Crise du logement : natalité, emploi... des répercussions sans fin

L’effondrement de la filière pèse sur de nombreux autres domaines.
De nouvelles constructions dans le quartier de Port-Marianne à Montpellier.
De nouvelles constructions dans le quartier de Port-Marianne à Montpellier. (Crédits : Guillaume Bonnefont)

Dégringolade inattendue des transactions dans l'habitat ancien, chute vertigineuse de la construction neuve, remontée spectaculaire des taux d'intérêt en quelques mois, plongeon des prêts accordés aux particuliers : jamais la France n'avait connu une telle crise du logement depuis l'après-guerre. Un effondrement lourd de conséquences sur la santé économique et financière du pays. L'objectif du plein-emploi voulu par le président de la République, l'impératif de la réindustrialisation avec ses contraintes de mobilité professionnelle, la baisse de la natalité... De nombreux domaines sont concernés. Décryptage.

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Le casse-tête de la réindustrialisation sans logements

Créer 40 000 emplois industriels nets d'ici à 2030, telle est l'ambition du gouvernement depuis la promulgation de la loi relative à l'industrie verte. Encore faut-il loger les équipes concernées, dont 20 000 rien qu'à Dunkerque, fief de l'ex-ministre du Logement. Patrice Vergriete compte ainsi multiplier par 2,5 le nombre de constructions neuves chaque année, pour disposer de 11 500 logements supplémentaires d'ici à 2033. Comment ? En transformant des parkings, en réhabilitant des friches portuaires ou de bureaux, en construisant dans des « dents creuses » - un espace non construit entouré de parcelles bâties -, sur des terrains délaissés, ou même au-dessus d'un musée.

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Dans la « vallée des batteries » des Hauts-de-France, le site Automotive Cells Company (ACC) de Billy-Berclau est censé accueillir 2 000 salariés d'ici à 2030. Sauf que, dans les communes environnantes, les constructions se font de plus en plus rares. « Structurellement, nous avons la capacité d'accueillir les travailleurs, mais conjoncturellement cela pourrait être difficile car nous voyons des projets de construction prendre du retard », admet Olivier Pecqueur, directeur de l'habitat de l'agglomération de Béthune.

Les élus locaux ne sont de surcroît plus incités à délivrer des permis de construire, compte tenu de la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) qui vise à réduire de moitié la consommation foncière d'ici à 2031. Y compris dans les villages. Les maires ruraux demandent un « plan Marshall » de la réhabilitation des bourgs anciens et des logements sociaux. Autrement dit, des moyens pour transformer des bâtiments agricoles obsolètes.

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Les collectivités en manque de recettes fiscales

Tout logement vendu est synonyme de recettes pour les collectivités territoriales : lorsque l'acheteur d'un bien paie des « frais de notaire », il s'acquitte en fait de droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Cet impôt comprend deux taxes : la taxe départementale de publicité foncière ou du droit d'enregistrement, ainsi que la taxe communale additionnelle à la taxe départementale.

L'effondrement du nombre de transactions immobilières entraîne donc une chute des recettes pour les élus. Selon l'Assemblée des départements de France (ADF), le retournement du marché en 2023 a provoqué en moyenne une chute de 23 % des DMTO, alors que ces derniers représentent 20 % des ressources des conseils départementaux.

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À Paris, qui a les compétences à la fois d'une commune et d'un département, le volume des ventes de logements anciens a baissé de 28 % l'année dernière. Si la ville s'attend malgré tout à une recette de droits de mutation à titre onéreux de 1,45 milliard d'euros pour 2023, elle restera néanmoins inférieure de 295 millions à celle de 2022. Paul Simondon, l'adjoint (PS) d'Anne Hidalgo chargé des finances, demeure pourtant optimiste : il prévoit 1,5 milliard de recettes de DMTO pour 2024.

« Le bâtiment génère une très grande partie de la fiscalité locale et le secteur du logement y contribue, pointe de son côté Yannick Borde, président du réseau Procivis et maire (Horizons) de Saint-Berthevin (Mayenne). Mais les maires qui souhaitent du développement économique sont parfois les mêmes qui ne sont pas emballés par la construction d'habitats. »

Un marché locatif gelé

L'euphorie post-Covid en 2021, marquée par une croissance à deux chiffres des ventes de biens dans l'ancien comme dans le neuf, s'est rapidement dissipée. Avec la guerre en Ukraine et la crise de l'énergie qui en a résulté, entraînant une inflation à son plus haut niveau depuis des décennies, l'année 2022 a subi en outre l'envolée des coûts dans le BTP et une remontée historique des taux d'intérêt. D'où une aggravation en 2023, ponctuée par une diminution des prêts accordés par les banques aux particuliers. Moins d'acquéreurs, moins de permis de construire, moins de biens disponibles, à la suite des premières interdictions à la location des « passoires thermiques » : tous les facteurs ont été réunis pour créer une crise simultanée - et inédite - de l'offre et de la demande.

