familles, qui doit nous inquiéter. Plutôt que prévenir, soutenir et soigner, on punit et sanctionne, en créant souvent des traumatismes additionnels qui portent atteinte à la dignité de l'enfant et de ses parents.

Il ne s'agit nullement de nier les risques que des enfants peuvent rencontrer au sein de familles très dysfonctionnelles, mais pour apporter une protection et des soins adaptés, il est nécessaire d'évaluer la situation au sein d'une institution réunissant l'ensemble de la famille pendant un temps suffisamment long.

Lors des récentes émeutes, beaucoup ont stigmatisé les défaillances de l'autorité parentale et en particulier l'absence des pères. L'autorité des parents est première et essentielle pour l'enfant mais elle est aussi très fragile et vulnérable. Elle a besoin de l'appui et du soutien de l'autorité des institutions. En stigmatisant les pères et en considérant que l'importance de leur rôle ne serait que de « la tarte à la crème », on fragilise aussi l'autorité des mères qui se retrouvent bien démunies. L'expérience montre à travers le développement de centres parentaux (2)- qu'une forte protection institutionnelle du couple, incluant le père dès la période périnatale, a des effets très positifs sur l'établissement des premiers liens d'attachement affectif sécures de l'enfant.  Quand on va chercher les pères et qu'on reconnait leur place, ils sont là et sont souvent un appui précieux. Ainsi, une professionnelle d'une Cité du secours catholique témoigne lors d'une formation animée par l'association Aire de famille :

« Un enfant accueilli avec sa fratrie et sa mère dans leur établissement allait très mal. Il restait couché dans son lit et souffrait d'encoprésie. Son père, étiqueté comme potentiellement violent, n'était pas autorisé à résider dans l'établissement et résidait à une centaine de kilomètres. Ne sachant plus comment faire pour aider l'enfant, la professionnelle sent intuitivement qu'il faut faire appel au père, et dépassant son cadre habituel, elle s'autorise à réclamer avec insistance la présence de cet homme auprès de son fils. Le père arrive donc dès qu'il peut. Son arrivée produit un effet étonnant sur son fils : l'enfant sort de sa léthargie, se relève et tout joyeux de la venue de son papa parcourt toute l'institution en proclamant à qui veut l'entendre "mon père m'a sauvé !" ».

Peut-on construire une politique de protection de l'enfance durable sur la suspicion systématique des familles et sur la destruction des liens familiaux ? L'enfant est un être de relation et c'est en soutenant toutes les ressources positives de ses liens d'attachements qu'on renforcera les facteurs de protection et de résilience face aux abus et aux violences.

Plutôt que de lutter contre la maltraitance en faisant la « chasse aux monstres », il convient plutôt de coconstruire une politique de bientraitance, qui fasse trait d'union entre tous enfant, parents et professionnels.

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(1) La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme impose aux autorités, pour respecter le droit de vivre en famille, l'obligation positive de préserver le lien familial et de favoriser son développement fusse au moyen d'une assistance sociale ciblée (par ex CEDH, arrêt du 10 septembre 2019 Strand Lobben) Cette jurisprudence s'impose dans notre corpus juridique de référence.
(2) Frédéric Van der Borght (sous la direction de), Protection de l'enfance, le défi des centres parentaux Aire de famille, coll comprendre les personnes, éditions Chronique sociale, Lyon, 2023  www.airedefamille.org

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(*) Signataires :

  • Frédéric VAN DER BORGHT, psychologue, thérapeute familiale, haptopsychothérapeute, directeur d'Aire de famille,
  • Boris CYRULNIK, neuropsychiatre, professeur à l'université de Mons, président de la Commission des 1000 premiers jours,
  • Lise-Marie SCHAFFHAUSER, juriste, formatrice, animatrice du pole innovation de l'UNAPP (Union des Acteurs de Parrainage de Proximité), administratrice d'Aire de famille,
  • Didier HOUZEL, professeur honoraire de pédopsychiatrie à l'Université de Caen, membre titulaire de l'Association Psychanalytique de France, administrateur d'Aire de famille
  • Danielle RAPOPORT, psychologue, cofondatrice de « Bien-traitance, formations et recherches », administratrice d'Aire de Famille.

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Commentaire 1
à écrit le 29/12/2023 à 18:03
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"explosion inquiétante du placement de bébés dès la sortie de maternité dans des pouponnières débordées... " Afin d'éviter qu'ils soient maltraités dans la plupart des cas dès leurs naissances donc difficile de contredire là justice, c'est soit en am...

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