On disait que les Français ne voulaient pas de ce match retour Macron/Le Pen et pourtant les sondages les placent à nouveau en tête du premier tour de la Présidentielle de 2022. Le candidat Macron avait promis en 2017 de « faire reculer les extrêmes ». A-t-il échoué ?
Son objectif n'a à l'évidence pas été atteint. En 2017, le total des voix Mélenchon/Le Pen/Dupont-Aignan/Asselineau était très élevé, à près de 47%. A trois jours du premier tour de 2022, le total Mélenchon/Dupont-Aignan, Zemmour, Le Pen dépasse 50%.
Mélenchon est d'extrême-gauche selon vous ?
On peut remettre en cause cette qualification et l'addition que je viens de faire. Il n'en reste pas moins que le niveau historiquement bas, voire la quasi-disparition des « partis dits de gouvernement », LR et PS, est amplifié en 2022. Et qu'une majorité de Françaises et de Français se tournent vers un vote de colère et pour les extrêmes. Le bloc Macron reste important, plus élevé même qu'en 2017 : c'est le vote de la France qui va bien, mais Emmanuel Macron n'a pas réussi en cinq ans à faire reculer le bloc tribunicien qui capte l'électorat populaire, crispé après deux ans de Covid dans un sentiment général d'être victime de la mondialisation.
Samedi, les Français vont faire leurs courses et dimanche ils vont voter. Enfin, pour celles et ceux, le quart voire le tiers des électeurs semble-t-il, qui ne s'abstiendront pas. Le choc des prix sur le caddie aura-t-il un impact dans les urnes ? On a le sentiment que le thème du pouvoir d'achat, endossé par Marine Le Pen, a pris le dessus même sur les questions sécuritaires ou d'immigration.
Il est vrai qu'on a observé une mutation récente de la campagne présidentielle vers le pouvoir d'achat, à la faveur de la prise de conscience de l'impact de la guerre en Ukraine sur l'inflation, via en particulier le sujet très sensible des prix des carburants. Cela a pris le pas sur les questions identitaires et migratoires qui avaient fait le succès initial d'un Eric Zemmour face à Marine Le Pen.
D'une certaine façon, on est passé du Grand Remplacement au Grand Déclassement : la mobilité et le risque d'assignation à résidence des Français périphériques, ceux qui ne peuvent pas se passer de leur voiture, a pris une importance majeure avec un impact réel et visible sur la fin du mois de carburants à plus de 2 euros et surtout la crainte d'une poursuite de la hausse si la guerre s'aggrave. Oui, la fin du mois a pris le dessus sur la fin du monde alors que la question du climat était une des principales inquiétudes auparavant.
Derrière l'inflation, c'est aussi toute la question des salaires trop bas, du travail qui paie mal qui ressurgit, avec en ligne de mire le spectre d'un retour des Gilets Jaunes qui ne supportent plus la relégation en périphérie alors que la voiture est pour eux une dépense contrainte à la différence des habitants des métropoles qui ont des transports publics.
Le resserrement très brutal et rapide en cette fin de campagne de l'écart entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen montre une dynamique claire en faveur de la présidente du RN. Emmanuel Macron se serait-il « balladurisé » ?
Les Français ne sont pas sévères avec le bilan du président sortant qui a fait beaucoup pour leur pouvoir d'achat à la faveur de la crise des Gilets Jaunes et de la crise sanitaire, puis énergétique. Dans le rolling Ifop, le président de la République sort en tête de ceux qui peuvent « améliorer la situation financière » des Français. Devant Le Pen et Mélenchon. Mais il y a sans doute un problème de positionnement avec le sentiment d'une campagne en surplomb - président face à Poutine le matin, candidat le soir - qui a inversé sa progression de mars avec l'effet drapeau de la guerre en Ukraine.
