LA TRIBUNE- Le gouvernement s'apprête à envoyer de nouvelles prévisions à Bruxelles dans le cadre du programme de stabilité après un déficit plus important que prévu en 2023. À quoi faut-il s'attendre ?
VALERIE RABAULT- Le gouvernement nous dévoile ses véritables intentions lorsqu'il envoie ses programmes à Bruxelles. Ce qui est quand même ahurissant. C'était par exemple le cas sur la réforme des retraites. Par ailleurs, le gouvernement se fait souvent retoquer par Bruxelles sur le calcul du déficit structurel car il a souvent tendance à le minorer. De son côté, la Commission refait son calcul, ce qui fait souvent apparaître un déficit structurel plus dégradé.
Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a réaffirmé son dogme de ne pas augmenter les impôts. Pensez-vous que le gouvernement va pouvoir échapper à une hausse de la fiscalité pour revenir à 3% de déficit ?
Je pense que l'objectif de déficit à 3% du PIB est inatteignable, sauf à endommager très sérieusement l'économie française. Pour rappel, chaque fois que la France a réussi à réduire son déficit de 0,5 point de PIB, c'était avec une croissance supérieure à 2%, sauf en 2013 mais on en a vu les conséquences sur l'économie. Réduire le déficit sans croissance économique endommage toujours l'économie.
Sur les hausses d'impôts, on sait que la France a un système social plus avantageux que dans d'autres pays. Il repose donc sur un pacte social qui nécessite d'avoir des recettes fiscales en face. Depuis quatre ans, le gouvernement refuse la taxation des superprofits alors que dans sa majorité, le MoDem a proposé une taxation des superdividendes.
Et la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun Pivet vient de dire qu'elle n'était pas opposée à la taxation des superprofits. Le gouvernement est seul aujourd'hui à ne pas vouloir taxer les super profits, il n'est plus suivi par une partie de sa majorité sur cette position dogmatique. Je pense que le gouvernement finira par augmenter les impôts. Mais je ne sais pas encore sous quelle forme. Avec la publication de l'INSEE qui a révélé un déficit pour 2023 beaucoup plus important qu'annoncé, le gouvernement se prend un coup de boomerang. C'est quand même un dérapage à 17 /18 milliards d'euros, c'est violent.
Comment expliquez-vous un tel dérapage des finances publiques ?
Je constate que ce dérapage découle avant tout de moindres recettes, et principalement celles de l'impôt sur les sociétés et celles de la TVA, qui touchent au cœur de l'économie. Ceci révèle que la France a un vrai problème sur le réacteur de l'économie. Il est étonnant que le gouvernement n'ait pas vu le problème plus récemment. Chaque mois, Bercy publie la situation de l'État. On avait vu que les recettes sur la TVA rentraient moins que prévu.
Valérie Rabault au perchoir de l'hémicycle à l'automne dernier. Crédits : Reuters.
La politique de l'offre à coup de baisse d'impôts est-elle responsable ?
La politique de l'offre ne peut fonctionner que s'il y a un vrai cap d'investissements. Pour que l'argent ait un rôle productif, il faut qu'il y ait une feuille de route. Or, ce n'est pas le cas actuellement. Quand Bruno Le Maire affirme qu'il va falloir revoir France 2030 car le plan d'investissement ne fonctionne pas aussi bien que prévu, il aurait pu se souvenir des alertes que nous avions formulées, en critiquant le saupoudrage sur beaucoup de secteurs. Or, il faut mieux se concentrer sur quelques grands axes pour pouvoir entraîner le reste de l'économie.
En plein coup de frein sur la croissance, est-il urgent de redresser les finances publiques ?
Compte tenu des problèmes de recettes, il faut doper la croissance économique. Sur l'investissement, il est difficile actuellement de financer des projets. Mais il faut accentuer les efforts sur la rénovation énergétique et la construction. Il ne faut pas oublier le volet investissement. Sinon, la France va s'enfermer dans un cycle infernal. Faute de croissance économique, la France n'a pas assez de recettes fiscales. Cela va se traduire par du chômage.
Faut-il taxer les plus riches ou les superprofits ?
Il faut taxer les superprofits pour des raisons de justice fiscale. Le FMI, la Banque mondiale, la BCE et l'Insee avaient dit que les superprofits alimentaient l'inflation. Sur les plus hauts patrimoines, je suis pour un retour de l'impôt sur la fortune. Nous proposons la création d'un ISF vert pour 1% des ménages (400.000) qui détiennent le plus de patrimoine financier (supérieur à 2,2 millions d'euros). Plusieurs pays ont mis à contribution les plus hauts revenus. Dans un contexte de finances publiques dégradées, il faut mettre à contribution ceux qui peuvent le plus.
Le gouvernement semble vouloir s'attaquer à l'assurance-chômage ou aux dépenses de santé. Quelles sont les pistes d'économies à cibler en priorité selon vous ?
C'est un non-sens de s'attaquer aux dépenses de santé quand la France a un problème de recettes. Le gouvernement peut regarder quelques niches fiscales. L'autre levier est le coût de la dette. L'exécutif devrait mobiliser une équipe à temps plein pour aller chercher des pistes afin que la France emprunte à un meilleur coût. Il est plus pertinent d'aller récupérer des milliards ici que de couper dans les dépenses ailleurs. Les émissions indexées sur l'inflation représentent 10% du stock mais elles représentent 30% du coût des intérêts payés sur la dette.
Les agences de notation vont bientôt rendre leur verdict sur la France. Pourraient-elles infliger un camouflet au gouvernement ?
Les derniers dérapages sur les finances publiques donnent l'impression que la situation budgétaire n'est pas sous contrôle. Ces dérapages ne font pas sérieux. Le gouvernement ne peut pas découvrir qu'il manque 18 milliards d'euros comme ça.
Propos recueillis par Grégoire Normand