Aux journalistes qui le pressaient de questions lors de son déplacement dans le Lot, le président Macron a multiplié un mouvement qu'il affectionne : l'esquive. « Seriez-vous candidat en 2022 ? », osa un confrère. Réponse immédiate : « il est trop tôt pour le dire ». Et d'ajouter qu'il compte bien « faire les choses jusqu'à la fin ». Le chef de l'Etat a d'ailleurs prévenu qu'il allait devoir prendre cet été « des décisions difficiles » pour la sortir de crise Covid. « Je vais devoir prendre des décisions, certaines sur la relance, d'autres difficiles ». Un ton volontairement soucieux censé brouiller les pistes sur ses intentions présidentielles ? Une manière de susciter l'envie alors que l'intéressé sait qu'une partie des Français multiplie les critiques à son encontre ?
Ce n'est en tout cas pas la première fois qu'Emmanuel Macron laisse planer le doute. En décembre dernier déjà, dans une interview au média en ligne Brut, il avait dit devoir peut-être « faire des choses dures » qui « rendront impossible » sa candidature. En ligne de mire, le retour de la réforme des retraites, mais pas « en l'état ». Le « en même temps » a encore frappé. Emmanuel Macron ne fait pas qu'esquiver, il multiplie les oxymores, il souffle le chaud et le froid. Car derrière ces éléments de langage, le body language du président laisse transparaître un individu sûr de son destin. Comme en 2017. Tout montre ainsi que le président est déjà en campagne, bien qu'il s'en défende : « On doit prendre le pouls du pays même quand on n'est pas en campagne ».
« Ceci n'est pas une pipe »
C'est un peu la version macronienne du « ceci n'est pas une pipe » du peintre Magritte. Lors de ce déplacement, les images justement montraient un président en quête d'approbation, ne cessant de délivrer son discours à des retraités réunis pour l'occasion, comme lors de son « grand débat » au moment du mouvement des Gilets Jaunes. Des images bucoliques loin de l'agitation du monde et des villes françaises qui commencent, on le voit chaque jour, à craquer de toute part après un an d'épidémie.
Bref, cette balade lotoise avait des relents de village Potemkine au vu de l'état réel du pays. Et justement, le président martèle qu'il en est bien conscient, qu'il est capable d'affronter les tempêtes à venir : un storytelling employé également par Nicolas Sarkozy qui n'a eu de cesse ces dernières années comme l'homme du recours, malgré ses ennuis judiciaires.
Justement, pour son premier déplacement « de campagne », Emmanuel Macron avance en terrain conquis. Le chef de l'Etat n'a pas voulu prendre de risques. Son passage dans les villages de Martel et de Saint-Cirq-Lapopie, parmi les plus beaux de France, est presque une visite de famille. Car, lors de la dernière présidentielle, Emmanuel Macron y récolta des scores soviétiques.
La « bande du Lot »
Finalement, le Lot, comme quelques autres endroits de France, sont devenus très vite de véritables fiefs pour ce président qui n'avait pas connu le combat électoral avant 2017. Ce département du Sud-Ouest compte parmi ses habitudes. Comme ministre de l'Économie, il y était venu, dès octobre 2015, pour participer à une table ronde sur les « industries du futur » à Figeac, où est localisé un sous- traitant d'Airbus, Figeac Aero. Il reviendra plusieurs fois dans le département, ancien fief du radical socialiste Maurice Faure, ex-ministre et ami de Mitterrand, notamment fin février 2017 en pleine campagne présidentielle, et aussi en janvier 2019 pour rencontrer les maires de la région dans le cadre de son « grand débat », où il retrouve la « bande du Lot ».
C'est qu'Emmanuel Macron a un soutien de poids dans ce département : l'ancien socialiste Jean Launay, député entre 1998 et 2017, devenu discrètement l'un des cadres d'En marche. Launay fut l'un des membres de la commission nationale d'investiture (CNI) du parti, dirigée alors par un autre baron de la politique, l'ancien chiraquien Jean-Paul Delevoye, originaire du Pas-de-Calais et proche de Brigitte Macron. Jean Launay est une figure du Lot mais dispose d'un réseau politique et économique au niveau national. Ancien questeur de l'Assemblée nationale, il a été rapporteur du budget de la Défense, trésorier de la puissante Association des maires de France (AMF). Il est surtout le président du Comité national de l'eau et coprésident du Cercle français de l'eau, un groupe rassemblant collectivités, représentants de l'État, et multinationales du secteur, comme Suez et Veolia.
En juillet 2017, Jean Launay a coécrit un petit ouvrage, "L'Eau potable entre facture et fracture", avec David Colon, responsable des relations institutionnelles de Veolia, autrement dit le lobbyiste de la multinationale aux multiples ramifications au sein de la droite et de la gauche française. Une fois élu, le président lui confie la coordination des « Assises de l'eau », chargées de réfléchir au financement du renouvellement des réseaux d'eau, qui concerne des milliards d'euros d'investissements futurs. Guère étonnant si, le 14 juillet 2018, le Lotois est fait chevalier de la Légion d'honneur par Edouard Philippe. Un président n'est jamais aussi bien choyé que par ses fidèles grognards.