Tous les professionnels le répètent : le marché locatif est bloqué faute de construction neuve et de mobilité résidentielle. Beaucoup de potentiels vendeurs, qui cherchent à s'agrandir, renoncent pour l'instant à leurs projets, compte tenu de taux d'intérêt bien plus élevés que ceux de leurs emprunts en cours. Tandis que de nombreux acquéreurs potentiels optent, faute de financement, pour la location « en attendant », asséchant encore davantage le marché. Partout en France, les agences immobilières constatent plusieurs centaines d'appels à la moindre publication d'annonce pour un logement à louer. Le nombre de demandeurs de logement social vient pour sa part d'atteindre un record, avec 2,6 millions de ménages en attente d'un HLM. Soit une hausse de 7,5 % par rapport à 2023 : « Aujourd'hui, 30 % des SDF ont un travail ; le logement, et non plus l'emploi, est devenu un facteur d'exclusion », alerte Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM).

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Le contrecoup de la pénurie d'habitations sur la natalité

Avec 726 000 enfants nés en 2022, la France enregistre son plus bas niveau depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si les chiffres de l'année 2023 ne sont pas encore connus, les données déjà publiées par l'Insee indiquent une aggravation de cette tendance : les naissances ont diminué de 7 % sur les onze premiers mois de 2023, ce qui pourrait signifier un total inférieur à 700 000 sur douze mois.

Aux côtés de l'inflation - et donc de la réduction du pouvoir d'achat - et de l'incertitude liée aux enjeux climatiques, les experts de la démographie incluent systématiquement les effets de la crise du logement pour expliquer cette chute de la natalité. D'autant plus qu'elle est plus marquée chez les jeunes femmes : -2,7 % de naissances pour les 25-29 ans et -3,6 % pour les 30-34 ans, à comparer avec une légère augmentation (+3,3 %) chez les mères de plus de 40 ans. « Or ce sont les plus jeunes qui pâtissent le plus du manque de logement ou de surface », dénonce Véronique Bédague, PDG de Nexity (lire son interview ci-contre).

Le taux d'emploi freiné par une moindre mobilité

Si le gouvernement et le président de la République maintiennent leur objectif de plein-emploi (qui correspond à un taux de chômage d'environ 5 % de la population active) pour 2027, les résultats du marché du travail en 2023 ne traduisent pas d'embellie. Au contraire. Avec une augmentation du taux de chômage de 0,6 % au troisième trimestre, suivie d'une nouvelle hausse de 0,2 % entre octobre et décembre, le pays compte désormais 5,4 millions de chômeurs, soit un taux de 7,4 % pour l'ensemble de l'année. Ce sont, là encore, les plus jeunes qui subissent le choc le plus fort : +5,9 % en un an pour les moins de 25 ans, plus souvent sans solution de logement que leurs aînés. Les prévisions pour 2024 reflètent une nouvelle détérioration, de nombreux économistes estimant que ce taux pourrait atteindre 8 %.

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Un paradoxe, puisque le nombre d'entreprises qui connaissent des problèmes de recrutement continue parallèlement de croître. Bruno Le Maire a rappelé à plusieurs reprises ces derniers mois qu'ils résultaient en partie de difficultés liées à la mobilité professionnelle. Une opinion partagée par les adhérents du Medef, où six employeurs sur dix accusent le logement d'être « l'un des freins majeurs à l'employabilité ». Et par les dirigeants de la CPME - où un sur deux déclarait vouloir embaucher à la fin de l'année dernière -, puisqu'un chef d'entreprise sur cinq pointe « l'accès au logement » comme principal responsable d'une pénurie de candidats « deux fois plus élevée qu'il y a six mois ».

Commentaires 6
à écrit le 29/01/2024 à 12:51
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Le problème n'est pas tant une pénurie de logement qu'un environnement ayant artificiellement fait monter les prix bien plus vite que les fondamentaux, favorisant la génération nombreuse du baby-boom déjà propriétaire au détriment des nouveaux entran...

à écrit le 29/01/2024 à 9:49
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Peu importe les sujets, peu importe les gouvernements en place, la France a toujours été incapable à faire preuve d'anticipations rationnelles. Une "politique des choix publics" axée sur le court-termisme (cette "charrue placée systématiquement avant...

à écrit le 28/01/2024 à 10:14
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C'est leur crise, nos dirigeants sont nuls.

à écrit le 28/01/2024 à 9:45
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"Crise du logement : natalité, emploi... des répercussions sans fin" On peut rajouter le manque de médecins,hôpitaux saturés , 6200 lits supprimés en 2023 et des morts sur les brancards qui s'accumulent Pénurie de médicaments,ruptures d'approvisio...

à écrit le 28/01/2024 à 8:45
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Il n'y a pas de crise du logement, il y a trop de français. Si on s acharne a voir des problèmes la ou il n'y en a pas, et a ignorer les vrais problèmes, on n'arrivera a rien

le 29/01/2024 à 12:17
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Absolument, il conviendrait de ramener la population à environ 40 millions pour remettre notre démographie en phase avec le potentiel économique du pays et soulager ainsi l'Etat et le système social, nous ne sommes plus à l'époque où il fallait des a...

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