Dégradation de la note française : faut-il s'inquiéter du niveau de la dette ?

ANALYSE. Il ne s’agit sans doute pas tant de savoir à quel point la France est endettée mais à quel point la dette a pour corollaire des actifs, matériels ou non, dont les générations futures bénéficieront. Par Éric Heyer, Sciences Po
Pour le ministre Bruno Le Maire, Fitch a fait preuve de pessimisme en dégradant la note de la dette française.
Pour le ministre Bruno Le Maire, Fitch a fait preuve de pessimisme en dégradant la note de la dette française. (Crédits : JOHANNA GERON)

Bercy semble avoir coché au marqueur dans son agenda la page du 2 juin, date à laquelle l'agence de notation Standard and Poor's doit actualiser son jugement sur la dette de la France. Deviendra-t-il plus difficile pour le pays de se financer si son passif est jugé un peu moins soutenable ? La dégradation de la note par une autre agence, Fitch, le 28 avril, à « AA- » avait déjà suscité des messages d'« alerte »].

Certes, la dette atteignait fin 2022 111,6 % du PIB et suit une trajectoire ascendante depuis plusieurs années, avec une accélération pendant les crises des subprimes et du Covid. Pourtant, sans doute le gouvernement ne s'attendait-il d'ailleurs pas à pareille décision, Bruno le Maire, ministre de l'Économie, qualifiant l'appréciation de « pessimiste », « sous-évaluant les conséquences des réformes ».

La France a, de fait, voulu mettre en place des mesures pour assainir les finances publiques et rendre la dette plus soutenable, en tête la réforme des retraites qui avait vocation à réaliser 13,5 milliards d'économies. Il y avait eu aussi quelques semaines auparavant l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance chômage pour économiser jusqu'à 4,5 milliards d'euros par an à partir de 2025. Plus récemment, le 26 avril, a été présenté en conseil des ministres un programme de stabilité pour ramener la dette à 108,3 % du PIB en 2027.

L'argumentaire de Fitch semble en fait porter sur la méthode : la manière dont tout cela est mis en place est sujet à de fortes tensions sociales, ce qui augmenterait le risque de récession, d'impasse politique et consécutivement les difficultés à rembourser la dette.

Il ne semble cependant pas y avoir matière à s'inquiéter outre mesure : la note reste bonne. Se demander pourquoi elle le reste nous rappelle ce qu'est véritablement la dette : un instrument qui s'avère pertinent lorsqu'il permet de constituer un actif dont les générations futures tireront un bénéfice, actif que l'on sous-estime d'ailleurs sans doute. C'est pour cela qu'il peut être légitime de leur demander une contribution.

La France n'est pas en faillite

Précisions tout d'abord que les agences de notations sont payées pour noter les titres des acteurs privés : elles ne sont pas rémunérées pour s'intéresser aux États. C'est une sorte de vitrine qui fait parler d'elles. Au-delà des décisions de Fitch, Standard and Poor's ou Moody's, la troisième grosse agence de notation, il faut aussi garder en tête que la France reste encore très bien notée, de façon absolue comme relative.

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Si l'on convertit les notes usuellement composées de lettres et de « + » et de « - » dans un format scolaire, la France obtiendrait une note entre 17 et 18 sur 20, ce qui reste, en absolu, une très bonne note, même dégradée. En relatif aussi : très peu d'États ont ce résultat-là. La France est certes derrière l'Allemagne, les Pays-Bas ou les États-Unis, mais elle est au niveau du Royaume-Uni et de la Belgique et devance les pays méditerranéens, la Chine et le Japon.

Or, un investisseur qui veut du « sans risque » réfléchit bien de manière relative. Les titres de dettes souveraines comptent parmi les moins risqués et l'objectif est de rester dans les mieux notées même si la note descend. Voilà pourquoi la dégradation par Fitch n'a par exemple pas eu d'impact sur l'écart de taux avec l'Allemagne.

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Si la France reste bien notée, c'est parce qu'il n'y a pas de récession en vue à court terme, que le pays sait lever l'impôt, qu'il n'y a pas de leader extrémiste au pouvoir... C'est aussi car elle n'a pas qu'une dette, qu'un passif : ses actifs aussi augmentent.

