
Les tensions sur le marché du travail sont toujours aussi vives. La plupart des récentes enquêtes de conjoncture menées par l'Insee et la Banque de France indiquent que de nombreux secteurs peinent à embaucher. Malgré une croissance en berne, les créations d'emplois augmentent à un rythme bien supérieur à celui de la création de richesse dans l'économie française. Ce paradoxe est loin de concerner la France. En Europe, le marché du travail reste dynamique malgré les répercussions désastreuses du conflit ukrainien depuis plusieurs mois sur le Vieux Continent.
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Dans ce contexte troublé, le ministère de l'Économie et la direction générale du Travail ont planché sur les difficultés de recrutement lors d'un séminaire organisé au Centre Pierre-Mendès France ce lundi 14 novembre en invitant des économistes et des juristes. « Actuellement, le marché du travail est dans une situation très favorable. Les créations d'emplois ont repris dans une bonne dynamique. Le taux d'emploi et le taux d'activité sont à des niveaux historiquement élevés. Le taux de chômage a commencé à baisser dès 2015. Aujourd'hui, le niveau de 7,4% n'avait jamais été vu depuis la crise de 2008. On n'a jamais autant travaillé en France depuis longtemps », a déclaré Michael Orand, chef de la mission d'analyse économique à la Dares, la direction statistique du ministère du Travail, lors de cette réunion.
En dépit du ralentissement économique, le gouvernement défend toujours son objectif de « plein emploi ». Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a estimé lundi « toujours atteignable » l'objectif d'arriver au plein emploi d'ici à 2027, soit un taux de chômage autour de 5%, contre 7,4% actuellement. « Sur l'objectif de plein emploi, je pense que c'est toujours atteignable », a déclaré le ministre à l'occasion d'une rencontre de l'Ajis (Association des journalistes de l'information sociale). Dans un rapport remis la semaine dernière au ministre de l'Emploi, l'inspecteur général des affaires sociales Philippe Dole dresse un constat particulièrement précis et exhaustif sur le niveau de ces tensions dans l'économie tricolore.
Manque d'attractivité, inadéquation des compétences, intensité des embauches...
De nombreux facteurs peuvent expliquer cette hausse des tensions sur le marché du travail. La succession des crises (pandémie, guerre en Ukraine) ces dernières années a provoqué des mouvements d'ampleur entre l'offre et la demande de travail.
De fait, « le nombre de démissions est aussi à un niveau historiquement élevé. Mais, en France, on ne peut pas parler de "Grande démission" [comme aux États-Unis, Ndlr], » a indiqué le chercheur du ministère du Travail et auteur d'une enquête dévoilée à la fin de l'été sur ce thème très débattu outre-Atlantique.
Après avoir atteint un creux au printemps 2020 au pic de la pandémie, le taux de démission dans les entreprises n'a cessé de grimper. Il s'est établi à 2,7% au premier trimestre 2022 contre 1,4% au second trimestre 2020 selon une étude de la Dares (ministère du Travail) dévoilée en août.
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Dans la littérature économique, les cinq principales raisons évoquées par les chercheurs pour expliquer ces difficultés sont le manque d'attractivité liées aux conditions de travail (salaires, pénibilité), les problèmes d'offre de travail, l'inadéquation des compétences, l'inadéquation géographique, et l'intensité des embauches.
« En 2021, le facteur qui compte le plus est l'intensité des embauches, souligne Michael Orand. Le manque de main-d'oeuvre disponible et les conditions de travail arrivent après », poursuit-il.
Derrière les difficultés de recrutement, la fidélisation des salariés
L'autre enjeu soulevé lors de ce séminaire est la fidélisation des salariés. Dans le secteur des transports, ce sujet est particulièrement criant. Déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers, Florence Berthelot a pointé du doigt cette difficulté.
« Le problème n'est pas de trouver des candidats, mais de les garder. La question est de savoir comment les fidéliser. Il y a un problème d'intégration dans les entreprises. Plus il y a de tensions, moins l'intégration est facile », a-t-elle déclaré.
Le professeur de droit à l'université Panthéon Sorbonne Alexandre Fabre estime, de son côté, que « libéraliser à outrance le marché du travail ne résoudrait pas tous les freins à l'embauche ».
Face à ces enjeux de fidélisation, plusieurs leviers ont été évoqués. Le juriste préconise notamment d'agir sur le levier de la rémunération. « Même si cela ne fait tout, il n'y a pas de fidélisation des salariés sans perspectives de gains. »
En effet, l'inflation galopante en Europe et en France grignote de plus en plus le pouvoir d'achat de salariés parfois obligés de se serrer la ceinture pour se chauffer et se nourrir. L'enseignant en droit a souligné que « les salariés sont de plus en plus sensibles à la prise en charge des coûts indirects du travail (transports, logement, garde d'enfants...). »
Enfin, il recommande de mettre l'accent sur la démarche "qualité de vie et de conditions de travail" (désignée par l'acronyme QVCT, qui a succédé à la QVT).
« Le problème est que le sujet de la "qualité de vie au travail" (QVT) n'a pas été prise au sérieux lorsqu'il a été mis en place en 2013 (Cf. les critiques sur l'installation de babyfoots, les séances de massage...) [...] Le changement d'appellation, avec l'ajout des "conditions de travail", a appelé à plus de réflexion sur les métiers. On commence à avoir des négociations sur ce terrain des conditions de travail. On ne va pas faire disparaître certains aspects pénibles des métiers, mais on peut améliorer certaines questions », souligne-t-il. Dans l'hôtellerie et la restauration, « des réflexions avancent sur la semaine de quatre jours dans les grands groupes », avance ainsi le professeur.
Pour autant, le ralentissement prolongé de l'économie française en 2023 pourrait bientôt faire redescendre ces tensions sur le marché du travail.
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