Petite enfance : pourquoi une telle pénurie de personnel dans les crèches en France ?

Entre le manque de place en crèches et les scandales de maltraitance, le milieu de la petite enfance est au cœur d’une crise qui met au jour, en cette rentrée, la pénurie importante de professionnels. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Maxime Heuze
Les professionnels des crèches alertent sur la dégradation de leurs conditions de travail. (Image d'illustration d'une manifestation à Perpignant contre la privatisation d'une crèche)
Les professionnels des crèches alertent sur la dégradation de leurs conditions de travail. (Image d'illustration d'une manifestation à Perpignant contre la privatisation d'une crèche) (Crédits : Reuters)

La rentrée est déjà bien entamée mais pour certains jeunes parents, la place en crèche reste toujours introuvable. Pour Mathieu, un Parisien de 36 ans, la situation s'apaise enfin, après... sept mois de galère. « Mon deuxième enfant est né en octobre 2022 et nous avons demandé une place dans la crèche pour notre premier, pour le mois de janvier 2023. Mais dès le mois de novembre, nous avons appris que nous n'aurions pas de place », explique à La Tribune le jeune papa. Paniqué, ce dernier finit par trouver une place en février dans une crèche associative nouvellement ouverte. « Mais cette crèche était loin, à 25 minutes de chez moi donc nous avons dû nous organiser avec ma femme pour que chacun emmène un enfant chaque jour », détaille-t-il, avant de trouver une place dans la crèche de son premier enfant en juin 2023, après une année éreintante.

Et son cas n'est pas isolé. Les établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) proposaient 471.000 places en France en 2019. Mais en décembre 2022, le gouvernement estimait à 200.000, le nombre de places manquantes pour répondre à la demande. A cette situation de manque chronique de places disponibles, s'ajoute maintenant de récents scandales de maltraitance d'enfant qui ont même poussé, cette semaine, La France insoumise à demander la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance dans les crèches privées suite à la parution d'un rapport accablant de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), en mars, et de deux livres-enquêtes (Le prix du Berceau et Babyzness) sur les mauvaises pratiques du secteur. Une situation qui a choqué l'opinion publique, rappelant les cas de maltraitance dans les Ehpad, et qui, comme dans ce précédent scandale, s'explique en grande partie par une pénurie de personnels.

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Une crèche sur deux manquerait de personnel

« Il manque 10.000 professionnels actuellement en France, c'est-à-dire qu'une crèche sur deux n'a pas assez de personnel et une crèche sur dix manque d'une directrice ou d'un directeur », alerte Elsa Hervy Déléguée générale de la Fédération française entreprises de crèches (FFEC) en prenant pour base une enquête de la Caisse national d'allocations familiales de juillet 2022.

La faute à un « baby-boom » post-Covid, mais aussi, selon la fédération, à une tendance croissante des parents à faire garder leurs enfants peu après leur naissance pour limiter le temps de congé parental, souvent jugé trop faiblement rémunéré par ces derniers. Dans le même temps, le nombre d'encadrants, lui n'a pas suivi cette évolution d'après les organismes d'accueil. « Par manque de professionnels, des structures ont été obligées de fermer des lits ces dernières années et donc de refuser d'accueillir de nouveaux enfants », regrette Véronique Escames, cosecrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE).

Manque de formations et mauvaises conditions de travail

Des employés de crèches de plus en plus rares, à cause de conditions de travail trop difficiles pour une rémunération « à peine au-dessus du Smic », rappelle la syndicaliste. A l'origine de ces rémunération, viennent les modes de financements des établissements publics (gérés par les mairies et qui concentrent 60% des places) d'un côté, et des crèches associatives et privées de l'autre (qui prennent chacune 20% de parts de marché). Toutes, où presque, se financent en demandant de l'argent aux parents et des subventions à l'Etat et aux mairies. Mais ces derniers « ont des budgets de plus en plus serrés » regrette Elsa Hervy, ce qui ne permet pas, selon elle, une revalorisation de paiement des employés.

Et au delà du salaire, le manque de bras pousse de nombreux établissement à confier six enfants à un seul adulte, le taux maximal autorisé. « C'est très intense avec des enfants qui parfois ne marchent pas », ajoute la professionnelle de la petite enfance qui précise que « nous sortons de la crèche usés ».

Des conditions qui ont provoqué, après la fermeture des établissements pendant les confinements, une fuite de nombreux auxiliaires de puériculture et d'accompagnateurs -qui représentent 60% des effectifs des crèches- vers les hôpitaux et qui ont même poussé certains « à quitter le secteur de la petite enfance », affirme Véronique Escames, enclenchant un cercle vicieux de la précarisation du secteur.

