Alors que la gestion des maisons de retraite et des Ehpad est au coeur de l'actualité depuis la sortie du livre glaçant de Vincent Castanet, "Les Fossoyeurs", la Cour des Comptes s'y intéresse également. Bien avant la publication de l'ouvrage, elle a choisi de mettre un coup de projecteur sur la façon dont ces structures qui accueillent aujourd'hui 600.000 personnes âgées - une sur dix a plus de 75 ans et une sur trois, plus de 90 ans -, ont traversé la pandémie. Elle rend ses conclusions aujourd'hui.
Le bilan est là aussi accablant. L'épidémie a durement frappé ces 7.500 institutions. Certes, note la Cour, les Ehpad ont été très inégalement touchés selon leur implantation géographique, mais globalement tous ont payé un lourd tribu à la crise, avec plus de 34.000 décès entre 2020 et 2021.
En cause, le manque de matériel au début de l'épidémie, de masques, de blouses etc. Mais la crise a surtout mis en valeur les faiblesses structurelles de ces systèmes, entre manque cruel de ressources humaines, inadaptation des locaux, intervention tardive des mesures préventives et de contrôle...
Un manque cruel de personnel
Selon la Cour, le principal problème des Ehpad concerne les ressources humaines. Les établissements les plus touchés par la pandémie sont d'ailleurs ceux dont la proportion d'équivalents temps plein (ETP) de personnel paramédical, d'infirmiers ou de médecins coordonnateurs, était la plus basse.
Et en la matière, les Ehpad privés commerciaux, où le taux d'encadrement des résidents est moins élevé, ont été plus affectés que les autres structures. Toutefois, ce sont aussi ceux qui accueillent, en moyenne, des résidents aux pathologies les plus lourdes nécessitant le plus de soins.
À l'inverse, les Ehpad dépendants d'établissements publics hospitaliers ont été moins exposés au virus que les autres, probablement grâce à leur adossement à un établissement sanitaire.
Aussi, la Cour alerte sur le manque de personnel médical. Sur les 377.000 postes à temps plein que comptent ces résidences, les médecins représentent moins de 1%, les infirmiers 11% et les aides-soignants 33%. Le taux d'absentéisme y est par ailleurs élevé, autour de 10%.
A défaut, les Ehpad embauchent du personnel pas assez qualifié. Ce qui représente un risque évident pour les résidents.
Des locaux trop souvent inadaptés
Mais, ce n'est pas tout, les locaux des ces établissements ne sont pas toujours adaptés. Beaucoup sont vétustes : 15 % des Ehpad sont ainsi installés dans des bâtiments de plus de trente ans. Résultat : leur configuration architecturale n'a pas toujours permis la mise en place de zones Covid 19 séparées, ni l'isolement des résidents atteints par la maladie. Moins d'un Ehpad sur deux est aujourd'hui à même de ne proposer que des chambres individuelles.
L'Etat beaucoup aidé les Ehpad pendant la crise sanitaire
Les magistrats soulignent combien l'Etat a été présent pendant la crise. Via les Agences régionales de santé, mais aussi via des soutiens économiques
Dès le début de la pandémie, le gouvernement a volé au secours des maisons de retraites en compensant les pertes de recettes, en aidant à payer les dépenses occasionnées par la pandémie (renfort de personnel pour compenser l'absentéisme accru, frais logistiques, petit matériel, masques, coût des unités Covid-19, etc.)
Il a aussi pris en charge, intégralement, via l'assurance maladie, la « prime Covid » allouée aux personnels, annoncée en juin 2020. Soit plus de 1,7 milliard d'euros en 2020 à la seule charge de la CPAM.
Sans oublier que dans le cadre des accords du « Ségur de la santé » de juillet 2020, une revalorisation de 183 euros nets mensuels a été attribuée aux personnels des hôpitaux et des Ehpad publics ainsi qu'à ceux des Ehpad privés non-lucratifs. Les personnels des établissements privés à but lucratif ont, eux, bénéficié d'une augmentation de 160 euros nets mensuels.
Des investissements via le plan de relance
En plus de ces revalorisations salariales, des dotations d'un montant de 1,5 milliard d'euros sur quatre ans ont été mises en place pour financer la rénovation ou la création de places dans les Ehpad. S'y ajoute une enveloppe de 600 millions d'euros pour le développement des outils numériques dans les établissements et services médico-sociaux. Pour 2021-2025, le montant total des dépenses prévues atteint donc 2,1 milliards d'euros pour la période de 2021 à 2025. Ces financements seront pris dans le cadre du plan « France Relance ».
Dans les Ehpad, la pandémie a favorisé le développement rapide du numérique : pour communiquer avec les résidents, les familles y ont eu massivement recours avec le confinement, les télé-consultations se sont développées... Reste que "ces outils numériques connaissent un retard certain par rapport aux établissements de santé", regrettent les magistrats.
Urgence d'une réforme
Sans revoir de fond en comble le système, la Cour appelle à lancer rapidement des travaux de modernisations dans ces structures. La priorité concerne les conditions de travail des personnels, qu'il convient d'améliorer, notamment via la formation, l'acquisition des compétences, mais aussi en engageant des réflexions autour des plannings ou des progressions de carrière.
Il convient aussi, préconise la Cour, de repenser l'organisation des établissements, sur le territoire pour qu'ils ne soient pas trop isolés. En effet, une trop grande dispersion actuelle des structures ne permet pas d'offrir aux personnes âgées un niveau de médicalisation satisfaisant.
Aussi, la Cour insiste-t-elle sur la nécessité d'une meilleure articulation entre les Ehpad et les filières de soins, ainsi que les établissements de santé.
Elle met en avant le réel bénéfice pour un Ehpad à ne pas être isolé, à s'insérer dans un ensemble fonctionnel plus vaste, "soit par adossement à un établissement de santé, soit par l'appartenance à un groupe, soit encore par la mutualisation de certaines fonctions."
Un vaste chantier qui sonne comme une feuille de route pour les futurs candidats à l'élection présidentielle. Surtout dans le contexte actuel. Chaque jour, une révélation sordide est mise au grand jour dans l'affaire Orpéa. Impossible pour les politiques de ne pas s'attaquer à ce dossier. Hier encore, l'ancien directeur général du leader des maisons de retraites était visé par une enquête pour délit d'initié.
Ce mercredi, jour même de la sortie du rapport de la Cour des comptes, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale s'apprête à auditionner la directrice générale de l'agence régionale de santé d'Ile-de-France, Amélie Verdier. Le Sénat, lui, entend ouvrir une commission d'enquête.