Crise du logement : « Il n'existe pas de solution miracle » (Olivier Sichel, CDC-Banque des territoires)

GRAND ENTRETIEN - Directeur général de la Banque des territoires au sein de la Caisse des Dépôts depuis son lancement en 2018, Olivier Sichel en tire le bilan en exclusivité pour La Tribune. En cinq ans, l'entité a déployé près de 79 milliards d'euros de prêts, d'investissements et de subventions en ingénierie pour ses clients élus locaux, bailleurs sociaux et professions juridiques. Des dispositifs appelés à se pérenniser au lendemain de la reconduction d'Éric Lombard à la tête de la CDC et de l'entrée au capital d'Orpea. Sans oublier le chantier du financement du nouveau nucléaire.
Olivier Sichel est directeur général délégué de la Caisse des Dépôts depuis mars 2020 et directeur de la Banque des territoires depuis le 30 mai 2018.
Olivier Sichel est directeur général délégué de la Caisse des Dépôts depuis mars 2020 et directeur de la Banque des territoires depuis le 30 mai 2018. (Crédits : La Tribune)

LA TRIBUNE - La Banque des territoires s'apprête à fêter ses 5 ans, le 30 mai prochain. Quel bilan tirez-vous de son action ?

OLIVIER SICHEL - Avant de lancer la Banque des territoires au sein de la Caisse des Dépôts, nos trois clients - les élus locaux, les bailleurs sociaux et les professions juridiques - nous faisaient part de trois préoccupations : nous étions trop lointains - tout se décidait à Paris -, trop compliqués - entre la direction des prêts, de l'investissement, le conseil, ils nous disaient « On n'y comprend rien » -, et trop lents.

Aujourd'hui, nous sommes vraiment organisés dans la proximité en donnant le pouvoir aux directions régionales. Ces dernières représentent 90% des décisions de prêt et 50% des décisions d'investissement contre... 0% avant 2018.

Quid des 10% et 50% restants ?

Ce sont des questions de seuil. Pour les 10% de décisions de prêts qui remontent à Paris, il peut s'agir des 150 millions d'euros prêtés à Verkor pour son usine de batteries bas carbone à Dunkerque ou d'un prêt pour le CDG-Express. Pour les 50% de décisions d'investissement qui restent au national, cela concerne les projets immobiliers de plus ou moins 15 millions d'euros où nous pouvons apporter 2 millions, soit 20-30% de l'enveloppe globale. Ce sont des hôtels, des incubateurs, une rénovation en cœur de ville...

« Trop compliqués ». Quels gages de simplicité avez-vous apportés ?

La Banque des territoires est une marque unique qui regroupe tous les leviers du prêt, de l'investissement et de l'ingénierie, à laquelle sont adossées deux filiales : CDC Habitat pour le logement, et SCET pour le conseil. Dans les territoires, il n'y a qu'une seule porte d'entrée qui assemble les solutions.

« Trop lents » ? Avez-vous accéléré ?

Avant, la Caisse des Dépôts investissait 600 millions d'euros par an dans les territoires. Maintenant, c'est 2 milliards. Autrement dit, nous allons trois fois plus vite. Le site de la Banque des territoires est une plateforme omnicanal où nos clients peuvent faire leur demande en ligne, suivre l'état de l'instruction et vérifier les échéanciers. Ce sont mes origines. [Olivier Sichel a été pdg d'Alapage.com, pdg de Wanadoo et cadre dirigeant chez Orange entre 2000 et 2006, Ndlr].

S'il fallait donner un chiffre pour résumer ces 5 dernières années, quel serait-il ?

Nous avons apporté 79 milliards d'euros de prêts, d'investissements et de subventions en ingénierie dans quatre domaines d'intervention. Nous avons notamment oeuvré à rendre les territoires plus inclusifs avec 260.000 logements sociaux financés et 19.000 places financées en Ehpad. Nous n'avons pas attendu le livre Les fossoyeurs pour en financer, tant est si bien qu'aujourd'hui nous avons 8 milliards d'euros d'encours sur des Ehpad publics.

Vous vous dites l'avocat des territoires durables. Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?

