
111,6% du PIB. Tel est le niveau qu'a atteint la dette publique fin 2022. Malgré une légère décrue de ce ratio après le point le plus haut atteint fin 2021 à 117,4% du PIB, le volume de dette continue de gonfler, et s'approche du sommet des 3.000 milliards d'euros. Le gouvernement ne prévoit pas de retour sous les 3% du déficit public avant 2027. Tout à leur obsession d'amortir tous les chocs économiques et d'étouffer le risque social, Emmanuel Macron et ses ministres sont passés du « quoiqu'il en coûte » contre la pandémie à celui contre l'inflation et la crise de l'énergie. Les cordons de la bourse sont toujours déliés, comme si de rien n'était.
Lire aussi l'interview de Gérard Larcher par Bruno Jeudy : « Emmanuel Macron est le président le plus dépensier de la Ve République »
Or, tout a changé dans le paysage financier. Conçue pour casser l'inflation, la remontée des taux directeurs de la BCE renchérit le coût du crédit pour l'Etat. Le taux d'emprunt à 10 ans sur les obligations françaises, encore nul fin 2021, est désormais de 3%. Les intérêts de la dette représentent ainsi des dizaines de milliards d'euros, et deviennent un poste de dépenses publiques supplémentaire.
« Une hausse d'un point du taux d'intérêt des obligations françaises, signifie 40 milliards d'euros de dépenses supplémentaires dans 10 ans », expliquait l'ancien magistrat de la Cour des comptes François Ecalle à La Tribune en juillet 2022. Un sujet qui préoccupe l'agence de notation Fitch qui a dégradé en mai la note de la dette souveraine française de AA à AA-.
Alors, la hausse des taux rend-elle la dette publique hors de contrôle ?
Au plan juridique et institutionnel, la dette est sous contrôle. Ainsi, l'Agence France Trésor va effectivement lever les 275 milliards requis à nos besoins de financement en 2023. La France demeure, pour le moment, en capacité d'attraction de créanciers lorsqu'elle fait « rouler » sa dette selon le terme usuel.
Au plan budgétaire et financier, la dette ne parait pas sous contrôle, car elle a une dynamique haussière spectaculaire soulignée par le HCFP (Haut Conseil des Finances Publiques). Cet essor provient directement de la sédimentation incontournable de notre déficit budgétaire annuel qui atteint 155 milliards d'euros. Le déficit annuel forme donc la pierre angulaire de notre surplus de dette.
Notre dette est fort classiquement rapportée au PIB, ce qui est partiellement pertinent. J'opte depuis des années pour un rapprochement de la dette aux facultés contributives des citoyens. Autrement dit, au potentiel fiscal. Celui-ci n'est pas extensible à l'infini. Au demeurant, ce chemin n'est guère crédible au plan politique ni au plan économique, en raison de l'effet contracyclique et de l'austérité intenable. Une question de rééchelonnement de la dette se posera par conséquent tôt ou tard.
De surcroît, la hausse des taux d'intérêt cumulée avec la dégradation de l'agence Fitch Ratings, qui va induire une prime de risque additionnelle sur nos emprunts, pose la question de la dérive du coût de la dette. Oui, notre dette est hors de contrôle en ce qui concerne le montant des intérêts annuels à verser. Cette charge de la dette est tributaire de l'élévation tendancielle des taux d'intérêt et représente 40 milliards étant entendu que les prévisions à horizon 2027 situent le montant à près de 70 milliards. Soit une somme supérieure au premier poste budgétaire : l' éducation nationale.
Parfois, le débiteur est contraint de demander au créancier d'accepter que les intérêts échus de l'année ne soient englobés dans le principal du montant nominal de la dette. Cela se nomme l'anatocisme. Clairement, c'est l'effet boule de neige et il est désormais certain que l'Agence France Trésor, selon telle ou telle tranche d'emprunt, sera contrainte sous la pression du ministre de l'Économie de demain de recourir à des mécanismes d'anatocisme.
L'anatocisme n'est pas la solution mais cela permettra aux politiques de gagner du temps... face à des montants d'intérêts hors de contrôle. L'économiste David Ricardo a écrit, il y a près de deux siècles, « que la dette du jour forme l'impôt de demain ». Tant que les citoyens accepteront l'impôt aussi passivement, les politiques ne seront pas intrinsèquement motivés par la quête de la saine gestion publique.
Lors de la présentation du programme de stabilité de la France pour 2023, Bruno Le Maire a affiché la volonté très claire du gouvernement d'accélérer le désendettement du pays. Cet effort serait rendu nécessaire par la hausse des taux d'intérêt qui alourdirait la charge de la dette publique et menacerait sa soutenabilité. En prévoyant un « refroidissement » de la dépense publique, c'est la poursuite implacable de la dégradation des services publics et de la protection sociale qui est annoncée.
D'après l'Agence France Trésor, en avril 2023, la demande d'obligations assimilables du Trésor (OAT) des investisseurs est deux fois plus importante que le volume de titres émis. La dette française reste donc très attractive et ne suscite, en tant que telle, aucune inquiétude sur les marchés financiers. L'argument de la hausse du coût de la dette publique est lui aussi à nuancer. Selon les prévisions du gouvernement, la charge de la dette atteindrait 70 milliards d'euros en 2027. Dans les faits, cela représente 2% du PIB, contre 1,8% en 2022.
Dans un contexte de taux d'intérêt réels négatifs - l'inflation réduit mécaniquement le poids de la dette dans le PIB tout en entrainant une hausse des recettes fiscales -, cette légère hausse est en partie due à l'émission croissante d'OATi (indexées sur l'inflation) que rien ne justifie économiquement, sauf la volonté de protéger les revenus financiers tandis que les salaires ne le sont pas.
De plus, la Banque de France étant le principal détenteur de dette publique française, une partie de ces 70 milliards revient à l'État. Et n'oublions pas que, contrairement à l'image véhiculée par le gouvernement, la dette publique n'est pas seulement un coût pour celui qui l'émet, elle est aussi un actif pour celui qui la détient. En finançant les infrastructures et les services publics sur le long terme, la dette publique participe à l'amélioration du bien-être collectif. En soutenant la demande à court terme, elle permet de limiter les effets récessifs de la crise et peut plus rapidement favoriser la reprise de l'activité économique.
Ce qui inquiète les investisseurs, à l'image de la récente dégradation de l'agence de notation Fitch, ce n'est pas le niveau de la dette publique mais le climat social en France dû à la méthode du gouvernement qui, par ses passages en force successifs, obère les capacités de réforme à venir.
Si risque il peut y avoir à l'avenir sur la dette publique, il est le fait du gouvernement qui nous entraine dans une impasse. En organisant la baisse des recettes fiscales - les exonérations fiscales et de cotisations sociales coûtent plus de 6% du PIB chaque année - il creuse la dette, ce qui lui permet de justifier un récit catastrophiste et de légitimer l'austérité par un message disciplinaire contraignant la population au sacrifice des services publics et sociaux. C'est cette logique qui, pour financer le déficit public, préfère emprunter aux plus riches épargnants plutôt que les taxer, qui est dangereuse.