![Laurent Bach est professeur à l'ESSEC.](https://static.latribune.fr/full_width/2381230/laurent-bach-economiste.jpg)
Le gouvernement planche actuellement sur un durcissement de la taxe sur les superprofits. En plein marasme budgétaire, Bercy est à la recherche de coupes dans les dépenses publiques, mais aussi de nouvelles recettes fiscales. Après avoir baissé drastiquement la fiscalité sur les entreprises et les ménages, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire se retrouve à devoir trouver des outils pour rendre la trajectoire des finances publiques plus crédible pour parvenir à la promesse d'un déficit inférieur à 3% d'ici 2027.
Dans ce contexte, l'Institut des politiques publiques (IPP) recommande grandement d'améliorer la fiscalité sur les rentes après l'échec de 2022 et 2023. Les économistes suggèrent donc, dans deux notes dévoilées ce jeudi, de mettre en place une clé de répartition des bases taxables entre les Etats européens. Pour rappel, le gouvernement espérait un rendement de 12 milliards d'euros de cette taxe sur les superprofits des énergéticiens (CRIM) pour aboutir finalement à 625 millions d'euros. S'agissant des industries pétrolières, les économistes tablaient au début de leur travail sur un rendement de 3 milliards d'euros. Au final, elle n'a rapporté que 69 millions d'euros, soit 40 fois moins que prévu. Retour avec l'économiste et professeur à l'ESSEC, Laurent Bach, sur les raisons de ce fiasco fiscal.
LA TRIBUNE - La taxe sur les superprofits défendue par le Conseil européen et mise en place en France devait rapporter plusieurs milliards d'euros. Au final, elle n'a rapporté que quelques centaines de millions d'euros. Comment expliquez-vous un tel décalage entre les projections de rendements espérés et ceux effectifs ?
LAURENT BACH - Au moment où les prévisions ont été faites fin 2022, il n'y avait pas encore de détails sur les conditions d'application de la contribution (CES) appliquée aux groupes pétroliers. Certains détails de cette taxe peuvent compter dans le calcul le rendement attendu. Car, les textes d'application sont susceptibles de définir quelles sont les entreprises prises en compte dans le périmètre. Les rendements peuvent varier en fonction de ce périmètre.
En matière de taxation des rentes, l'État cherche à prélever les bénéfices indus. La question est de savoir quels sont les bénéfices devant être compensés par des charges préalables. Sur ce point, les entreprises ciblées ont pu déduire pour l'impôt de 2022 des pertes fiscales bien antérieures. Ces pertes avaient pourtant déjà servi à réduire l'impôt sur les sociétés auparavant. Ce périmètre plus réduit et une assiette moins large ont donc mené à une très forte perte de rendement (environ 78%).
Est-il difficile de bien identifier les profits réalisés par les multinationales françaises
L'autre difficulté était effectivement de comptabiliser les profits des entreprises ciblées pour l'année 2022 avec des données encore partielles. On savait qu'il y avait une hausse des recettes. En revanche, nous avions beaucoup d'incertitudes sur les bénéfices prévus des entreprises. Ces entreprises enregistrent une grande partie de leurs profits en dehors de la France. Elles ont certes continué à faire peu de marges en France en 2022. Cette marge n'a quasiment pas augmenté entre 2021 et 2022. Ce qui était surprenant, car les recettes ont doublé. Pour le prévoir, il aurait fallu connaître la structure des contrats, l'organisation de ces groupes à l'étranger.
Ces groupes font beaucoup de ventes en France et emploient beaucoup de personnel, mais ils comptabilisent une grande partie de leurs marges en dehors de la France. Je ne parle pas de paradis fiscaux. Ce sont des pays voisins de la France. En Belgique ou en Allemagne, par exemple, des raffineries ont enregistré des marges exceptionnelles en 2022.
Ce décalage ne révèle-t-il pas les limites du système fiscal français ou cela est-il révélateur de la stratégie des multinationales ?
Face à des grands groupes, le système d'imposition des bénéfices des entreprises est daté. Ce système a fait l'objet de très nombreuses réformes depuis une dizaine d'années pour donner une part des profits mondiaux de ces groupes aux pays de consommation. Dans le système actuel, le pays de consommation peut représenter une part substantielle de l'activité d'un grand groupe, mais cela ne peut avoir aucune incidence si ce groupe fait toutes ses marges à l'étranger.