Le président reste un rempart face aux crises et au risque de désordre. S'il ne s'est pas « balladurisé », selon moi, car il sera au second tour, il est resté trop statique. Mais il y a en effet une forme de « chiraquisation » de Marine Le Pen que beaucoup de Français jugent « sympathique ». Je n'irais pas jusqu'à dire que les chats de la présidente du Rassemblement national ont le même impact que le fameux « Mangez des pommes » de Jacques Chirac en 1995, mais il y a un peu de ça. L'un des enjeux de dimanche sera de constater de quel côté est la dynamique. Une présidentielle, ça se gagne sur une incarnation et une projection autant que sur un bilan ou un programme. L'incarnation d'Emmanuel Macron est forte, mais il suscite aussi du rejet.
Macron peut-il compter au second tour sur un front républicain comme en 2017 ?
Le second tour, c'est une nouvelle élection qui commence. Quel sera l'écart entre Macron et Le Pen ? Qui sera premier ? Combien feront Mélenchon, Zemmour et Pécresse ? Quelle sera leur place sur la ligne d'arrivée ? Quel sera le niveau réel de l'abstention ? Beaucoup de choses peuvent encore se jouer dans la dernière ligne droite.
2022, c'est différent de 2017. Le débat de 2017 entre Macron et Le Pen s'est fait avec un rapport de force de 59% contre 41%. Le match est plus serré au second tour cette fois, avec selon l'Ifop 52% contre 48%. On n'est pas dans la marge d'erreur, mais la principale inconnue sera en effet l'existence ou non d'un barrage républicain contre Marine Le Pen et l'entrée du RN à l'Elysée, la remobilisation ou non des abstentionnistes, le vote des retraités et des personnes âgées, pour l'heure plutôt en faveur de Macron.
La dynamique Mélenchon est forte aussi. Le discours du « vote utile » est-il de nature à démentir les sondages pour lui permettre d'affronter Macron au second tour ?
Sa dynamique est réelle : Mélenchon est passé de 13,5% mi mars à au moins 17,5%, proche de son score de 2017, un peu plus de 19%. C'est le troisième homme de 2022 et c'est sa dernière chance donc il joue gros. La logique de vote utile est perceptible dans la chute de Jadot vers les 5% et de Roussel dont le soufflé est retombé au même niveau qu'Hidalgo, autour de 2,5%. Le problème, c'est que la dynamique Mélenchon ne prend pas sur la dynamique Le Pen auprès de l'électorat populaire. Mélenchon et son Union Populaire est hégémonique à gauche, mais il reste à distance de la qualification, faute de rassemblement en sa faveur.
Va-t-on assister après le premier tour à la Grande Disparition de LR et du PS, tel que nous les avons connus ?
LR va connaître sa troisième défaite de suite depuis 2012 avec l'échec de Sarkozy face à Hollande. 2022 va porter un nouveau coup aux deux partis qui ont alterné pour gouverner la France. Sera-t-il fatal ? En tout cas, le hiatus se creuse encore plus entre le poids de ces deux partis traditionnels qui gouverne et domine à l'échelle locale des villes, des départements et des régions mais a disparu du paysage politique à l'échelon national. Je pense que LR va affronter un temps de recomposition brutal qui dépendra de l'ordre d'arrivée entre Zemmour et Pécresse et des reports de voix en cas de second tour Macron/Le Pen. Quelle sera la position dimanche soir des ténors des Républicains, Ciotti, Wauquiez, mais aussi Pécresse et Sarkozy. Qui appellera à voter pour qui ? La soirée électorale sera intéressante.
C'est une élection présidentielle qui va accélérer en l'amplifiant la recomposition du paysage politique français. Si c'est le troisième « 21 avril 2002 » de la gauche et la troisième défaite consécutive de la gauche de gouvernement, et le troisième échec de Mélenchon, cela ouvrira la voie à des changements profonds de stratégie dont on aura sans doute une première photographie avec les élections législatives de juin prochain.