Et voilà le retour des attestations de déplacement (archaïsme qui fait certes la joie de policiers tatillons) pour près d'une vingtaine de millions de Français. L'Ile-de-France, les Hauts-de-France, et certains départements de la Normandie, ainsi que le département des Alpes-Maritimes, vont finalement revivre un troisième confinement « pendant un mois », comme l'a prescrit à la télévision jeudi soir le docteur Castex.
Le « pari » d'Emmanuel Macron que décrivaient avec ravissement les commentateurs il y a encore mois est manifestement perdu. Ce jeudi soir, Jean Castex avait le plus grand mal à expliquer pourquoi le choix de ne pas confiner fin janvier - une décision toute présidentielle - avait été une bonne décision, tout en expliquant qu'il était aujourd'hui urgent de reconfiner. Mais, attention, il s'agit de reconfiner d'une manière « territorialisé » prévient le Premier ministre, qui rappelle que le gouvernement a « appris » depuis un an au sujet de la covid-19.
Nous voilà rassurés. Ces déclarations du 18 mars - tout juste un an après le reconfinement national du printemps 2020 - laisse un goût amer pour les Français qui se sont globalement pliés aux multiples contraintes sanitaires, alors qu'une minorité d'entre-eux continue d'organiser des fêtes entre amis (sans être sanctionnés), ou même de profiter de passe-droits, notamment dans les couloirs des pouvoirs, qu'ils soient politiques, économiques ou médiatiques. Le Canard Enchaîné dévoilait ainsi il y a quelques jours comment des journalistes de la chaîne BFMTV et des médecins de l'APHP avaient l'habitude de déjeuner ensemble dans un restaurant clandestin...
Depuis une semaine, la pression portée sur l'Elysée était maximale. « Si on ferme, on perd », commentait d'ailleurs, mi-fataliste, mi-cynique, un conseiller du président quelques jours avant les annonces Castex, laissant entendre que la décision de reconfiner la région capitale (30 % du PIB français et de la croissance...) aurait forcément des conséquences sur le scrutin présidentiel de 2022. Au château justement, Emmanuel Macron, qui avait annoncé être « en guerre » il y a tout juste un an, et qui avait annoncé aux Français il y a à peine quinze jours qu'il fallait encore tenir « quatre à six semaines », est apparu ces derniers temps particulièrement seul. Tel un général sans armées. Au point de reconnaître lundi, lors d'un déplacement : « Le maître du temps, c'est le virus, malheureusement ». Les Français étaient donc de nouveau suspendus aux décisions de l'Elysée. Quelques heures avant les annonces primo-ministérielles, ils avaient droit à la météo du confinement via les chaînes d'info. On avait alors BFMTV qui militait pour un confinement dur 7/7, sur CNEWS, c'était forcément la chienlit, et LCI optait pour des mesures adaptées pour le coeur économique de la France, quant à France Info... la chaîne publique ne faisait pas semblant de rien savoir...
Mais c'est dans les coulisses du pouvoir que la tension fut à son comble durant cette semaine si cruciale pour le futur immédiat de millions de Français, et pour l'avenir politique et économique du pays. Au coeur même de l'Etat, on assista en réalité à un combat homérique entre le président, désireux de sortir par le haut, et particulièrement soucieux des difficultés économiques, sociales et psychologiques de millions de Français, et un front pro-confinement, inflexible, constitué de Jean Castex, Olivier Véran, le ministre de la Santé, Jérôme Salomon, le patron de la Direction Générale de la Santé, et Martin Hirsch, tout puissant patron de l'APHP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris).
Au coeur des débats : l'analyse des derniers chiffres de l'épidémie. Car ces derniers présentent de nouvelles particularités, notamment en Ile-de-France : baisse de la mortalité, hausse régulière des contaminations mais sans explosion, mais avec des réanimations saturés assurent alors l'APHP et les médecins qui se succèdent sur les plateaux télés. Cet état de fait serait dû à des « variants » du virus plus virulents.
