Avec un taux d'inflation de 5,8 % en 2022 selon la Banque de France, la hausse des prix n'a jamais été aussi élevée en France depuis les années 1970. Une conjoncture qui pèse lourdement sur le moral des Français. Selon la 10ème édition 2022 de l'étude sur les dépenses et les habitudes de Français et des Européens (ECPR) réalisée chaque année par Intrum, spécialiste du crédit management, 81% des Français affirment que la hausse des prix a fortement impacté les finances de leur ménage. Et si 16% indiquent qu'ils n'en ont pas encore subi les conséquences, ils s'attendent à ce que cela soit le cas dans les mois à venir.
Des difficultés qui se matérialisent particulièrement au moment de régler leurs factures. Ainsi, au cours des 12 derniers mois, 17% des consommateurs interrogés n'ont pas honoré le paiement d'une facture. Pour 41 % d'entre eux, la raison principale est le manque de moyens. Par ailleurs, 30 % confient qu'ils seront contraints de prioriser le règlement de certaines factures au détriment d'autres jugées moins prioritaires, pour faire face aux dépenses essentielles de leur ménage. Enfin, 38 % des répondants anticipent le fait qu'ils n'auront pas les ressources suffisantes pour honorer au moins une facture énergétique dans les mois à venir. 35% indiquent également qu'ils vont solliciter leurs créanciers pour obtenir un échelonnement de leurs paiements, ou avoir recours à un délai supplémentaire.
Les Français interrogés par Intrum sont davantage inquiets que leurs voisins européens. 56% d'entre eux considèrent que l'inflation est davantage structurelle que conjoncturelle et qu'elle va donc s'inscrire dans le temps, contre 46% pour la moyenne européenne. De même, ils sont 76% à affirmer que leurs factures augmentent plus vite que leur revenu, contre 68% à l'échelle de l'Europe.
Les difficultés à épargner, source d'inquiétude chez les Français
Et ce, alors que « la France est l'un des pays les plus généreux en Europe pour soutenir le pouvoir d'achat et lutter contre l'inflation », note l'étude menée auprès de 1.000 Français et 24.000 Européens entre juillet et août 2022. 50 milliards d'euros de plan d'aide ont ainsi été débloqués au cours des deux dernières années ainsi que 16 milliards d'euros pour limiter la hausse des factures de 15 % en 2023 avec le bouclier énergétique.
« Si on regarde par rapport à des pays voisins, il y a eu un accompagnement prononcé de l'Etat français ces deux dernières années, si bien qu'il a probablement généré une certaine déresponsabilisation par rapport à cette crise ponctuelle qui a forcément des impacts immédiats d'un point de vue économique et social. Or, ces impacts ont été en quelque sorte comblés et maîtrisés par un accompagnement fort » de l'exécutif, analyse Thomas Duvacher, directeur Général Intrum France, interrogé par La Tribune. Mais, aujourd'hui, « l'Etat français, même s'il continue d'accompagner les ménages et entreprises, ne peut pas couvrir à 100% l'ensemble des conséquences de l'inflation et les consommateurs en ressentent les effets », pointe-t-il.
À commencer par leur capacité à épargner. Cette dernière est en « baisse », pointe l'étude, notamment leur épargne de précaution, utilisée pour les dépenses imprévues, « ce qui génère forcément de l'anxiété », explique Thomas Duvauchet. Car, « l'épargne demeure un pilier essentiel de notre économie ». À ce sujet, les Français se situent néanmoins dans la moyenne européenne : si 62% des Européens déclarent craindre pour leur capacité à épargner et 61% à gérer leur retraite future, ces chiffres sont respectivement de 60 % et de 56 % pour les Français. De même, 32% des Européens disent épargner davantage aujourd'hui qu'il y a 12 mois pour avoir suffisamment de réserves financières en cas de perturbations économiques, contre 34% pour les Français. « Ce qui est paradoxal, c'est qu'en moyenne, en France, les particuliers sont davantage propriétaires que nos voisins européens. On pourrait donc se dire que ce serait suffisant pour asseoir une certaine pérennité ou en tout cas libérer d'une anxiété potentiellement liée à des événements imprévus. Mais ça n'est pas le cas, comme en témoignent les résultats de l'étude. Nous avons besoin de disposer, en plus, d'une épargne plus importante que dans beaucoup de nos pays voisins », analyse Thomas Duvaucher pour qui, ce phénomène est « culturel ».
Une culture financière moins développée chez les Français
L'inquiétude plus prononcée chez ces derniers que chez leurs voisins européens peut également s'expliquer, selon lui, par leur culture financière. En d'autres termes : « la façon dont les consommateurs vont comprendre, gérer, programmer leurs affaires financières et la gestion du ménage. Ces connaissances leur permettent de prendre les bonnes décisions financières et d'éviter les emprunts superflus », explique-t-il, précisant que « la pandémie a eu un impact favorable sur le développement de la culture financière en France ». 49% des répondants français ont néanmoins affirmé que les inquiétudes liées à l'inflation et/ou aux taux d'intérêt plus élevés du fait du resserrement monétaire de la Banque centrale européenne, les ont encouragées à développer leurs connaissances des principaux termes financiers, contre 53% à l'échelle européenne. En outre, 16% des Français interrogés indiquent ne pas avoir bénéficié d'une éducation financière suffisante pour gérer leurs finances du quotidien et demandent souvent des avis extérieurs. Pour 14%, cette éducation les a aidés à comprendre les principes de base, mais est insuffisante pour saisir les problèmes de ces dernières années tels que l'impact de l'inflation.
« Ces Français pour qui l'ensemble de ces connaissances ne sont pas complètement acquises peuvent avoir un jugement hâtif et craintif par rapport à des éléments qu'ils entendent quotidiennement dans les médias sur l'impact de l'inflation », note Thomas Duvauchet. Un risque, selon lui, puisqu'« en cette période de consumérisme relativement importante avec un accès à des moyens de paiement différés, à de multitudes de comptes bancaires permettant souvent des découverts autorisés, en cumulant les crédits à la consommation, cela peut entraîner assez facilement une forme d'endettement importante ».
Surtout chez les jeunes, particulièrement impactés par la hausse des prix. 35% des consommateurs de la génération Y (nés entre 1980 et 1995) interrogés indiquent avoir de plus en plus recours aux paiements différés, en trois ou quatre fois sans frais par exemple, contre 15% des baby boomers (nés en 1943 et 1960), indique l'étude. « Or, cette génération, du fait de cet accès plus aisé à ces moyens de paiement, court un risque réel d'endettement à court et à moyen terme pour cette génération », conclut Thomas Duvacher.