Là non plus, nous n'avons pas attendu la crise de l'énergie pour développer les énergies nouvelles renouvelables (EnR). Chaque année, nous finançons près de 20% de la capacité d'EnR additionnelle. En cinq ans, c'est près de 3.600 mégawatts, soit l'équivalent de la centrale de Tricastin. Par exemple, à Bordeaux, nous avons financé la centrale photovoltaïque de Labarde sur une ancienne décharge avec le producteur d'EnR JPEE. Nous sommes également les pionniers de l'éolien offshore, comme à Noirmoutier.

Les projets de loi d'accélération des énergies renouvelables et du nucléaire vous poussent-elles encore plus en ce sens ?

Dès 2020, nous avons engagé un plan Climat de 40 milliards d'euros dont 20 milliards de la Bpi qui finance la décarbonation des aciéries et cimenteries et leurs processus d'innovation comme la décarbonation par l'hydrogène. Par exemple, Bpi est entrée au capital de Verkor quand la Banque des territoires aide à l'installation de l'usine et à son raccordement en infrastructures routières et énergétiques. Plus généralement, les 20 milliards d'euros du plan climat affecté à la Banque des territoires servent à la rénovation des écoles, telle qu'annoncée par le président de la République, mais aussi à investir dans les énergies renouvelables.

Et dans EDF ? Où en sont les négociations avec l'Etat ?

Nous l'avons dit : nous pouvons financer grâce au livret A une partie du projet d'EDF qui s'élève à 70 milliards d'euros à échéance 2050. Cette somme sera prise en partie par le marché sur des périodes courtes de 15-20-25 ans, quand notre fonds d'épargne pourrait intervenir à hauteur de 20 milliards d'euros sur 30-35-40 ans. Mais, je vous rassure : la vocation première du Livret A reste l'accompagnement des bailleurs sociaux ainsi que des collectivités, notamment pour les constructions ou la rénovation des logements et des bâtiments publics. Ou encore, à l'heure du « plan vélo », dans les mobilités avec le développement des pistes cyclables ou des infrastructures de recharge.

Mais comprenez-vous que des écologistes, par exemple, n'aient pas envie que leur épargne finance le nucléaire ?

Sur cette question démocratique, c'est le Parlement qui vote une programmation pluriannuelle de l'énergie cet automne. Ensuite, c'est le ministre de l'Economie et des Finances qui décide de l'emploi de notre fonds d'épargne. Mais si vous considérez que nous avons collecté 30 milliards d'euros de Livret A depuis janvier 2023, nous pourrons continuer à prêter 10 milliards d'euros aux bailleurs sociaux et aux élus locaux. Il n'y aura aucun effet d'éviction.

Serez-vous également au rendez-vous des « Systèmes express de réseaux métropolitains », rebaptisés « RER métropolitains » par le président Macron, et les 100 milliards d'euros pour le ferroviaire annoncés par l'exécutif ?

Nous regardons, en effet, s'il n'y a pas de montage possible avec la Société du Grand Paris qui va co-piloter le dispositif. Rien qu'en 2022, nous avons prêté pas loin d'un milliard d'euros à la SGP. Plus généralement, la transformation écologique des territoires va nécessiter des investissements de long-terme. La Banque des territoires constitue une vraie force pour l'économie française par rapport à d'autres pays qui ne peuvent pas porter de la dette longue.

La fibre optique fait l'objet, actuellement, d'une vive passe d'armes entre les opérateurs, le Sénat et le gouvernement. Le pari du plan très haut débit sera-t-il tenu pour 2025 ?

C'est tout l'objet de notre programme « Territoires plus connectés ». Nous avons installé huit millions de fibres optiques en cinq ans, dont 160.000 prises raccordées en avril. Nous atteindrons l'objectif de dix millions de fibres optiques en 2025.

Qu'entendez-vous enfin par « territoires plus attractifs » ? Serait-ce « Action Cœur de ville 1 » (2018-2022) ?

Avec le déploiement du programme « Action Cœur de ville » aux quatre coins du pays, nous avons accompagné plus de 4.000 projets dans 234 villes moyennes. En termes d'attractivité, nous avons même un indicateur indiscutable : la reprise de l'immobilier et l'arrêt de la chute du prix du mètre carré. Bonne nouvelle : le prix du m² est reparti, même si, avouons-le, le Covid nous a aidés.

