Retraites : quand Macron réussit à énerver les syndicats modérés

POLITISCOPE. La cacophonie à l'Assemblée nationale traduit au Parlement la colère de la rue. Une autre colère se lève, celles des patrons des syndicats modérés ulcérés du manque d'écoute de l'exécutif. Résultat : à défaut de débat sur l'article 7, celui sur le report de l'âge à 64 ans, par les députés, rendez-vous est pris le 7 mars dans la rue et le risque de blocage du pays.
Marc Endeweld
(Crédits : BENOIT TESSIER)

Un simulacre de politique. Le gouvernement a fait le choix de tronquer les échanges au Parlement à propos de son projet sur les retraites en réduisant le temps des débats, comme la Constitution lui permet, tout en se posant comme victime des oppositions, et notamment de la NUPES et de LFI dans leur stratégie d'amendements :  « Vous m'avez insulté 15 jours. Personne n'a craqué. Et nous sommes là devant vous pour la réforme », a éructé Olivier Dussopt dans l'hémicycle peu avant minuit entre vendredi et samedi. Le ministre du travail semblait au bout de sa vie, comme lessivé par les critiques venant des bancs de la NUPES, alors que  le RN a préféré se réfugier dans le silence, une posture neutre. De fait, renvoyer la faute sur les autres est un classique en macronie, dans ce « nouveau monde ».

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Jean-Louis Debré au secours de la NUPES

Au point que Jean-Louis Debré, ancien président de l'Assemblée Nationale entre 2002 et 2007, s'est senti obligé de faire une mise au point en répondant aux questions de Libération après que Renaissance ait dénoncé la stratégie de « bordélisation » de la NUPES : « Arrêtons l'hypocrisie, il n'y a absolument rien de nouveau. L'histoire de l'Assemblée, pour ceux qui la connaissent, déborde de débats houleux où les députés s'affrontent directement avec des invectives et parfois des coups (...) Je crois, moi, que rien n'est plus dramatique que ces hémicycles où personne n'ose rien dire pour ne pas gêner tel ou tel. Il est préférable que l'Assemblée soit un reflet du pays. (...) Il est bien que les gens défendent leurs idées avec passion, il faut l'assumer. Sans passion, ce serait affreux. C'est dans les pays totalitaires que les assemblées sont parfaitement sages. Chez nous, il est plus sain que tout cela s'exprime dans l'hémicycle plutôt qu'ailleurs. »

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L'ancien grognard de Jacques Chirac a raison : ces appels incessants à l'aseptisation des débats ne peuvent qu'amener à la violence dans la société. Depuis 2017, les macronistes ont tendance à l'oublier, la politique est là pour transcender les haines et oppositions existantes dans le corps social, la politique sert à trouver un chemin de consensus en démocratie, non à ignorer les lignes de fracture présentes en son sein. Au début du premier quinquennat, Emmanuel Macron, se délectant de disposer de l'une des  Constitutions démocratiques accordant le plus de pouvoir à un président,  avait tellement oublié cette fonction première de la politique qu'il avait finalement dû battre en retraite face à la violence devenue incontrôlable des Gilets Jaunes. Ce serait une erreur de croire que les postures paternalistes au cours du « grand débat » n'ont pas permis de refermer  des plaies toujours plus béantes.  D'autant plus qu'entre-temps, les crises du Covid et de l'énergie sont passées par là. Le pays est incontestablement à bout.  Il n'y a qu'à voir le niveau de mobilisation contre le projet du gouvernement dans les petites et moyennes villes.

La haine des « corps intermédiaires »

Oui mais voilà, Emmanuel Macron a construit tout son parcours dans la haine  des « corps intermédiaires », dans la défiance à l'égard de toute structure, communauté ou collectivité qui freinerait, selon lui, l'efficacité de son pouvoir vis-à-vis des Français. Dans un geste vaguement bonapartiste, le président souhaite tellement araser tout intermédiaire entre lui et les Français, qu'il finit par les considérer davantage comme des sujets que comme des citoyens agissant, pensant, et pouvant s'auto-organiser. Certes, son expérience du quinquennat Hollande glorifiant un « dialogue social » souvent factice ou peu efficient permet d'expliquer son traumatisme originel. Mais sa défiance à l'égard des partis politiques, syndicats et associations l'amène en privé à évoquer sans nuance un « hold up » de ces « corps intermédiaires ».

