Défaillances d'entreprise : le calme avant la tempête en 2021

Les faillites d'entreprises n'ont jamais été aussi peu nombreuses en France qu'en ce début d'année 2020. 15.000 au premier semestre contre une moyenne de 27.000 sur cette même période ces 20 dernières années. Un répit dû aux mesures d'aides déployées par le gouvernement, qui ne devraient pas empêcher une hécatombe de banqueroutes l'année prochaine.
(Crédits : © Regis Duvignau / Reuters)

« C'est le paradoxe : on est au milieu d'une crise inédite et c'est le calme plat au niveau des procédures », constate Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon. Un moratoire sur les procédures pour faillites mis en place au début du confinement expirait le 23 août. À partir de cette date, les dirigeants d'entreprises en difficulté avaient 45 jours pour se signaler au tribunal sous peine d'encourir des poursuites. « On s'attendait à un pic énorme avant le 7 octobre. Or, on n'a rien eu du tout », rapporte Thierry Gardon.

Dans toute la France, il n'y a eu durant les neuf premiers mois que 19.220 ouvertures de procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation) contre 32.714 durant la même période de 2019, alors même que ce chiffre était déjà en recul en 2019, selon le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.

« L'explication est simple : le gouvernement a fait beaucoup de choses, le chômage partiel, les PGE (prêts garantis par l'Etat), les décalages de charges... Les entreprises sont toutes sous perfusion », explique Jean-Marie Michel, président du tribunal de commerce de Val-de-Briey, en Meurthe-et-Moselle.

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D'après les chiffres de l'Insee, 15.108 faillites ont été enregistrées en France entre janvier et juin 2020. Soit le niveau le plus bas depuis 20 ans. La moyenne est en effet de 27.000 faillites chaque année sur cette période depuis les années 2000, avec un pic à un peu plus de 32.000 en 2005. Le niveau le plus bas, toujours sur ce premier semestre, remontait jusqu'alors à 2001 avec un peu plus de 20.500 faillites recensées.

Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a en outre déclaré fin août que le gouvernement veut tout faire pour « éviter les faillites et trouver des solutions ». « D'habitude, il y a 50.000 faillites en moyenne par an, il y en aura sans doute plus dans les mois qui viennent », avait anticipé Bruno Le Maire sur France Inter. Depuis 2010, la moyenne est d'environ 58.700 faillites par an. L'année 2019 était celle en ayant enregistré le moins (51.680).

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Franchir le mur

Pour les entreprises fragilisées par la crise sanitaire mais dont la situation était saine auparavant, « toutes les mesures ont été repoussées jusqu'au 31 décembre, ça les soulage un peu, ça leur donne un d'oxygène », assure Anne-Aurore Auger, directrice de la Conférence générale des juges consulaires, l'organisation nationale des tribunaux de commerce. En outre, « les créanciers fiscaux et sociaux, comme l'URSSAF, n'ont pas repris la voie forcée du recouvrement », rapporte aussi Thierry Gardon.

Aujourd'hui les entreprises qui se retrouvent devant le tribunal « n'arrivent pas à cause du Covid mais parce qu'elles avaient déjà des difficultés en amont, que la période Covid n'a pas arrangées », d'après Anne-Aurore Auger. Mais le faible nombre actuel de procédures s'apparente au retrait de la mer avant l'arrivée d'un tsunami. « La vague, on l'attend, elle va arriver », prévient-elle.

« On s'attend, plutôt pour 2021, à un tsunami de dépôt de bilan, lorsque l'URSSAF, les impôts et les banques vont se rappeler au bon souvenir des entreprises et faire valoir l'exigibilité » de leurs créances, détaille le président du tribunal de commerce de Lille Métropole, Eric Feldmann. Car « tout ce mur de dettes qui s'est construit depuis mars, il faudra bien le franchir à un moment ou à un autre ».

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En Nouvelle-Aquitaine, « à ce stade on est à peu près au niveau de l'an dernier en nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) et en emplois supprimés, mais malheureusement on craint de ne pas en rester là, notamment dans l'aéronautique en Gironde mais aussi Charente-Maritime (Stelia, NDR), avec des suppressions d'emplois importantes », rapporte de son côté Pascal Appréderisse, directeur régional de la Direccte (direction du Travail).

Éviter le surendettement

Pour les grandes entreprises, les difficultés sont souvent apparues plus vite. L'assureur-crédit Euler Hermes a comptabilisé entre avril et juin 20 défaillances de grandes entreprises en France, soit 16 de plus qu'en avril-juin 2019, pour un chiffre d'affaires cumulé de 4,4 milliards d'euros, contre 650 millions au printemps 2019.

Pour éviter que des entreprises trop surendettées partent directement en liquidation, les tribunaux de commerce les encouragent à se manifester pendant qu'il est encore temps. Malheureusement, le dispositif de la sauvegarde « n'est pas intégré dans le raisonnement du chef d'entreprise ». « On vient trop tard devant le tribunal », selon Thierry Gardon. Les plus petites structures, en particulier, « pensent que le tribunal de Commerce, ça veut dire la fin ». Pourtant, « on ne traite jamais aussi bien les problèmes des entreprises que lorsqu'elles ont encore du cash, notamment via des procédures confidentielles et non engageantes », comme la sauvegarde, souligne le président du tribunal de commerce de Lyon.

Dans l'espoir d'éviter la disparition de trop nombreuses entreprises et une explosion du chômage, le gouvernement a lancé la semaine dernière une mission "justice économique" chapeautée par le président de la Conférence générale des juges consulaires Georges Richelme. Ses recommandations sont attendues pour la fin de l'année.

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Au niveau mondial : le pire à venir

L'avenir des entreprises est tout aussi sombre au niveau mondial. Selon une étude du 9 octobre de l'agence de notation Moody's, les défauts de paiement des entreprises les plus fragiles - à savoir celles classées dans la catégorie spéculative - vont augmenter plus rapidement qu'avant la pandémie. Ce taux devrait ainsi atteindre les 8,4% en mars 2021, contre 7,8% fin 2020 et 6,4% à la fin du mois de septembre. Pour comparaison, il était à 3,2% avant la pandémie de Covid-19.

(Avec Boris Cambreleng et les bureaux de l'AFP en région)

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