
L'épisode se déroule avant la crise du Covid. En fin d'année 2018, de nombreuses « personnalités » des médias, de la politique, se retrouvent à Marrakech au Maroc pour passer les fêtes loin des Gilets jaunes qui continuent de se mobiliser un peu partout en France. Il y a notamment Nicolas Sarkozy, BHL ou le publicitaire Jacques Séguéla. Ce dernier, pourtant soutien affiché d'Emmanuel Macron et « ami » de Brigitte Macron, lors d'un cocktail imagine déjà le retour de son ami Sarkozy au pouvoir : « On a déjà le slogan : si c'est le chaos, c'est Sarko ! »
Depuis, ce « scénario » imaginé par les derniers amis de Nicolas Sarkozy n'a jamais pu se concrétiser. La justice a notamment rattrapé l'ancien président dans le cadre de l'affaire Bygmalion. Et pourtant, ce jeu du « c'est moi, ou le chaos » a connu une nouvelle vigueur dans les couloirs du pouvoir ces dernières semaines. À l'Elysée, le chef de l'État, malgré les nombreux appels des syndicats, est resté droit dans ses bottes. À l'image de son intervention télévisuelle cette semaine, il n'était pas question pour lui de fléchir face aux mobilisations.
Face aux très nombreux Français opposés au projet du gouvernement sur les retraites, le président Macron était donc bien décidé à jouer le « parti de l'ordre » contre ce qu'il présente désormais comme les « factieux ». Une rhétorique empruntée à un certain général De Gaulle, notamment lors des « événements » de mai 1968. Clin d'oeil de l'histoire, à l'époque du général, la mobilisation étudiante avait débuté à la faculté de Nanterre par le « mouvement du 22 mars ». Un demi-siècle plus tard, le mouvement contre la réforme des retraites du gouvernement a dépassé son deuxième mois de mobilisation. Et la démonstration de force du jeudi 23 mars, notamment dans la capitale, a fini par ébranler certains conseillers au cœur même du pouvoir. D'autant plus que le voyage du roi Charles III en France a dû être reporté. Un report qui s'est fait à la demande du président Macron selon Downing Street.
En jouant la carte du « chaos », la « stratégie du choc », pour renverser la table de l'opinion, Emmanuel Macron ne va-t-il pas finalement se retrouver en rase campagne ? Son pari du « moi, ou le chaos » est pour le moins audacieux alors que près de 70 % des Français, et plus de 90 % des actifs, sont toujours fermement opposés à son projet sur les retraites. Dans la lignée de Libération qui compare Macron à un « tisonnier », un ancien macroniste se demande : « Est-ce que l'incendiaire va périr au cœur du brasier, ou est-ce qu'il sera le dernier survivant sur une terre brûlée ? »
Une certitude : on continue de percevoir chez Emmanuel Macron une certaine ambivalence, une ambiguïté dans son comportement. Mercredi, lors de son intervention télévisée, le fait d'enlever sa montre en direct a attiré l'attention du public alors qu'il ne s'agissait « que » d'une Bell&Ross et non d'une Rolex ou d'une Patek Philippe. Mais cela dénotait une certaine fébrilité alors que dans le même temps, le président déclamait un discours particulièrement martial, voire méprisant (notamment à l'égard des « smicards »).
Alors que le mouvement social semble s'installer dans la durée, et viser de plus en plus clairement le pouvoir, Emmanuel Macron est bien décidé à honorer son voyage en Chine en avril. Or, pour filer la métaphore, en 1968, Charles de Gaulle avait dû repartir précipitamment de son voyage en Roumanie, et son Premier ministre, Georges Pompidou, avait dû faire de même alors qu'il était parti en Afghanistan. Selon les scénarios dans les prochaines semaines (demi chaos ou chaos intégral), Emmanuel Macron dispose de plusieurs options : un simple remaniement, un changement de Premier ministre, ou une dissolution.
Concernant la troisième possibilité, l'idée de la mettre en œuvre courant juin fait son chemin. Mais Emmanuel Macron n'a plus beaucoup de temps devant lui : au vu de la colère présente dans les cortèges de jeudi, la question de la légitimité de l'exécutif pourrait se poser plus rapidement que prévu. Si les syndicats tentent de contenir les revendications à la question des retraites, la foule descendue dans les rues est bien décidée à viser l'Élysée.
Dans ce contexte explosif, Stéphane Séjourné, le « patron » de Renaissance, n'a pas hésité vendredi matin à rajouter de l'huile sur le feu : « Ces manifestations nous poussent à accélérer (...) Cette réforme est nécessaire et doit aller à son terme ». Rappelons qu'en 2006, Stéphane Séjourné était jeune étudiant, militant du Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), et manifestait contre le projet du CPE. Alors que la loi avait été votée par le gouvernement, le Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin, avait finalement reculé face à l'ampleur des mobilisations en retirant son texte. Un retrait qui avait accéléré la mise en orbite présidentielle d'un certain... Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur à l'époque.
Marc Endeweld.
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