![Rémy Rioux, le directeur général de l’Agence française de développement (AFD)](https://static.latribune.fr/full_width/2370845/remy-rioux.jpg)
Il y a un large consensus chez les Européens sur la nécessité d'une solidarité internationale, dans un monde où le risque de divisions augmente, souligne Rémy Rioux, le directeur général de l'AFD.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Cette année, vous avez élargi votre enquête annuelle sur la perception par les Européens de la politique de développement à quatre autres pays en raison de la tenue des élections européennes : l'Allemagne, l'Italie, la Pologne et la Suède. Quel est le premier enseignement que vous en tirez ?
RÉMY RIOUX - À l'heure où l'on ne parle que d'une Europe divisée et tentée par des forces prônant le repli national, ce sondage montre à l'inverse des Européens très conscients des interdépendances et appelant à des réponses collectives. Les sondés s'intéressent à l'actualité internationale - six sur dix le font quotidiennement -, et pensent très majoritairement que les solutions passent par plus de coopération. Plus de deux Européens sur trois soutiennent l'action internationale, de l'Europe comme de leur propre pays, en direction du « Sud global ». J'ai été surpris par le soutien très élevé des Italiens et des Polonais. Ce sondage montre un fort consensus des Européens sur la nécessité d'une solidarité internationale, non sans angoisse bien sûr face à un monde qui se fragmente, comme on le voit sur l'enjeu migratoire.
En effet, l'apport des migrants à l'économie et à la culture est perçu majoritairement comme négatif, notamment en France et en Pologne. Pourquoi ?
La contribution des migrants à l'économie et à la culture des pays européens n'est pas une question tranchée : en Pologne et en France le négatif l'emporte, mais en Italie et en Suède elle est jugée positive. En revanche, tous les Européens ou presque - entre deux tiers et 80% - appellent à aider les pays les plus fragiles et à investir dans les thématiques associées aux migrations : lutte contre la traite des êtres humains, soutien aux déplacés, entrepreneuriat et création d'emplois dans les pays en développement. La seule réponse durable au défi migratoire, c'est un développement partagé entre l'Europe et l'Afrique.
Au fil des questions, on note que le soutien des Français se situe régulièrement quelques points en dessous de celui des autres pays, et celui des Italiens plutôt au-dessus. Comment l'expliquez-vous ?
La politique de développement italienne s'était affaiblie ces quinze dernières années, avec les difficultés financières et budgétaires du pays. Puis Matteo Renzi a réformé le dispositif, donnant un rôle à la Cassa Depositi e Prestiti (l'équivalent de la Caisse des dépôts et consignations), à laquelle Mario Draghi a ensuite confié un grand fonds dédié au climat. Giorgia Meloni, qui préside le G7 cette année, cherche à raviver les liens de l'Italie avec l'Afrique. Plus de huit Italiens sur dix sont visiblement d'accord avec ces orientations successives.
Pour les Français, vous évoquez une forme de scepticisme...
Leur soutien reste très solide : 66% des Français sont favorables à ce que nous soutenions les pays en développement. Ils sont désormais près de 50% à juger efficace notre politique d'investissement solidaire et durable. La tendance est ici très positive : les Français n'étaient que 31% à croire en son efficacité en 2019. C'est le fruit de l'action résolue du président et du gouvernement depuis 2017, qui a permis de doubler l'activité de l'AFD, portée à près de 14 milliards d'euros l'année dernière. La relation de la France avec le reste du monde est complexe et en mutation, bien sûr. L'AFD contribue à tisser des liens positifs.
Le sondage montre aussi que 47% des Européens font un lien entre la réduction des inégalités sociales et la lutte pour la protection de l'environnement...
C'est l'un des messages du Pacte de Paris pour les peuples de la planète, lancé en juin dernier lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Il faut cesser d'opposer climat et développement, car les dérèglements environnementaux, sociaux et économiques se nourrissent les uns les autres, partout dans le monde et d'abord dans les territoires les plus vulnérables. Chaque pays doit définir sa propre trajectoire pour les réconcilier. C'est le sens de l'agenda des objectifs de développement durable (ODD), connu de 59% des Européens. Il suppose de mobiliser beaucoup plus de financements publics et privés. L'aide au développement est très précieuse, mais elle ne pèse que 225 milliards d'euros par an, alors que les besoins d'investissements durables se comptent en milliers de milliards de dollars. Ces ressources financières existent : il faut que les 530 banques publiques de développement, réunies au sein du mouvement Finance en commun (Fics), et les marchés financiers améliorent rapidement la qualité des investissements et les orientent vers là où ils sont le plus nécessaires.
La pandémie du Covid-19, le retour de l'inflation, le changement climatique, la montée des risques géopolitiques avec les guerres en Ukraine et à Gaza, tout cela n'a-t-il pas démontré la nécessité d'une action internationale ?
Rappelez-vous : la plupart des organisations internationales actuelles sont nées au cœur de la guerre froide. Lorsque les tensions géopolitiques augmentent - et le stress est intense aujourd'hui dans le monde -, des acteurs s'engagent pour éviter la fracturation et renforcer la coopération internationale. Ce n'est pas un hasard si un grand débat s'est ouvert sur la légitimité et la réforme des institutions internationales, en premier lieu le FMI et la Banque mondiale, où les pays émergents demandent une place plus conforme à leur poids économique et politique. Ce débat est bienvenu. Il signifie au fond, comme le dit très nettement ce sondage, que nous n'avons pas renoncé à coopérer pour un monde en commun.