La France va-t-elle échapper à une hausse de la fiscalité d'ici à la fin du quinquennat ? Alors que le gouvernement a promis une baisse de la fiscalité sur les classes moyennes de deux milliards d'euros, le scénario d'une hausse d'impôts est balayé d'un revers de la main par Bruno Le Maire. Le ministre de l'Economie martèle en effet sur tous les plateaux TV qu'il s'oppose farouchement à toute hausse d'impôts. Il l'a redit le 6 mars dernier lors de son audition en Commission des finances à l'Assemblée nationale : « L'option d'augmenter les impôts est une impasse. Pour une raison qui est simple : nous avons le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de toute l'Union européenne ».
Plutôt que de parler de hausse de la fiscalité, le gouvernement préfère mettre en avant l'impact des baisses d'impôts réalisées pendant le premier quinquennat Macron. Entre la baisse de l'impôt sur les sociétés (IS), la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), la baisse des impôts de production, la suppression de la taxe d'habitation, celle de la redevance audiovisuelle, l'exécutif a réalisé environ 60 milliards d'euros de baisses d'impôts entre 2017 et 2022.
Depuis, le contexte macroéconomique a complètement changé. La pandémie et la guerre en Ukraine ont poussé Emmanuel Macron a dépensé les milliards d'euros du « quoi qu'il en coûte » pour limiter la casse économique et sociale dans l'Hexagone. Profitant d'une politique monétaire accommodante, la France a pu ainsi se financer sur les marchés à des taux négatifs pendant des années. Mais la remontée des taux a mis fin à l'ère de « l'argent gratuit », tandis que le gouvernement peine à sortir de la politique du carnet de chèques.
Résultat, la France a vu son déficit s'aggraver l'an dernier et la promesse du gouvernement de parvenir à un déficit inférieur à 3% d'ici à 2027 semble de plus en plus compliquée à tenir.
« Il y a une quadrature du cercle très difficile à résoudre », explique Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. « Entre le soutien à la croissance, la transition énergétique, la loi de programmation militaire, les objectifs de réindustrialisation, la France va avoir besoin d'une action publique forte. Mais les marges de manœuvre sont réduites », poursuit-il.
« La contrainte budgétaire risque de devenir mordante », ajoute Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode.
Des recettes fiscales nettement inférieures que prévu en 2023
En 2023, le gouvernement a enregistré des recettes fiscales bien inférieures à ce qui était prévu dans le projet de loi de finances (PLF) de 2023. S'agissant des recettes fiscales de l'Etat, le trou est de 7,7 milliards d'euros selon les propos du ministre des Comptes publics Thomas Cazenave. « Le rendement de l'impôt sur les sociétés net est inférieur de 4,4 milliards d'euros à la prévision », a déclaré le ministre devant la Commission des finances. Les recettes sur la TVA (-1,4 milliard) et l'impôt sur le revenu (-1,4 milliard) ont également creusé le déficit de recettes. « Nous savons d'ores et déjà que la cible de déficit public à 4,9% pour 2023 sera nettement dépassée », a prévenu Thomas Cazenave.
Des perspectives économiques assombries
En cause, le coup de frein brutal de l'économie française. Après le rebond post Covid, les administrations publiques avaient bénéficié de recettes fiscales supplémentaires en 2021 et 2022. Mais la croissance de 0,9% en 2023 et le prolongement du bouclier tarifaire n'ont pas fait les affaires de Bercy. S'agissant des perspectives, elles sont loin d'être favorables. « Le problème est que le gouvernement a construit son budget sur une projection de croissance très favorable de 1,4% en 2024 », rappelle Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste du cabinet BDO. « C'est une estimation bien au-dessus des prévisions les plus optimistes », poursuit l'économiste.
Le gouvernement a certes révisé à la baisse sa prévision de croissance pour 2024 à 1% mi-février. Mais ces projections sont encore largement au-dessus du consensus (0,7%) comme l'a souligné le président de la Cour des Comptes Pierre Moscovici, lors de la présentation du rapport annuel de la juridiction en début de semaine.
Après la Banque de France, l'Insee a dégradé ses prévisions de croissance au premier trimestre 2024. Pour parvenir à 1% de croissance en 2024, « il faudrait avoir 0,7% de croissance au troisième trimestre et au quatrième trimestre », a expliqué le chef du département de la conjoncture à l'Insee, Dorian Roucher. Et les prévisions du programme de stabilité envoyé à Bruxelles sont également très favorables aux yeux des économistes. « Jusqu'en 2027, le taux de croissance serait entre 1,7% et 1,8%. Ce qui serait élevé », estime Mathieu Plane.
