"L'argent des contribuables n'appartient pas à l'État ni aux collectivités" Carole Delga, Régions de France

GRAND ENTRETIEN. Déjà en campagne depuis le 2 mars dernier aux côtés des maires et des départements, les régions publient ce 8 mars leur livre blanc. Objectif : interpeller les candidats à l'élection présidentielle mais aussi dévoiler une feuille de route politique que les conseils régionaux soumettront au prochain gouvernement quel que soit celui élu. Réélue en Occitanie en juillet 2021 avant de prendre la tête de l'association Régions de France, Carole Delga dévoile à La Tribune les réformes qu'elle juge prioritaires.
César Armand
La présidente (PS) de l'association d'élus Régions de France est également à la tête du conseil régional d'Occitanie depuis décembre 2015.
La présidente (PS) de l'association d'élus Régions de France est également à la tête du conseil régional d'Occitanie depuis décembre 2015. (Crédits : Rémi Benoit)

Élue présidente (PS) de l'association Régions de France en juillet 2021, Carole Delga avait promis d'adresser un livre blanc aux candidats à l'élection présidentielle. La patronne du conseil régional d'Occitanie estime alors qu'il faut "une action publique lisible, compréhensible et surtout qui réponde aux préoccupations de nos concitoyens et qui anticipe les mutations".

Sept mois se sont écoulés et l'ancienne ministre de François Hollande, qui juge "insuffisante" la loi "3DS" (décentralisation, déconcentration, différenciation et simplification de l'action publique) sort du bois dans La Tribune. Au cœur du programme des régions : le développement économique, l'autonomie fiscale et financière mais aussi la lutte contre le dérèglement climatique.

LA TRIBUNE - Une semaine après avoir publié une "Déclaration des libertés locales" avec l'association des maires de France et l'Assemblée des départements de France, Régions de France que vous présidez publie un livre blanc. Quelle est la différence ?

CAROLE DELGA - Il n'y a pas de différence dans la démarche. Nous partageons un socle de valeurs communes dans la vision qui est la nôtre des rapports de l'État central avec les collectivités. Ces valeurs se retrouvent dans les trois ambitions du livre blanc.

Il s'agit tout d'abord de régénérer notre vie démocratique pour que nos concitoyens retrouvent confiance dans l'action publique. Cela suppose que les responsabilités de chacun soient clairement établies.

Il s'agit ensuite de libérer les énergies. Nous mettons en avant un principe de subsidiarité ascendante. Dans les politiques publiques, la pertinence d'une gestion à l'échelon local doit être examinée en premier, et ne remonter à l'échelon national que si des considérations d'efficacité ou d'intérêt général l'imposent. De cette manière, nous pouvons garantir aux citoyens et aux porteurs de projet des réponses adaptées, innovante et rapides. C'est la garantie que toutes les initiatives privées puissent se développer dans les meilleures conditions.

Enfin, nous souhaitons rétablir la confiance entre l'échelon national et l'échelon local. Les collectivités locales ne sont pas les ennemies du pouvoir central. Elles veulent être respectées dans leurs prérogatives, mais sont prêtes à être des partenaires de l'action publique ! Les régions font partie de l'équipe de France.

Ces trois ambitions sont le socle commun des grandes associations d'élus. Ensuite, chacun peut souhaiter les appliquer de manière plus spécifique. C'est ce que nous faisons avec ce livre blanc, qui interpelle les candidats, mais constitue aussi une feuille de route politique que les régions tiendront dans le travail avec le prochain gouvernement.

En proposant la tenue d'États généraux pour élaborer les réformes nécessaires, nous montrons bien que nous ne sommes pas sectaires ni dogmatiques, et nous savons bien qu'il faudra dialoguer et élaborer des compromis, avec l'État bien sûr, et aussi avec les autres échelons de collectivités.

A cet égard, vous proposez d'actionner 4 leviers : celui de la Constitution et de la gouvernance d'abord. Croyez-vous vraiment en une plus grande autonomie pour les pouvoirs locaux, alors que les chefs d'État successifs l'ont toujours rejetée ?