Ce fait semble trop souvent oublié. On mesure de manière courante la dette par son poids relatif au PIB, ce qui demeure une approche extrêmement discutable. On met en relation un stock avec un flux de revenus annuel. Il vaudrait mieux comparer un stock avec un stock.

La question qui devrait se poser est plutôt la suivante : la dette contractée a-t-elle permis d'augmenter les actifs ? S'endetter pour payer du fonctionnement ne laisse pas de trace pour l'avenir : je n'ai rien après avoir payé. Si, en revanche, l'opération a permis d'investir dans des infrastructures ou dans des entreprises, un actif se constitue en face. En raisonnant en dette sur PIB, on néglige totalement cet aspect. L'Insee nous en présente les évolutions dans les comptes de patrimoines des administrations.

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La photographie de l'économie va alors contre une idée reçue : les administrations publiques ont plus d'actifs que de passifs. On est loin, très loin d'une situation de faillite. Si l'on regarde un autre indicateur de soutenabilité, il apparaît que la France conserve d'ailleurs toujours une marge de manœuvre car le taux de croissance de l'économie additionné à l'inflation excède toujours les taux d'intérêt.

Des actifs oubliés ?

Une partie des actifs n'est d'ailleurs peut-être pas prise en compte au moment de dresser ce bilan. Dans l'exercice des comptes de patrimoine, l'Insee ne dénombre comme actif que ce qu'il peut valoriser. De l'immobilier, des titres financiers, des entreprises publiques, des stocks d'or, pour tout cela il existe un prix de marché. Quid d'un actif qui serait environnemental ?

Y faire figurer l'environnement implique de le monétiser, de le chiffrer en euros pour le comparer avec le passif dans une même unité. Même si les méthodes économiques de préférences déclarées ou révélées progressent, leurs résultats semblent encore assez insatisfaisants. Des investissements aujourd'hui qui développeraient un actif environnemental iraient au passif des comptes de patrimoine car on s'endette pour cela, mais pas dans l'actif car on ne sait pas le mesurer. Or, il y a sans doute là quelque chose de bénéfique pour les générations futures.

Il pourrait en être de même pour des dépenses plus souvent assimilées à des dépenses de fonctionnement comme l'éducation. Il existe un consensus autour d'une règle d'or chez les économistes qu'il n'est pas bon de s'endetter pour du fonctionnement pur, qui ne crée pas un actif pour l'avenir, sans accord néanmoins sur ce que l'on place derrière tous ces termes. Les dépenses d'éducation forgent pour l'avenir des citoyens éclairés, des salariés productifs qui pourront payer demain plus d'impôts. On pourrait imaginer laisser les générations futures en payer une partie car ils en ont bénéficié.

D'autres éléments, qui pèsent déjà lourd sur le passif, peuvent de même être interrogés comme la dette Covid qui correspond à environ 20 points de PIB. Sans même se demander ce qui a été sauvé comme vies humaines, Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel d'Économie en 2001, a invité ses confrères à mesurer le « missing capital » : si l'État ne s'était pas endetté, combien d'entreprises auraient fait faillite ? Combien aurait-il manqué de capital privé au tissu productif ? En contrepartie de la dette publique du Covid, il y a des actifs privés sauvegardés, ce qui n'apparaît pas dans les comptes de patrimoine des administrations.

La dette, un instrument, pas un objectif

Tout cela suggère qu'on ne se pose peut-être pas bien la question. Peut-être, plutôt que de fixer des objectifs de niveau de dette (viser x % du PIB par exemple), s'agit-il de fixer des objectifs sur son utilité. Plutôt que de considérer la dette comme un objectif, il faut rappeler qu'il s'agit d'un instrument et donc questionner l'objectif qu'il sert.

Je suis face à un déficit du système de retraite : la dette est-elle un bon instrument pour le combler ? Je suis face à une crise énergétique : la dette est elle un bon instrument pour sauvegarder le pouvoir d'achat ? Je suis face à une crise sanitaire : la dette est-elle un bon instrument pour maintenir un tissu productif ? Je suis face à une transition écologique nécessaire : la dette est-elle un bon instrument pour décarboner l'économie ? Je veux retrouver une souveraineté médicale : la dette est-elle un bon instrument pour réindustrialiser ? Je veux anticiper des attaques cyber : la dette est-elle un bon instrument pour se doter de protections ?

