Volte-face : après des mois de prix extrêmement élevés, liés notamment à la guerre en Ukraine, les cours du gaz s'effondrent sur le marché européen. Hier, ceux-ci sont même passés en négatif sur la principale bourse d'échange européenne, le TTF, ce qui signifie qu'acheter du gaz pour le lendemain rapportait de l'argent ! La nouvelle a de quoi déconcerter, tant les alertes se multiplient depuis plus d'un an sur l'explosion historique des factures à venir.
Et pourtant, une telle dégringolade semble logique : depuis plusieurs semaines, les Européens consomment beaucoup moins de gaz que prévu. L'offre devient donc excédentaire, et peine à s'écouler. Au point que les producteurs et les livreurs du précieux hydrocarbure préfèrent désormais le vendre à des prix inférieurs à zéro, plutôt que de perdre leur cargaison ou d'arrêter les usines.
Embouteillage de navires méthaniers
De fait, avec le développement du gaz naturel liquéfié (GNL) acheminé par navire des quatre coins du monde plutôt que par pipeline, la volatilité est extrême sur le marché du gaz : les prix pour livraison le jour même ou le lendemain s'avèrent extrêmement sensibles aux circonstances, notamment météorologiques. Et celles-ci ont surpris tout le monde : le Vieux continent enregistre des températures anormalement douces pour la saison, si bien que la saison de chauffage n'a toujours pas commencé.
Or, dans le même temps, des navires contenant des quantités massives de GNL foncent tout droit vers l'Europe, laquelle a commandé ces provisions il y a plusieurs semaines, anticipant une baisse du thermostat à venir et donc une hausse de la consommation de gaz. Résultat : arrivés à bon port, les bateaux ne sont pas en mesure de décharger rapidement leur cargaison, puisque ce stock supplémentaire n'est demandé par personne. Il ne peut pas non plus servir à alimenter les réserves souterraines de gaz que les pays de l'UE constituent à l'approche de l'hiver, étant donné que celles-ci sont désormais saturées. Ainsi, selon le Wall Street Journal, une trentaine de méthaniers stationnait aux abords du Vieux continent la semaine dernière, en attendant de pouvoir décharger leur gaz.
L'histoire rappelle celle du pétrole américain, tombé brièvement en dessous de zéro dollar au début du confinement : en mai 2020, les capacités de stockages proches de la saturation couplées à une offre toujours abondante avaient poussé des producteurs à payer pour se débarrasser de l'or noir dont ils ne savaient plus quoi faire.
L'Europe devra toujours passer l'hiver sans gaz russe
Seulement voilà : comme pour le pétrole, il faut s'attendre à passer rapidement de la surabondance à la disette. Certes, dans un premier temps, l'offre excédentaire de gaz pourrait durer, et son prix rester faible, sinon négatif. Les prévisions météorologiques tablent d'ailleurs sur un temps exceptionnellement doux lors des deux ou trois prochaines semaines, retardant l'échéance tant redoutée.
Mais celle-ci finira par arriver : avec le début de l'hiver, la consommation de gaz grimpera forcément en flèche, et l'Europe devra faire sans les quelque 50,2 milliards de mètres cube qu'elle recevait chaque année de la Russie. Signe que le système reste tendu, les prix du gaz sur le marché à terme¹ affichent d'ailleurs toujours des niveaux anormalement élevés, même s'ils ont baissé ces derniers jours : le mégawattheure (MWh) de gaz pour le premier trimestre de 2023 s'échangeait hier à 144 euros, contre moins de 40 euros avant le début de la crise.
Reste à espérer que les navires transportant du GNL, qui auront d'ici là délivré leur cargaison, regagneront rapidement les côtes pour réapprovisionner l'Europe au moment où celle-ci en aura le plus besoin.
¹ Sur le marché à terme, les échanges sont établis pour une livraison dans le futur, de 3 mois à 5 ans plus tard, avec un cours qui fluctue, mais un prix fixé au moment de la signature du contrat.
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