Au moment de trancher sur l'aide d'urgence à apporter aux ménages dans le contexte de la flambée des prix du carburant, le dilemme, au sein du gouvernement et auprès de certains économistes, portait sur le dispositif à adopter : fallait-il frapper vite en distribuant massivement une aide pécuniaire au plus grand nombre, ou plutôt s'orienter sur un dispositif cousu main afin de s'assurer de l'efficacité de la mesure et aussi éviter l'envolée de la facture pour l'Etat ?
A ce débat, l'exécutif avait tranché pour la première solution, en octroyant un financement de 100 euros pour les ménages gagnant moins de 2.000 euros par mois, soit 38 millions de Français. "Salariés, indépendants, retraités, chômeurs, allocataires des minimas sociaux, étudiants boursiers", sont éligibles selon le gouvernement. Son coût pour les finances publiques est estimé à 3,8 milliards d'euros.
La Chambre haute propose des mesures plus ciblées
Le Sénat a relancé hier soir la discussion, en retoquant, dans le cadre de l'examen du second projet de budget rectifié pour 2021, la mesure proposée. Le Sénat dominé par l'opposition de droite a supprimé mercredi l'"indemnité inflation", pour lui substituer un renforcement "ponctuel" de dispositifs existants jugés "mieux ciblés".
La Haute assemblée a adopté par 145 pour, 30 voix contre et 168 abstentions, en première lecture, ce projet de loi de finances rectificative (PLFR) dit "de fin de gestion" ainsi modifié. L'Assemblée nationale pourra néanmoins rétablir le texte du gouvernement.
Pour le rapporteur général de la commission des Finances du Sénat Jean-François Husson (LR), cette "mesure électoraliste (...) cumule les inconvénients" : outre son coût "très élevé" pour l'Etat, des "effets de seuil massifs" et "d'importants effets d'aubaine imputables à son défaut de ciblage".
En lieu et place, le Sénat a voté à main levée, avec les seules voix du groupe Les Républicains, une majoration exceptionnelle de 150 euros de la prime d'activité, une allocation exceptionnelle de 150 euros pour les bénéficiaires de minima sociaux et de prestations sociales, ainsi qu'une dotation supplémentaire destinée aux aides à la mobilité versées au cas par cas aux chômeurs et jeunes en parcours d'insertion. Jean-François Husson a vanté un dispositif "mieux ciblé", avec un coût pour l'Etat ramené à 1,5 milliard d'euros.
"Cadeau de Noël" et "trous dans la raquette"
Le groupe centriste a choisi de s'abstenir, Vincent Capo-Canellas disant son "scepticisme" face à un dispositif qui "laisse beaucoup de trous dans la raquette", travailleurs indépendants et retraités notamment.
Pour Rémi Féraud (PS), les deux dispositifs, celui du gouvernement comme celui du rapporteur, "sont insatisfaisants, mais on peut continuer encore à chercher ensemble de meilleures solutions".
"Tout le monde y va de son cadeau de Noël", a lancé Sophie Taillé-Polian pour le groupe écologiste. "Ces aides qui ne sont que ponctuelles ne peuvent suffire à un problème de pouvoir d'achat qui s'inscrit dans la durée", a-t-elle ajouté. Pour Pascal Savoldelli (CRCE à majorité communiste), "c'est la distribution des miettes".
Une inflation qui devrait durer
Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait dans les colonnes de La Tribune que, "pour répondre à l'urgence, il faut créer le dispositif du chèque essence de toutes pièces. Il faut de la transparence sur les critères d'attribution". L'économiste ajoutait que "ces chèques pourraient bien être pérennisés à l'avenir."
Et pour cause : les derniers chiffres de l'inflation dévoilés par l'Insee montrent que les prix de l'énergie font grimper la hausse générale des prix. "Cette hausse est visible partout en Europe. C'est une hausse qui va se poursuivre dans les prochains mois, notamment en raison de l'hiver. L'impact de la hausse des prix sur les marchés de l'énergie va se poursuivre. On estime qu'il faudra attendre le troisième trimestre 2022 pour observer une contribution négative des prix de l'énergie. Les prix vont probablement rester plus hauts plus longtemps que prévu", a déclaré récemment l'économiste d'ING Charlotte de Montpellier en charge du suivi de la France.
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