Pourtant, là aussi, les chiffres disponibles dans les tableaux de bord de l'Agence Régionale de Santé Ile-de-France interrogent : l'évolution des âges concernés par les réanimations est resté stable (en dehors des plus de 75 ans qui baissent car ils commencent manifestement à bénéficier des effets vaccination), et surtout, on ne constate pas d'explosion des appels à SOS Médecins, ou d'augmentation significative des interventions SMUR. « Tout cela nous enseigne une chose : contrairement aux discours alarmistes de ces derniers jours, il n'y a pas d'explosion de la circulation du virus telle qu'on la craignait ces derniers mois avec l'arrivée de nouveaux variants », témoigne un médecin de l'APHP sous le sceau de l'anonymat. Est-ce à dire que la décision de reconfinement en Ile-de-France n'a été prise qu'en considérant les difficultés de file active des services des réanimations ?
Rappelons au passage que cette sous capacité hospitalière est le résultat de près de quinze ans de politique hospitalière indexée principalement sur des critères de rentabilité. C'est justement Jean Castex entre 2005 et 2006, alors grand directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère des Solidarités et de la Cohésion Sociale, qui avait introduit cette notion de rentabilité en mettant en place le plan hôpital 2007 et la tarification à l'activité... Ce retour par le passé est pourtant rarement évoqué, y compris par les opposants politiques au gouvernement. On en paye pourtant tous le prix aujourd'hui, et au premier chef, l'économie française.
Le président Macron, sous la pression des médecins et de l'administration de Santé, a donc finalement décidé de nouvelles restrictions aux libertés publiques. Et s'il y a bien une chose qu'Emmanuel Macron déteste, c'est d'être forcé à prendre une décision. De fait, lors des derniers conseils de défense sanitaires, l'ambiance était pesante et glaciale, le président se plaignant régulièrement de ne pas disposer de suffisamment de chiffres précis, notamment sur le nombre de lits finalement ouverts depuis un an, comme le gouvernement s'y était engagé. Devant ses subordonnés, le président s'étonna aussi que l'Ile-de-France se retrouve à être la région la moins vaccinée, malgré son caractère stratégique pour un pays aussi centralisé que la France.
Au delà de ces considérations, c'est en tout cas l'échec total des politiques de prévention en France. Le fameux triptyque « tester/tracer/isoler » n'est toujours pas opérant. Heureusement, l'arrivée massive dans les tous prochains jours d'auto tests va peut être remédier à la situation. Parmi les proches du président, on ne cache plus une certaine amertume : « des têtes vont tomber », espérait encore l'un d'eux quelques heures avant le reconfinement, visant explicitement « les technocrates de la santé ». À ce jeu des responsabilités, pourtant, le président ne sait pas encore s'il en sortira indemne politiquement malgré son irresponsabilité juridique garantie par la Constitution. Car ce troisième reconfinement, à Paris et dans sa région, risque de nouveau de fragiliser tout un tissu économique, déjà grandement fragilisé depuis un an de crise mondiale. Sans parler des conséquences sociales, et psychologiques dans les prochains mois...
Comme un pied de nez aux mandarins qui ne semblent n'avoir en en tête que la solution du reconfinement, le professeur de droit public Paul Cassia publiait une tribune dans Le Monde contre de telles restrictions publiques. Le juriste s'en prenait à « des mesures de type moyenâgeux (...) instaurées dans la précipitation par imitation du précédent chinois », et qui devraient « en temps de paix être totalement bannies de notre ordre juridique, qui ne les connaissait pas avant mars 2020, tant elles sont attentatoires à la dignité de la personne humaine en raison des trop nombreuses privations ou restrictions de libertés du quotidien qu'elles véhiculent, sans par ailleurs aucune certitude documentée quant à leur efficacité sanitaire. » De quoi créer encore de belles prises de bec sur les plateaux télé...