Oui, nous y croyons, parce que c'est une nécessité démocratique. Tout d'abord, il n'est pas exact que tous les chefs d'État successifs l'aient rejeté. Pensons à François Mitterrand, puis à Jacques Chirac, et même aux réformes conduites sous Nicolas Sarkozy, puis des avancées notables sous François Hollande. Elles n'allaient pas aussi loin que souhaité, pour certaines, mais elles ont fait avancer le sujet.

Aujourd'hui, la Constitution maintient des blocages désuets, comme le fait par exemple que des collectivités appartenant à une même strate ne puissent pas gérer des compétences différentes, ce qui limite considérablement le droit à la différenciation. Il ne serait pas très compliqué de supprimer cette contrainte. J'observe d'ailleurs que le projet de réforme constitutionnelle que le gouvernement voulait faire adopter en début de mandature prévoyait cette possibilité. L'absence de pouvoir réglementaire autonome est également un frein important à une plus grande autonomie décisionnelle.

L'autonomie, ce n'est pas s'affranchir de la République. C'est avoir la capacité d'agir dans les domaines pour lesquels la loi a confié des compétences aux collectivités et en être pleinement responsables. Ces évolutions, assez marginales, donnent les degrés de liberté sans lesquels il n'est pas possible d'avancer. Elles sont relativement consensuelles. Et les Français y aspirent.

Comment pouvez-vous être certaine que les Français réclament plus d'autonomie pour les collectivités territoriales ?

Nos concitoyens en ont assez des exécutants, ils veulent des élus responsables, engagés et déterminés. Et les présidents de région y ont pleinement répondu avec la crise sanitaire et ses conséquences économiques. C'est d'ailleurs ce que laisse entendre un sondage IFOP pour le congrès des Régions 2021. Selon ce sondage, 65% des gens disent que donner plus de pouvoir aux régions les inciterait davantage à aller voter.

L'État central lui-même y a intérêt, afin de pouvoir se concentrer sur ses missions et engager un dialogue partenarial, franc et respectueux avec élus locaux, qui partagent avec lui la charge de l'action publique. Voilà pourquoi nous y croyons, pour la France et pour la République.

En réalité, l'autonomie est une coquille vide sans l'autonomie financière et fiscale, mais le président-candidat Macron, pour ne citer que lui, a mis en garde les maires lors de leur dernier congrès sur ce sujet. Aussi, pourquoi les pouvoirs exécutif et législatif accepteraient-ils de confier aux conseils régionaux un pouvoir décisionnaire dans la fiscalité régionale ?

CAROLE DELGA : Le Président de la République a indiqué à deux reprises, devant les maires (en 2019 et en 2021) qu'il était prêt à s'engager dans la voie d'un partage de grands impôts nationaux. C'est exactement la proposition que nous formulons.

Aujourd'hui, la TVA représente la moitié des ressources des régions, mais la fraction qui nous est attribuée dépend d'une seule ligne dans la loi de finances. C'est complètement unilatéral. Or, il faut un dialogue politique autour de la question des prélèvements. C'est là encore un enjeu de démocratie. L'argent des contribuables n'appartient pas à l'État ni aux collectivités. Nous en sommes les gestionnaires.

Il est normal de pouvoir mettre en balance auprès de nos concitoyens un niveau d'offre de service public et un niveau de prélèvement. Donc, pour les régions, qui ne veulent pas créer un nouvel impôt, la solution qui s'impose naturellement, c'est avoir un pouvoir de co-décision, et donc une co-responsabilité politique, avec l'État, sur les ressources fiscales partagées.

Dans un autre registre, vous aimeriez que les régions se voient déléguer des pouvoirs pour répondre aux enjeux climatiques et lutter pour la préservation de la biodiversité sur leur territoire. Lesquels par exemple ? Les conseils régionaux sont déjà chefs de file pour le développement économique, les aides aux entreprises, les mobilités, la biodiversité, ou encore la transition énergétique.

Autant le rôle des régions en termes de soutien à l'économie est à peu près clairement défini, même s'il a fallu que Jacqueline Gourault le rappelle à certains pendant la crise sanitaire, c'est moins clair dans les autres domaines.