Ainsi, malgré les éléments de langage de la majorité tentant de décrédibiliser la NUPES, les Français semblent circonspects quant à la posture du gouvernement. Ainsi, selon un dernier sondage Elabe, 73 % des Français considèrent que le gouvernement n'a été ni clair ni transparent sur le contenu de la réforme. L'épisode désastreux du mensonge des « 1200 euros minimum pour tous » est passé par là. Et 55 % considèrent, selon ce même sondage, que le gouvernement n'a pas laissé assez de temps aux débats à l'Assemblée.

Laurent Berger, président d'un jour ?

Résultat, les syndicats sont toujours majoritairement soutenus par la population. Au point que les syndicats les plus modérés sont chauffés à blanc. Conséquence aussi d'un dialogue totalement inexistant en coulisses entre les différentes centrales syndicales et l'exécutif. Un cas unique. En 2010, sous le précédent grand mouvement social contre une réforme des retraites, Nicolas Sarkozy et son gouvernement avaient toujours veillé à maintenir le contact avec les leaders syndicaux, quels qu'ils soient.

Et justement, aujourd'hui, cette indifférence de l'exécutif vis-à-vis des syndicats amènent les plus modérés à rejeter encore plus clairement tout projet du gouvernement sur les retraites. C'est ainsi qu'on a vu Laurent Escure, secrétaire général de l'UNSA sortir de ses gonds sur un plateau de BFM TV face à un député de la majorité qui n'hésitait pas à dire que les syndicats étaient en train de faire un hold up sur « la retraite de nos enfants et petits enfants » : « Alors, là, ne me prenez pas là dessus (..)  vous ne pouvez pas accuser l'UNSA, syndicat constructif, de solution (...) je vous trouve discourtois, car vous sous entendez qu'on en a rien à faire de la retraite de nos enfants, je ne peux vous laisser dire ça, on a proposé des solutions ». L'un des responsables de l'UNSA me confirme d'ailleurs que « Laurent Escure a été très agacé par l'arrogance et les mensonges de ce député ».

On trouve ce même agacement chez Laurent Berger, omniprésent secrétaire général de la CFDT depuis le début du conflit. Ce responsable syndical pourtant soucieux de trouver des compromis semble particulièrement énervé par l'attitude du pouvoir. Début février, il estimait que « ne pas entendre la colère qui s'exprime dans la rue serait une faute démocratique ». À force de braquer ces « corps intermédiaires », l'exécutif amène le pays au blocage. Déjà, les syndicats dans l'énergie, les transports, et les services publics préparent les journées d'action et de grève à partir du 7 mars. Et cette colère sociale doublée d'un vide politique amène même certains, tant à gauche qu'au sein de la macronie, à envisager une potentielle candidature de Laurent Berger à la présidentielle ! Une perspective que l'intéressé a récemment balayé d'un revers de la main.

Marc Endeweld
Commentaires 6
à écrit le 21/02/2023 à 5:19
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L'esprit Tatcher , versión .McRon est similaire: en 1980 elle affirmait : "IL n'y a pas d'alternative". Demontrent ainsi que le ni gauche ni droite de McRon est une súper tromperie, puisque en meme temps IL represente le passe. Mais jamais son projet...

à écrit le 20/02/2023 à 14:14
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Il paraît que seulement 10% des salariés sont syndiqués en France, ce n'est pas beaucoup et c'est bien dommage. Mais même s'ils étaient plus nombreux, et même si on ne les écoute pas assez, ce n'est pas aux syndicats de faire les lois : il y a un Pa...

le 20/02/2023 à 15:42
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Vous ignorez donc que les parlementaires proposent des amendements qui sont le résultats de concertations qu'ils ont avec toutes les parties prenantes , syndicats tant de salariés que patronaux , administrations etc. Un député n'a pas la science infu...

à écrit le 20/02/2023 à 14:03
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Et pour cause, Macron s'est largement fait réélire en promettant le maintien des avantages des retraités actuels au détriment des générations suivantes, dit autrement le fonds de commerce électoral de la droite classique depuis les années 90...

à écrit le 20/02/2023 à 9:41
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C'est curieux pour des gens qui ont tous voté Macron.

à écrit le 20/02/2023 à 9:13
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Ce n'est pas l'aménagement d'une réforme qui est recherché mais sa disparition ! Une réforme n'est pas une adaptation, mais une simple vision dogmatique de ce que doit être le futur ! :-)

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