Toutes les discussions à l'OCDE ont pour l'instant exclu les groupes d'extraction. Cela comprend tous les groupes pétroliers. La raison invoquée était de protéger les pays en développement. En réalité, l'inégale répartition des recettes fiscales payées par les groupes pétroliers se situe à l'intérieur de l'Europe. Or, l'Europe n'est pas une zone d'extraction, ce qui complique la mise en place d'un impôt efficace pour les Etats européens.
L'impôt sur les superprofits est un concept exigeant. Il ne s'agit pas juste de mesurer des bénéfices comptables. Il faut juger ce qui est excessif. C'est parfois difficile à mesurer.
Comment faire pour améliorer le rendement sur ce type de prélèvement sur les entreprises ?
La coordination internationale est plus que jamais indispensable sur ce type d'impôt. Il existe un règlement européen qui a permis de définir la cible et les assiettes. Mais aucune clé de répartition du profit réalisé en Europe n'a été mise en place. L'Europe n'est pas rentrée dans ces discussions. Or, il faut passer à la vitesse supérieure sur ce sujet.
D'autant que, Sur les impôts nouveaux, il existe un risque de recours devant la justice ou le Conseil constitutionnel par les entreprises notamment. Les États doivent éviter que ce type d'impôt soit annulé. Il existe une grande peur dans les institutions chargées de mettre en œuvre ce type de fiscalité. Le préalable est de consulter de manière transparente les autorités de recours comme la Commission européenne ou le Conseil constitutionnel. Enfin, il s'agit aussi de faire des études d'impact avec différents scénarios. Ce qui requiert d'avoir des informations fiables et détaillées. Les grands groupes doivent fournir des comptes de résultats pays par pays plus rapidement et plus fréquemment. Cela permet d'avoir des informations sur l'activité et les bénéfices des entreprises au sein de chaque pays d'implantation. Ces rapports sont aujourd'hui soumis très tardivement et rendus publics sur la base du volontariat.
Ces faibles rendements ont-ils contribué à creuser le déficit français ?
Oui, c'est un sujet pour les finances publiques en termes de planification des dépenses et des recettes. L'État peut se retrouver à faire des économies et des hausses d'impôts de manière précipitée. Or, ces décisions prises dans l'urgence peuvent avoir des conséquences importantes sur l'activité économique.
S'agissant de la taxation des rentes, le gouvernement a lancé une mission il y a quelques mois. Quels sont les risques existants sur ce type de fiscalité ?
En théorie économique, la taxation sur les rentes est un impôt idéal. La rente est ce qu'il reste une fois qu'on a rémunéré toutes les parties prenantes. La taxation de cette rente n'entame pas les efforts de ces parties prenantes. La taxation des rentes ne réduit pas l'efficacité économique d'un pays. Lorsque les rentes sont versées aux actionnaires, cela peut même permettre de la redistribution.
Le problème est qu'il est difficile de trancher sur la juste rémunération des parties prenantes dans une entreprise. Cela peut changer d'une entreprise à l'autre ou d'une période à l'autre. C'est un concept important, mais il est exigeant à mettre en œuvre. Au final, le risque est de faire une taxation restrictive et qui ne rapporte pas grand chose.
Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont relancé l'idée d'une taxation sur les rachats d'actions. Aux Etats-Unis, le président Joe Biden a proposé de quadrupler le taux de prélèvement (de 1% à 4%) sur ce type de pratique décriée. Quel regard portez-vous sur un prélèvement sur les rachats d'actions ?
Il faut se méfier de ce type de proposition. Le soulèvement d'une partie de l'opinion à l'égard des rachats d'action peut se comprendre. Mais le risque est de viser le symptôme et pas la cause. En réalité, l'État cherche à mettre en place ce type de prélèvement pour inciter les entreprises à utiliser une partie de leur trésorerie vers des usages plus pertinents.
Le problème est que les rachats d'actions ne sont pas la seule manière pour les entreprises de distribuer des dividendes. Les entreprises peuvent aussi verser des dividendes exceptionnelles. Si l'État taxe de manière punitive les rachats d'action, les entreprises vont trouver un moyen de distribuer leur trésorerie autrement. Il existe aussi des questions sur la mise en œuvre. La taxation des dividendes des grands groupes cotés reste très difficile.
Propos recueillis par Grégoire Normand