Les crimes commis par l'armée russe sur le territoire ukrainien ont ravivé les débats sur la nécessité de durcir les sanctions en Europe. Après les Etats-Unis et le Canada, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a appelé lundi les dirigeants des 27 à instaurer des "embargos contraignants" sur les importations énergétiques russes, et accusé la Russie d'avoir commis des "crimes de guerre" en Ukraine. "L'Europe doit accélérer sur sa politique de dépendance zéro vis-à-vis du Kremlin, se libérer des approvisionnements énergétiques russes, mettre en place des embargos contraignants et cesser de financer indirectement les bombes", a déclaré la responsable en ouverture de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg.
Cette déclaration intervient alors que les dirigeants des 27 discutent en "urgence" de nouvelles sanctions contre Moscou, selon le haut représentant de l'UE Josep Borrell. Paris et Berlin ont récemment décidé d'expulser des diplomates russes de leur territoire.
Comment enrayer la machine de guerre russe sans le payer au prix fort?
Alors que les 27 membres de l'Union européenne doivent annoncer une nouvelle salve de sanctions mercredi, le Conseil d'analyse économique (CAE) vient de dévoiler une note particulièrement éclairante sur l'impact macroéconomique d'un embargo européen sur les importations russes.
Il apparaît que l'impact global serait "modéré" même s'il existe des disparités. Depuis le début du conflit, les Etats européens sont confrontés à un dilemme particulièrement délicat à traiter. Comment enrayer la machine de guerre russe sans payer au prix fort l'application des sanctions ? Pour rappel, l'Europe a déjà acheté plusieurs dizaines de milliards d'euros de gaz et de pétrole russe depuis le début du conflit. Au pied du mur, les Etats doivent surmonter leurs divisions pour annoncer une nouvelle panoplie de mesures à l'encontre du Kremlin.
Des impacts très variables selon les pays: de 0,15% du RNB jusqu'à 5%
La privation de gaz, de pétrole ou de charbon russes aura évidemment des répercussions différentes selon le degré d'exposition du pays. Pour la France, les économistes David Baqaee, Benjamin Moll, Camille Landais et Philippe Martin estiment que l'impact sera relativement "faible", estimé entre 0,15% et 0,3% du revenu national brut (le RNB prend en compte le solde des flux de revenus provenant de l'étranger), soit entre 3,6 et 7,2 milliards d'euros selon nos calculs.
A l'opposé, l'Allemagne dont le modèle économique dépend en grande partie de l'industrie très consommatrice d'énergie pourrait pâtir plus largement d'un tel embargo. Les répercussions négatives sont plus importantes avec une perte du RNB estimé entre 0,3% et 3% dans un scénario pessimiste, soit entre 11 milliards d'euros et 110 milliards d'euros. Sur ce point, la coalition allemande a d'ailleurs montré plus de réticences que d'autres grandes puissances de la zone euro à se couper de l'énergie russe.
Enfin, certains Etats devraient subir de plein fouet les effets d'une telle coupure. Il s'agit en particulier de la Bulgarie, la Finlande, la Lituanie, la République tchèque ou la Slovaquie. Ces pays pourraient enregistrer des pertes de RNB comprises entre 1% et 5% du revenu national brut selon les calculs du Conseil d'analyse économique.
Des économies et des entreprises capables de minimiser l'impact du choc
Cet impact relativement modéré sur l'économie européenne peut s'expliquer par les capacités des Etats et des entreprises à encaisser un tel choc. Les deux longues années de pandémie ont montré que beaucoup d'économies étaient capables de rebondir malgré le plongeon vertigineux de l'activité dans de nombreux pays. "L'analyse des expériences historiques de chocs très forts (Fukushima au Japon ou Covid-19 en Chine) ayant des effets potentiels tout au long des chaînes de valeur de production montre également que les entreprises, individuellement, et l'économie, globalement, sont capables de minimiser l'impact du choc", explique le centre de recherche rattaché au Premier ministre.
Pétrole et gaz: des capacités de substitution limitées
Le centre d'analyse présidé par l'économiste Philippe Martin estime que les entreprises et les pays sont capables à court terme de trouver des sources d'énergie et des biens intermédiaires ou finaux de substitution. Les capacités de substitution pourraient être cependant limitées.
L'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis ont récemment montré leur réticence à augmenter leur offre de pétrole. Les producteurs de schiste américains sont actuellement freinés par des goulets d'étranglement sur les chaînes d'approvisionnement et des pénuries de main-d'oeuvre. Enfin, la livraison plus volumineuse de gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe nécessite des terminaux spécifiques souvent absents des ports du Vieux continent.
En outre, la perspective d'un conflit à rallonge pourrait changer la donne. En effet, la plus grande indépendance énergétique de l'Europe va nécessiter des investissements considérables dans des sources d'énergie plus durables. Or, sur ce point, la France est le seul pays de l'Union européenne à ne pas être parvenu à remplir ses objectifs en matière d'énergie renouvelable dans la consommation finale brute.
Les droits de douane sont plus efficaces qu'un embargo, affirme le CAE
Parmi les autres options sur la table, un renforcement des droits de douane sur les importations énergétiques russes, par exemple de 40%, serait "plus efficace qu'un embargo strict", estime l'étude. Elle entraînerait une "réduction très forte des importations", d'environ 80%, tout en réduisant "fortement", en les divisant par 3 ou 4, les pertes économiques des pays les plus dépendants de la Russie.
Les économistes préconisent néanmoins la mise en oeuvre de politiques budgétaire et monétaire ciblées sur les secteurs et ménages les plus pénalisés par la hausse des prix du gaz qu'un embargo ou un relèvement des droits de douanes entraineraient afin d'éviter une amplification du choc énergétique.
Des perspectives de croissance en berne
Il est encore difficile à ce stade d'évaluer toutes les conséquences macroéconomiques de la guerre. La plupart des instituts de prévision ont révisé à la baisse leurs chiffres de croissance pour 2022. Après un fort rebond en 2021 dans le sillage du plongeon de 2020, l'économie française souffre de la hausse des prix de l'énergie. Après l'industrie, les entreprises du tertiaire sont actuellement confrontées à une hausse des coûts.
Le dernier indice PMI Markit dévoilé ce mardi 5 avril indique que "l'inflation des prix payés s'est fortement accélérée pour atteindre son plus haut niveau historique en mars, poussant les prestataires de services français à augmenter leurs tarifs à un rythme record." Si l'inflation semble moins frapper la France que la plupart des pays européens, la mise en œuvre d'un embargo sur l'énergie russe à l'échelle de la zone euro aura forcément des répercussions sur les prix de l'énergie et donc sur la croissance à court terme. Cette perspective risque de compliquer la tâche des diplomates européens pour parvenir à un accord sur les sanctions.