
Jamais les agences de notation n'ont fait autant parler d'elles depuis la crise des dettes souveraines dans la zone euro en 2010-2012. A l'époque, leur pouvoir était jugé exorbitant par les Etats qui subissaient les conséquences de la dégradation de leurs notes de leur dette : Italie, Espagne et surtout Grèce. En juin 2011, S&P avait brutalement abaissé la note d'Athènes de trois crans à CCC, propulsant les taux souverains à des niveaux d'usuriers largement au-dessus de 10%.
A la veille d'une probable dégradation par S&P de sa note actuellement fixée à AA avec perspective « négative », la France ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des pays méditerranéens au début de la décennie 2010. Mais les précédents grecs ou italiens montrent que reculer dans l'échelle de notation des agences n'est pas sans coût.
Hausse récente des taux due à la BCE
« Les notes des agences sont un signal parmi d'autres, à ne pas prendre à la légère mais à ne pas surestimer non plus. Il peut y avoir un impact mais aujourd'hui il est quasiment imperceptible », tempère l'ancien magistrat de la Cour des comptes François Ecalle. « Les hausses récentes des taux souverains viennent de la politique de la BCE mais pas des changements de note », observe le spécialiste des finances publiques.
Au moment de la dégradation de Fitch de AA à AA- le 28 avril, le cours des taux souverains sur les obligations françaises à 10 ans, référence du marché, n'a pas bondi. De même, en janvier 2012, quand l'Hexagone a perdu son précieux triple AAA, sa dette n'a pas été particulièrement attaquée par les investisseurs. En 2012, les taux d'intérêt dégringolaient, sous le poids de l'argent magique déversé par la BCE. Difficile dans ces conditions d'estimer précisément l'impact de la dégradation sur la charge de la dette.
« On ne peut pas quantifier exactement l'impact d'une dégradation, mais ce n'est pas pour autant qu'il n'existe pas. Cet impact sur les taux n'est de toute façon pas immédiat et automatique. Un changement de note modifie les fondamentaux économiques des Etats débiteurs. Il faut un délai pour que les investisseurs digèrent l'information et réévalue la prime de risque qu'ils réclament à un emprunteur qui apparaît moins solvable », avertit Jean-Yves Archer, économiste et entrepreneur.
L'écart se creuse avec les taux allemands
L'ancien haut fonctionnaire s'alarme du creusement progressif de l'écart de 25% entre les taux souverains allemands et français, le spread, depuis le début de l'année 2023, après que S&P a abaissé à « négative » la perspective sur la dette française. Plus qu'une photographie à l'instant T de la situation financière de la France, les notes des agences de notation soulignent la trajectoire des comptes publics. Incontestablement, celle de la France dérape de plus en plus, à mesure que les déficits s'empilent. Comme dans un bulletin scolaire, la note est agrémentée d'une appréciation à l'importance parfois plus significative encore qu'un AAA ou CCC.
« Le fait que Fitch ait parlé des risques d'immobilisme politique est très mauvais », regrette Jean-Yves Archer. François Ecalle appréhende aussi que la situation politique française, marquée par l'absence de majorité parlementaire et la poursuite du quoi qu'il en coûte, ne fasse diverger un peu plus les taux français et allemands sur la dette. « Si les taux souverains bougent vendredi, cela viendra par exemple plus d'une abrogation de la réforme des retraites que d'un abaissement de la note », observe François Ecalle, qui considèrent que les marchés financiers savent déjà lire la situation de la France sans s'appuyer sur les notes des agences.
L'appréciation que les agences portent sur les Etats s'appuie sur des fondamentaux économiques, dont l'incontournable ratio dette sur PIB. Demeure également une grande part de subjectivité dans la manière dont elles perçoivent la solidité des institutions, le crédit des dirigeants et leur capacité à mener les réformes. Tous les pays ne sont ainsi pas égaux face aux notes des agences. Mais être surendetté n'est jamais une posture confortable. « Plus on est endettés, et plus on est vulnérables aux notes des agences », conclut Jean-Yves Archer.