L'onde de choc de la pandémie continue de faire trembler le marché du travail français. Même si les chiffres du chômage ne révèlent pas de catastrophe, beaucoup de travailleurs sont plongés dans de vastes difficultés. La fermeture de grands sites industriels sur l'ensemble du territoire risque de faire d'immenses dégâts sur le front de l'emploi. Beaucoup de groupes dans l'automobile et l'aéronautique ont annoncé des fermetures d'usines et des coupes drastiques dans leurs effectifs en 2020 et l'hécatombe devrait se poursuivre. La mise à l'arrêt d'une grande usine dans des zones d'emploi est souvent synonyme de cataclysme pour les travailleurs obligés parfois de se reconvertir ou de parcourir des kilomètres en plus. La concentration des emplois dans un seul secteur ou une seule entreprise se révèle particulièrement néfaste pour les inégalités territoriales et salariales, explique une étude du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) dévoilée ce jeudi 26 août. "La concentration des emplois - très forte dans l'industrie - est une facette peu étudiée du marché du travail : elle a pourtant des répercussions sur les rémunérations et les inégalités. Une concentration plus élevée, en raison du poids accru de gros employeurs sur le marché du travail, s'accompagne en effet de salaires plus bas, surtout pour les salariés les moins rémunérés" expliquent les économistes Axelle Arquié et Julia Bertin.
Cette publication intervient seulement quelques semaines après la remise par le député des Yvelines Jean-Noël Barrot (MoDem) d'un rapport au Premier ministre Jean Castex intitulé "Accélérer le rebond économique des territoires". Et l'enjeu est particulièrement crucial alors que l'occupation des ronds-points par les "gilets jaunes" a frappé les esprits.
Rebond économique : « Les solutions viendront des territoires » (Jean-Noël Barrot, député MoDem des Yvelines)
Une concentration très importante dans l'industrie, des inégalités salariales criantes
L'un des principaux résultats de cette étude est que la France présente un niveau de concentration d'emplois très élevé. S'appuyant sur des référentiels de la Commission européenne qui considère qu'un seuil de 0,25 correspond à un marché très concentré, les deux chercheuses indiquent que l'économie française possède un indice de 0,47. "Ce qui correspond à peu de chose près au degré de concentration qui prévaudrait si trois entreprises se partageaient le marché avec des parts de respectivement 60%, 30% et 10% de l'emploi" expliquent-elles. Cette concentration est particulièrement visible dans l'industrie (0,62) alors qu'il reste à un niveau plus faible dans les services (0,35). Comment expliquer une telle disparité ? La longue désindustrialisation du tissu productif tricolore a largement contribué à ce phénomène. Résultat, dans certaines zones peu densément peuplées, les salariés ont un pouvoir de négociation bien plus réduit que lorsqu'il y a beaucoup d'employeurs. Le rapport de force entre le travail et le capital se trouve ainsi complètement déséquilibré dans des territoires où le tissu productif est très concentré.
D'après le travail réalisé par les deux économistes, les niveaux de concentration dans l'industrie varient du simple (0,29 en moyenne en Ile-de-France) au double (0,61 dans le Lot) à l'échelle du territoire. "Près d'un tiers (31 %) des marchés locaux du travail se trouve même en situation de monopsone pur, c'est-à-dire qu'une seule entreprise rassemble l'intégralité des emplois du secteur concerné dans la zone d'emploi considérée. De quoi donner aux employeurs dominant ces marchés un pouvoir non négligeable sur la fixation des rémunérations", précisent les auteures.
Au final, la concentration pénalise les salariés en bas de l'échelle. A l'inverse, les 1% les mieux rémunérés sont favorisés, connaissant même des hausses de salaires quand la concentration se renforce. "La concentration du marché du travail accroît donc les inégalités salariales : le rapport entre le salaire du neuvième décile (les 10 % des employés les mieux rémunérés) et celui du premier décile (les 10 % les moins rémunérés) serait, toutes choses égales par ailleurs, de près de 22 % supérieur dans un marché du travail au niveau moyen de concentration dans l'industrie (0,62) par rapport à un marché du travail au niveau de concentration moindre, comme dans les services (moyenne de 0,35)" ajoutent-elles.
Le maintien ou l'arrivée de nouveaux employeurs, un enjeu crucial pour les territoires
L'arrivée de nouveaux employeurs dans des zones d'emplois est un enjeu crucial pour réduire les inégalités salariales et territoriales. Les régions qui sont désormais chefs de file en matière de compétence économique ont un rôle déterminant en matière d'attractivité et de répartition des employeurs au sein de leur territoire. Compte tenu des enjeux, les deux économistes reprennent quelques propositions du rapport Barrot précité. Elles estiment par exemple que la mutualisation des fonds de revitalisation est une piste intéressante pour maintenir ou attirer de nouvelles entreprises. Ces enveloppes sont avant tout destinées à limiter les dégâts sur un territoire en cas de licenciements collectifs. La proposition d'une mutualisation de certaines fonctions pour les petites entreprises est également intéressante aux yeux des deux chercheuses.