Nous souhaitons des compétences renforcées en termes de mobilité. Par exemple avoir la possibilité de piloter le déploiement d'un réseau des bornes de recharges pour les véhicules électriques. C'est une obligation si on veut rendre réellement accessible l'usage de ce mode de transport sur des trajets domicile - travail, notamment pour les gens qui habitent en collectif et ne peuvent pas se connecter à leur installation.

Nous souhaitons aussi pouvoir créer des agences de la mobilité pour faciliter les entrées et sorties des grandes métropoles. Nous souhaitons un choc d'offre sur le ferroviaire. Toutes ces demandes visent à offrir à nos concitoyens des alternatives économiquement rationnelles à la voiture individuelle thermique. C'est fondamental.

Et concernant la transition écologique ?

Alors que la France est très en retard sur la trajectoire de production d'énergies renouvelables, et que les crises que nous connaissons renforcent l'importance de la souveraineté énergétique, les projets d'énergies renouvelables sont trop souvent victimes d'un excès de centralité. Nous proposons que les régions soient mieux associées à la définition des objectifs et des appels d'offres pour faire en sorte que les habitants s'approprient ces projets qui, s'ils sont bien conçus, peuvent être de vraies opportunités économiques pour les territoires.

Enfin, nous voulons que les régions qui gèrent déjà les parcs naturels régionaux et à qui la loi 3DS vient de transférer la gestion des sites Natura 2000 puissent être pleinement responsables de la politique de préservation de la biodiversité sur leur territoire. Ce sera une discussion que nous devrons avoir avec les départements s'agissant des espaces naturels sensibles, avec l'État pour le transfert des parcs et réserves nationaux, ainsi que la régionalisation de l'ONF pour donner aux régions les moyens de gérer la ressource forestière, aux confins de l'économie, de l'agriculture et de la transition écologique.

N'est-il justement pas venu le moment d'accélérer le mouvement au regard de notre dépendance à l'égard des gaz fossiles russo-ukrainiens ?

Si, absolument. Nous devons multiplier nos sources d'approvisionnement et renforcer notre indépendance énergétique. Quelles que soient les décisions qui seront prise en matière de nucléaire, tout le monde sait que ça ne suffira pas. L'enjeu est de passer vraiment à une nouvelle échelle en matière de production d'énergies renouvelables. Par ailleurs, il faut accompagner les ménages vers la sobriété énergétique.

Lire aussi 11 mn« Sobriété énergétique », le grand tabou en pleine flambée des prix

J'ai évoqué la question du transport, qui est responsable d'une large part des émissions de CO2.  Il y a aussi la question du logement. Nous devons encore accélérer les rénovations thermiques des bâtiments. Le gouvernement a mis en place des outils ambitieux. Mais là encore, ils sont trop centralisés. C'est un travail de détail, au plus près de nos concitoyens qu'il faut faire.

Cet accompagnement demande de la proximité, et de surcroît, les conditions climatiques ne sont pas les même du Sud au Nord de la France, à l'Est ou à l'Ouest, sans parler des Outre-mer ! Les régions revendiquent un rôle accru dans ce domaine.

César Armand
Commentaires 5
à écrit le 09/03/2022 à 9:16
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Décentraliser pour créer encore et encore de nouveaux postes d'administratifs ? Sûrement ! Il faudrait surtout que le pouvoir central tienne ses promesses, à savoir fermer l'ENA comme promis en 2017, école qui ne sert qu'à créer de la norme, de la lo...

à écrit le 09/03/2022 à 8:58
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On peut rappeler que Carole delga présidente de la Région Occitanie se disait favorable à une vaccination obligatoire pour tous dès cet automne dernier . "On ne peut pas se permettre d’avoir des hôpitaux saturés", dit-elle.Ah,ah

à écrit le 08/03/2022 à 19:46
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Avec l'UE de Bruxelles, la mission des régions est de déconstruire la France!

à écrit le 08/03/2022 à 18:04
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comment ca se fait que le livre est blanc??????? ca manque serieusement de diversite!!! est ce que les minorites sont representees, ou y a t il du patriarcat blanc donc capitaliste? en quoi ca ameliore le sort des lgbt ( comme ce qu'on a reproche a l...

à écrit le 08/03/2022 à 17:28
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En effet il appartient aux actionnaires milliardaires ! Bien vu Carole ! ^^

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