Depuis maintenant bientôt un an, le président Macron multiplie les discours évoquant la « souveraineté ». Dès le début de la pandémie, il expliquait ainsi avoir l'ambition de « rebâtir notre souveraineté nationale et européenne. » Quelques mois plus tôt, dans The Economist, il avait exhorté ses partenaires européens à assurer « l'autonomie stratégique » de l'Europe. Puis, au coeur de l'été, alors que les Français reprenaient quelques forces entre deux vagues épidémiques, Emmanuel Macron est revenu sur le sujet, en affirmant : « Nous devons relocaliser et recréer des forces de production sur nos territoires. La souveraineté sanitaire et industrielle sera l'un des piliers du plan de relance ». Un discours que ne renierait pas un certain Arnaud Montebourg, ancien ministre du « redressement productif » de François Hollande.
Qu'est-il arrivé au président de la « start up nation » et de la « disruption » de 2017 ? Certains commentateurs y voient une nouvelle lubie pour rassurer les Français. À la rentrée de septembre, le président persiste et signe pourtant, et pas n'importe où, devant les acteurs de la « French Tech », en plaidant pour une « souveraineté numérique européenne ». Changement de décor en décembre, dans une usine Framatome au Creusot, mais le discours reste le même : « Le nucléaire restera la pierre angulaire de notre autonomie stratégique », affirme-t-il alors, en annonçant le lancement d'un nouveau projet de porte avions nucléaire pour 2038. Bref, on est bien loin des sommets « Choose France » censés séduire les investisseurs étrangers à coups de célébrations de « l'attractivité française » retrouvée.
Conversion sincère ou stratégie politique
Si certains commentateurs louent ce tournant macronien, d'autres rappellent qu'Emmanuel Macron a commencé son cheminement politique au Mouvement des Citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement, il y a une vingtaine d'années, et que cette célébration de la souveraineté n'est donc qu'un juste retour aux sources. D'autres encore ne croient pas en une conversation sincère du président de la République, ou déplorent que ses discours ne soient pas réellement accompagnés d'une stratégie lisible.
C'est le cas du député LR Olivier Marleix, qui avait présidé dès 2017 une commission d'enquête parlementaire sur les décisions de l'Etat en matière de politique industrielle, et qui a publié il y a quelques jours un réquisitoire contre la politique économique d'Emmanuel Macron (Les liquidateurs, Robert Laffont, 19 euros) : « Dans la France d'Emmanuel Macron, la politique industrielle est faite par les banques d'affaires - plus par l'Etat ; au service de la rentabilité du capital à l'évidence, beaucoup moins au service des salariés ou dans l'intérêt industriel du pays », fustige le parlementaire de droite.
Bien sûr, Marleix ne jette pas uniquement la pierre à Emmanuel Macron. Le député fait ainsi remontrer cette perte de souveraineté industrielle à une quarantaine d'années, fustigeant au passage la « doxa » qui avait cours « dans la France des années 1990 » : « nous devions devenir une "économie de services". Je me souviens d'un dîner avec un collaborateur de Dominique Strauss-Kahn alors ministre de l'Economie livrant une analyse ne souffrant aucune espèce de contradiction : "L'industrie, c'est fini, la mondialisation appelle la spécialisation des économies, nous devons devenir une économie de services, comme l'ont fait les Anglais avec la finance ». Et Marleix d'expliquer : « Derrière ce choix, il y avait une forme de mépris de classe : l'idée que l'économie des services offre un partage de la valeur qui profite plus à l'intelligence qu'à la main, l'idée qu'il vaut mieux être publicitaire parisien qu'ouvrier mosellan. »
Dans son ouvrage, le député Marleix n'oublie pas d'analyser longuement les fragilités de l'économie française, et notamment le fait qu'elle soit particulièrement exposée aux fonds d'investissement étrangers : « Ce diagnostic d'un manque de fonds propres disponibles pour l'investissement est archiconnu mais n'a pas entraîné de changement radical. La réponse par "l'attractivité" recherchée auprès d'investisseurs étrangers, qui est l'alpha et l'oméga de la politique d'Emmanuel Macron, si elle facilite une augmentation de capital a un moment donné, entraîne aussi une perte de contrôle à terme. »
Souveraineté ou attractivité, il va falloir choisir
Justement, Emmanuel Macron, et son « en même temps », ne cesse de jongler ces derniers mois entre les problématiques de souveraineté et d'attractivité. Une attitude pas forcément du goût des investisseurs. Un haut cadre d'une grande boite de la tech américaine nous faisait ainsi part il y a quelques jours de sa lassitude devant « l'activisme » d'Emmanuel Macron et de son gouvernement contre les GAFA : « Son discours sur la souveraineté est vide. Il est mis à toutes les sauces, faute de mieux, comme pour mieux oublier que la France est vraiment à poil sur certains sujets. Résultat, il nous fait un grand numéro de charme, et de l'autre, il nous tape sur la gueule. Cela ressemble de plus en plus à un comportement de marchand de tapis. Car, à la fin de son numéro, il vous demande toujours de signer un chèque, sans que la confiance soit établie. C'est un souci, on assiste à une perte de crédibilité de la parole de la France pour les investisseurs étrangers ». Peut-être, mais pour un responsable politique, de surcroît pour un président, la priorité d'aujourd'hui est de retrouver une crédibilité vis-à-vis des Français.