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Les coupes budgétaires, un risque pour la croissance et les recettes
Pendant le premier quinquennat, le gouvernement « a fait baisser les impôts. Le problème est que ces baisses d'impôts n'ont pas été financées par des baisses de dépenses équivalentes », indique Olivier Redoulès. Le gouvernement s'est alors engagé dans une baisse de la dépense publique d'environ 30 milliards d'euros entre 2024 et 2025 pour compenser la baisse des recettes fiscales. La Cour des comptes a estimé qu'il faudrait faire 50 milliards d'euros d'économies jusqu'en 2027.
Mais là encore ces coupes dans les dépenses sont risquées aux yeux de certains économistes. « Ces économies ne prennent pas en compte les effets de levier de la dépense publique. Cela a un impact sur la croissance », rappelle Mathieu Plane. Le risque est « de répéter les erreurs qui avaient été faites en 2010 et après 2012 ». A l'époque, « la spirale récessionniste » avait frappé de plein fouet la zone euro. « Moins il y a de croissance, moins il y a de recettes et moins il y a de dépenses », ajoute-t-il.
Pour Olivier Redoulès, « si la France n'arrive pas à trouver un consensus sur les dépenses, elle risque de passer par des hausses d'impôts qui sont plus pénalisantes pour la croissance ». L'autre risque serait également d'augmenter fortement les impôts pour réduire les déficits comme l'avait fait François Hollande en 2013 et 2014. Ce qui avait plombé la reprise économique à l'époque.
La baisse des impôts de production repoussée
Sur le front de la fiscalité des entreprises, le gouvernement a promis une baisse des impôts de production de 10 milliards d'euros. Promettant d'abord une baisse dans les premières années du quinquennat, l'exécutif a finalement revu son calendrier pour étaler la baisse jusqu'en 2027. Ce qui a provoqué une fronde dans les milieux patronaux. Attaché à la politique de l'offre, le ministre de l'Economie n'a pas prévu de revenir sur cette promesse demandée par les milieux patronaux.
Mais la situation des finances publiques contraint l'exécutif a repoussé cette promesse au grand dam des dirigeants. S'agissant d'une possible future hausse d'impôt sur les entreprises, « elle peut avoir un impact très négatif sur l'investissement et sur la croissance future », prévient Olivier Redoulès.
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La hausse de la TVA, une option risquée socialement
Face aux manques de recettes, le gouvernement pourrait décider d'une hausse de la taxation sur la consommation. Mais cette option paraît très risquée socialement. « L'avantage de la TVA est que c'est l'impôt le plus important mais cela va provoquer un choc immédiat sur le pouvoir d'achat des ménages », explique Mathieu Plane. « C'est un impôt régressif car il touche avant tout les ménages les plus modestes et les classes moyennes ».
Pour rappel, ces catégories sont celles qui ont la plus forte propension à consommer. Une hausse permettrait des rentrées fiscales immédiates. Mais cette hypothèse irait surtout à l'encontre de la promesse de l'exécutif de baisser la fiscalité sur les classes moyennes de deux milliards d'euros.
Parmi les autres pistes sur la table, « il pourrait y avoir des baisses sur les niches fiscales, le non remplacement des fonctionnaires ou encore la baisse des aides aux ménages », énumère Anne Sophie Alsif. L'économiste évoque également la baisse du taux d'épargne, toujours supérieur de trois points avant la période pré-covid. « La consommation pourrait revenir mais comme la confiance n'est pas revenue à son niveau d'avant crise sanitaire, les gens continuent d'épargner », affirme l'économiste.
Taxation des milliardaires : la France veut faire avancer le débat dans le monde
Sur la scène internationale, la France s'est réellement prononcée en faveur d'une taxation sur les plus grandes fortunes. « Nous sommes pleinement engagés à accélérer le processus de mise en place au niveau international, au niveau de l'OCDE, au niveau du G20, et je l'espère au niveau des pays européens, d'une taxation minimale des individus afin de combattre toute forme d'optimisation fiscale des personnes à travers le monde », a déclaré le ministre de l'Economie français.
Porté par l'économiste français Gabriel Zucman et le président américain Joe Biden dans son programme à la présidentielle, ce projet de taxation pourrait prendre du temps. « Ce n'est que le début de la conversation », affirme Quentin Parinello, conseiller à l'Observatoire européen de la fiscalité. « Les négociations sur l'impôt minimum mondial sur les multinationales ont pris sept ans ».
Surtout, « cet impôt a été amoindri par une série de failles », regrette le spécialiste de la fiscalité. « La question d'une hausse de la fiscalité est importante mais elle ne doit pas faire l'impasse sur le débat : à qui fait on porter l'effort ? », s'interroge Quentin Parinello. Dans les rangs de la majorité parlementaire, l'idée d'une plus forte taxation des hauts revenus fait son chemin. Une soixantaine de députés (Renaissance, MoDem, et Horizons) ont appelé cette semaine dans une tribune au Monde à adopter la taxe européenne sur les transactions financières. Un serpent de mer qui pourrait revenir dans les débats à l'approche des élections européennes.