En juillet 2022, les sénateurs n'ont pas été tendres dans leur bilan de cette première édition...

Leur approche s'est limitée à compter le nombre de subventions. C'est une vision très réductrice de l'action territoriale que nous menons. Quand nous intervenons sur une commune comme Angoulême, ville du dessin animé et de l'image, nous travaillons sur de nouveaux locaux pour le festival de la BD, du foncier pour du logement et des écoles. Idem à Vichy qui parie sur le thermalisme pour relancer le tourisme ou à Dieppe qui mise sur la rénovation industrielle. Chaque fois, il y a une cohérence de projet spécifique.

Dès le congrès des maires de novembre dernier, vous avez annoncé votre participation à « Action Cœur de ville 2 » prévu pour 2023-2026 avec 700 millions d'euros de prêts, 500 d'investissements en fonds propres et 90 de subventions en ingénierie, mais l'organisme paritaire Action Logement peine à sortir le chéquier depuis sa ponction de 300 millions d'euros dans la dernière loi de finances...

Depuis que l'Insee a considéré qu'Action Logement était une administration publique, cela a créé un gros contentieux avec le gouvernement. Ce sujet n'est toujours pas traité, mais les maires n'attendent pas le signal gouvernemental pour se lancer, étant donné qu'ils sont à mi-mandat.

Sur le logement, les conclusions du conseil national de la refondation viennent d'être reportées alors qu'elles sont très attendues. Ne va-t-on pas assister, tôt ou tard, à des « gilets jaunes » de l'habitat ?

Lors du premier confinement, nous avons volé au secours du logement. La Banque des territoires et CDC Habitat avaient lancé un appel à manifestation d'intérêt visant à produire 40.000 logements neufs. A l'époque, les promoteurs avaient salué cette décision. Aujourd'hui, face au retour des difficultés dans le logement, la CDC envisage à nouveau une telle intervention.

Sauf que cela ne répond pas aux problèmes structurels...

La crise est effectivement bien plus grave et reste extrêmement compliquée à résoudre. Il y a une crise de l'offre, entre la raréfaction du foncier, l'inflation des coûts de construction et les contraintes liées à l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) des sols. Les maires font face à toutes ces difficultés, et ont du mal à délivrer des permis. Nous essayons de les accompagner, mais il n'existe pas de solution miracle.

Ne faut-il pas encadrer les prix du foncier, comme le recommandait déjà le député Lagleize en 2019, la commission Rebsamen en 2021 et le soulignent au moins deux rapports du CNR Logement ?

Je n'ai pas d'avis là-dessus, d'autant qu'il existe aussi une crise de la demande. Avec la remontée des taux, se pose un double problème de solvabilité des ménages et d'offres de prêt qui ne passent plus.

Une crise incompatible avec votre modèle de finance patiente et utile ?

En cinq ans, nous avons créé un écosystème financier très original qui a placé la proximité au cœur de la valeur. Nous sommes au plus proche du terrain pour coller au mieux aux situations locales et s'adapter à leurs spécificités.

Récemment, le directeur général de la CDC Éric Lombard, qui vient d'être renouvelé par le chef de l'Etat et les parlementaires, vous a demandé de conduire le projet « Vision groupe ».  Qu'est-ce que cela veut dire, précisément ?

Le cœur de notre ambition, c'est la transformation écologique, la cohésion sociale et territoriale ainsi que la souveraineté économique. « Vision Groupe » c'est la vision collective que nous portons avec l'ensemble des filiales du groupe pour répondre chacun dans nos missions respectives à ces grands enjeux de société.

Du côté de la Banque des territoires, cela signifie que nous n'intervenons pas trop dans les métropoles, sauf dans les quartiers politique de la ville, mais que nous travaillons dans les villes moyennes et les petites villes - 16.000 dans le programme « Petites villes de demain ». Chacune rencontre des difficultés différentes. A Honfleur, 5ème ville touristique de France qui accueille chaque année 4 millions de touristes, le maire se demande où garer les cars et s'il faut refaire la circulation. A Joigny, grand brûlé de la désindustrialisation, les départs successifs d'un régiment, d'un tribunal et d'un centre des finances publiques, ont mis les problèmes bout à bout, mais heureusement, nous sommes là pour les résoudre !