Il y a donc urgence à remplacer les départs, alertent les professionnels de la petite enfance. Et c'est là où le bât blesse.

« Il y a un vrai problème de formation de professionnels, et cela fait dix ans que nous alertons sur le problème », affirme Elsa Hervy à La Tribune.

Selon le rapport de l'Igas, entre 2011 et 2022, le nombre de places en crèches a augmenté de 31% tandis que, dans le même temps, le nombre de nouveaux auxiliaires de puériculture n'a, lui, crû que de 20% et celui des éducateurs de jeunes enfants -qui occupent les postes de direction- de 7%.

Les réponses tardives du gouvernement

Conscient de l'impasse vers laquelle le secteur se dirige, l'Etat autorise, depuis 2000, les crèches à recruter des accompagnateurs n'ayant aucune formation, une dérogation encadrée à 15% maximum des effectifs en 2022. Une fausse bonne idée pour Véronique Escames qui explique « qu'il est demandé aux professionnels déjà sur le terrain de les former ce qui est impossible étant donné que nous sommes déjà surchargées ».

Finalement, après les scandales de maltraitance révélés cet été « il semble que nous soyons enfin entendues », tient à nuancer la cosecrétaire générale du syndicat de la petite enfance. Fin juillet, Aurore Bergé, la ministre des solidarités et des familles a annoncé vouloir raccourcir la durée du congé parental et mieux l'indemniser pour inciter plus de parents à garder leurs enfants. Et début septembre, cette dernière a ajouté vouloir renforcer la régulation et les contrôles, notamment des crèches privées pointées du doigt dans les livres, et surtout abaisser le taux d'encadrement à un adulte pour cinq enfants pour améliorer les conditions de garde.

Encore faudra-t-il trouver les professionnels pour encadrer ces jeunes enfants. Si la FFEC insiste sur la nécessité de renforcer le nombre de places en formation -une compétence en partie du ressort des régions- le SNPPE, lui, pointe du doigt la question des salaires.

« Cela passera par une revalorisation salariale d'au moins 350 euros par mois, permettant aux professionnels des crèches d'arriver au salaire médian français », affirme Véronique Escames.

Une solution difficile à entendre pour le gouvernement -qui finance en grande partie les crèches publiques, associatives et privées - et se trouve en pleine quête d'économies.

Maxime Heuze
Commentaires 10
à écrit le 28/09/2023 à 18:04
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Faut se les fader les marmots... avec ou sans papier d'alu...

à écrit le 28/09/2023 à 15:30
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Avoir des gosses c'est coûteux donc ceux qui n'ont pas les moyens de s'en occuper devraient s'abstenir d'en avoir . Quand on a les moyens de ne rouler qu'en Peugeot ou Renault diesel on n'achète pas une BMW Serie7🤔

à écrit le 28/09/2023 à 13:39
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C'est le même processus que pour les Ehpad et les services d'aide à domicile engagées il y a 25 et 15 ans : les privatisations des secteurs sociaux où médicaux sociaux aboutissent à la dégradation des conditions de travail et de la qualité du service...

le 28/09/2023 à 14:02
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@Dythur. Formidablement résumé👏👍

le 28/09/2023 à 16:22
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Pénurie de personnel, ça me fait bien rire....Ma fille a obtenu son diplôme d'auxiliaire puériculture en mai 2022 et depuis elle n'a que des postes en remplacement, trop jeune , pas assez d'expérience....pour cela il faudrait qu'elle trouve un poste ...

à écrit le 28/09/2023 à 10:57
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La raison? C'est plus rentable de s'occuper des vieux; demandez à Orpéa! La maltraitance est aussi moins "criante".

à écrit le 28/09/2023 à 9:39
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Bah, salaire bas, exigences élevées, mauvaises condition de travail, des enfants qui braillement à longueur de journée sauf pendant la sieste, faut être particulièrement résistant psychologiquement... c'est digne d'un combat de haute intensité, 240j ...

le 10/10/2023 à 16:48
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Tout à fait d'accord, surtout quand on sait combien les enfants d'aujourd'hui sont de plus en plus indisciplinés, compte tenu de l'application de plus en plus généralisée de l' "éducation positive".

à écrit le 28/09/2023 à 9:38
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Bah, salaire bas, exigences élevées, mauvaises condition de travail, des enfants qui braillement à longueur de journée sauf pendant la sieste, faut être particulièrement résistant psychologiquement... c'est digne d'un combat de haute intensité, 240j ...

à écrit le 28/09/2023 à 9:05
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C'est en effet une très bonne question vu que trouver des places en crèche devient même impossible même pour les couples à faibles revenus obligés du coup d'aller chercher une nounou beaucoup plus chère. Maintenant nous voyons bien que la dictature f...

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