Parfois oui, parfois non. L'idée est de se fixer un objectif de politique publique et de se demander, dans un second temps, si la dette est un instrument pertinent pour atteindre cet objectif, c'est-à-dire s'il est légitime de penser que les générations futures poursuivront aussi cet objectif et en bénéficieront.

Ce raisonnement semble devoir d'autant plus s'appliquer au moment où l'on sort d'une période d'argent gratuit, où les taux étaient nuls sinon négatifs. Puisque l'on va payer des intérêts sur notre dette, puisque la marge de manœuvre se réduit, va se poser de manière plus ténue encore la question de ce à quoi sert la dette. Si l'on s'engage dans une dépense publique non financée par un impôt, puisqu'elle coûte de l'argent, il faut qu'elle soit utile, que les générations futures y trouvent un actif.

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Par Éric Heyer, Directeur à l'OFCE, Sciences Po

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Commentaires 13
à écrit le 29/05/2023 à 9:58
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Il y a pas que la note qui se degrade

à écrit le 29/05/2023 à 9:39
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Le plus gros des emprunts ne sert qu'a payer les frais de fonctionnement de l'état, les déficits et les charges sociales et pas l'investissement industriel et technologique, et rien n'est fait pour diminuer ou limiter les déficits qu'ils soient comme...

le 29/05/2023 à 22:57
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En fait, le seul moyen de réduire les dépenses serait de réduire sensiblement la population, le procédé pour y parvenir est ensuite un choix politique car certains prôneraient la sélection sur la valeur économique, d'autre sur la présentation d'un ar...

le 30/05/2023 à 9:29
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"o" Écris Zéro plutôt c'est plus clair là on hésite avec la lettre, fais ça bien stp, déjà ce serait mieux pour faire passer des "messages"... dont je n'ai strictement rien à faire d'ailleurs puisque bien trop hypocrites pour être acceptables alors q...

à écrit le 29/05/2023 à 9:31
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Quand on voit notre pouvoir d’achat se dégrader depuis plus de 80 ans et nos salaires retraites baisser tout les ans ( ou disons beaucoup moins augmenter que les loyer, facture edf...) je me fiche pas mal de cette note. Ça ne pourra pas être pire qu'...

à écrit le 28/05/2023 à 17:24
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cela fait quelques années que je partage sur les sites de La Tribune, des Echos ou du Financial Times un paquet des données objectives montrant que la France est le pays ayant le meilleur actif. elle est le pays le plus équilibré/développé (environne...

à écrit le 28/05/2023 à 15:16
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Effectivement si la dette laissait des actifs valorisables et des gens formes, on verrait ça différemment.. Il se trouve que la dette sert à payer les fonctionnaires et les retraites à 50 ans de cgtistes ultratokerants car de gauche, et que vous ête...

à écrit le 28/05/2023 à 14:03
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La France est un bateau à la dérive, qui plus est, avec un personnel ivre et ingouvernable, une boussole défaillante, un gouvernail cassé et un capitaine inaudible. Le tout dans une mer agitée et un temps devenant menaçant. Et l’on s’étonne que les a...

à écrit le 28/05/2023 à 13:28
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Un gouffre énergétique de 85 milliards en 2022, même s'il ne se produit que tous les 30 ans, laisse un risque systémique avéré. Les réacteurs nucléaires fabriqués en série ont fonctionné pendant un temps, puis ils ont tous dysfonctionné en même temps...

à écrit le 28/05/2023 à 11:37
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Avec une armée au quatre coins de la planète et des territoires aux quatre coins de la planète la France se prend pour une grande puissance qu'elle n'est plus et cela coute très cher. Il a longtemps que nos anciens nobles ne roulent plus en Rolls.

à écrit le 28/05/2023 à 11:20
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Faites votre déclaration de mise en faillite et on n'en parle plus... on nous "envira" notre décroissance ! :-)

à écrit le 28/05/2023 à 10:57
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Aucune inquiétude sur la solvabilité de l'Etat Français, mais 50 milliards d'intérêts en plus à payer sur celle-ci en 2023 n'inquiète non plus personne, sauf peut être les Standard And Poors et autres, mais en faisant 16 à 18 milliards de gains avec ...

à écrit le 28/05/2023 à 10:24
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Macron, champion de la cinquième république de la dette française et pourtant serviteur des marchés financiers, vous ne voulez vraiment pas chercher à comprendre alors que site économique ?

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