Pour finir, pourquoi la Caisse des dépôts qui est déjà présente dans les Ephad publics a-t-elle décidé d'entrer au capital du nouvel Orpea ?

Nous avons 8 milliards d'encours sur les Ehpad publics car c'est une activité essentielle pour la cohésion sociale qui a besoin d'un capital patient. Nous sommes entrés dans Orpéa dans l'intérêt des 270.000 résidents dans une entreprise en situation financière extrêmement grave. Notre population vieillit. Aussi venir au secours du leader du secteur nous a paru une bonne idée, ne serait-ce que pour l'attractivité des métiers et le maintien des compétences. Nous voulons, en effet, en faire un nouveau référentiel de pratique.

Sauf que la rentabilité va baisser pour les actionnaires...

Effectivement, nous ne pouvons pas maintenir un taux de rentabilité de 26%. C'était sans doute trop.

De combien sera-t-il demain ?

La nouvelle cible a été fixée par le management à 20%. C'est nécessaire et raisonnable pour que le nouvel Orpea se développe et puisse investir. De même, nous allons abaisser progressivement le taux de détention de l'immobilier actuellement de 45% pour recentrer la société sur son métier : l'exploitation des EHpad.

Aux côtés de CNP, participation stratégique du groupe, pourquoi êtes-vous allés chercher la Maif et la Mascf ?

En faisant entrer la MACSF, la mutuelle des aides-soignants, nous voulons repartir d'une belle façon en adressant un message aux salariés qui ont souffert dans cette affaire.

Quitte à vous mettre à dos les petits actionnaires ?

Les administrateurs judiciaires font actuellement le tour des parties prenantes : les banques, les créanciers, l'Etat, l'Urssaf et les actionnaires... Soit dit en passant, même si ces derniers votent contre ce nouvel actionnariat, la restructuration se fera quand même, en raison des nouvelles règles des faillites dans le cadre de la directive européenne transposée dans la loi Pacte.

N'est-ce pas une nationalisation forcée ou du moins qui ne dit pas son mot ?

C'est un peu excessif de dire cela. A la fin du sauvetage, le groupe composé de la CDC, la CNP et de Maif et MACSF ne détiendra que 50,5% des parts du nouvel Orpea. Sauf à considérer que le mutualisme est public, nous restons donc dans l'univers du privé avec un capital en partie public.

Commentaires 6
à écrit le 10/05/2023 à 11:38
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Il n'y a rien à faire pour enrayer la dégringolade immobilière aussi bien privée que sociale. Depuis 10 à 15 ans aucune nouveauté n'est venue modifier les données des années 80 en matière d'urbanisme, de construction de logements. On vit sur de vieil...

à écrit le 10/05/2023 à 9:40
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l'ettat francais est un pompier pyromane.....il seme un bazar sans nom a tous les etages du logement, puis explique qu'il faut des solutions pour resoudre les pbs qu'il vient de creer volontairement! peut etre que , si on veut regler le pb, il faut v...

à écrit le 09/05/2023 à 14:44
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C'est pénible cette référence permanente à une "crise du logement". La France a construit 471 000 logements en 2021, d'après le Deloitte Property Index 2022 (seulement 310 000 en Allemagne ou 175 000 en Angleterre). Alors que la demande potentiel...

le 09/05/2023 à 15:38
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c est sur qu a moyen terme il n y a pas de pb car les boomers vont commencer a deceder et liberer de la place. Mais actuellement le probleme est ailleurs. on a eut une politique du logement cher (en partie pour des raisons electorales car ca distribu...

le 09/05/2023 à 22:54
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Il y a crise car il y a tendance à construire les logements là où il n'y a pas de besoin et vice versa, le problème est donc une mauvaise allocation des ressources et là, on se heurte à des problèmes politiques, encourager l'inflation immobilière ét...

à écrit le 09/05/2023 à 14:34
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"Crise du logement : « Il n'existe pas de solution miracle »" On pourrait peut être commencer par définir une vraie politique qui organise et régule un tantinet le bazar..

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