Impôts : avec le prélèvement à la source, les contribuables sont-ils vraiment gagnants ?

Mis en œuvre depuis le 1er janvier 2019, non sans péripéties, le prélèvement à la source semble désormais entré dans les mœurs. Ce mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu présente l’avantage d’être contemporain. En clair, les contribuables évitent de devoir s’acquitter de l’intégralité de la dette fiscale à l’été suivant l’année d’imposition. Reste désormais à savoir si les particuliers se sont bel et bien appropriés le dispositif, et le comprennent. Or, les avis divergent. Enquête.
Pauline Chateau
Le prélèvement à la source a nécessité trois ans de travaux, avant d'être mis en place.
Le prélèvement à la source a nécessité trois ans de travaux, avant d'être mis en place. (Crédits : Pauline Chateau / La Tribune)

C'est un anniversaire qui est passé inaperçu. Ni bougies, ni célébrations. Et pourtant, le prélèvement à la source fête déjà ses cinq années d'existence, en ce mois de janvier 2024. Quel bilan peut-on tirer de cette réforme, qui à la veille de son lancement était source de discussions enflammées et d'interrogations des contribuables ? Si ce chantier fiscal d'ampleur est devenu effectif au 1er janvier 2019, sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, l'annonce de son avènement, elle, date de 2015. Elle a donc été portée par le président de la République de l'époque, le socialiste François Hollande.

« L'idée est d'aller vers une simplification du recouvrement de l'impôt, avec la mise en œuvre progressive dans le cadre de la simplification des feuilles de paie et du numérique de la retenue à la source, sans fusion » avec la CSG, avait ainsi déclaré le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll (PS), au printemps, préparant ainsi les esprits à la confirmation du président socialiste à l'été 2015.

« Ce qui est certain, c'est qu'en matière de fiscalité, et surtout de collecte de l'impôt, la France faisait figure d'attardée », ironise Jean-Yves Mercier, vice-président du Cercle des fiscalistes.

Pour rappel, plusieurs présidents s'y étaient essayés, sans succès. Et pour cause, comme nous l'a rappelé Antoine Magnant, directeur général par intérim des finances publiques - et témoin privilégié des réflexions, puis de la mise en œuvre de la réforme -, « la fiscalité n'est pas qu'un sujet technique ». Le prélèvement à la source revoit en profondeur le mode de collecte de l'impôt sur le revenu. En revanche, la réforme, telle qu'elle a été présentée et appliquée, s'est gardée de s'atteler au calcul de l'impôt sur le revenu lui-même.

Un chantier titanesque

Datant de l'après-guerre, ce calcul est fondé sur le foyer fiscal. A ce titre, non seulement, elle répertorie les différents revenus (salaires, pensions, fonciers, commerciaux...), mais elle se base surtout sur l'outil du quotient familial : un nombre de parts, en fonction du nombre de membres du foyer, et des personnes à charge (les enfants, par exemple). Et c'est sans compter les multiples avantages fiscaux auxquels les particuliers peuvent prétendre (réductions, déductions et réductions d'impôts).

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Sans remettre en cause le calcul de l'impôt, la tâche s'est tout de même révélée titanesque pour les finances publiques. Entre 2015 et 2018, la DGFIP a dû trancher un certain nombre de questions techniques, comme l'année de transition, appelée « année blanche », tout en adaptant son système informatique.

Il a aussi fallu dissiper les craintes de certains interlocuteurs, à commencer par les organismes chargés de prélever l'impôt (employeurs et DRH, par exemple), ainsi que celles des agents. « C'était le chantier numéro 1 de la DGFIP », se remémore Anne Guyot-Welke, secrétaire nationale du syndicat Solidaires Finances Publiques, auprès de La Tribune.

Un « risque industriel » écarté ?

Du côté de Bercy, on fait valoir un effort de formation conséquent. Notamment pour former les fonctionnaires en lien direct avec les contribuables, et ainsi répondre aux questions, dans les différents points de contact (messagerie sécurisée en ligne, plateforme d'appel, centre des impôts). Les fonctionnaires, eux, conservent un souvenir plus nuancé.

« On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de formation, mais cela s'est fait au dernier moment », indique un représentant de la CFTC, auprès de La Tribune.

Et d'ajouter :«  La réforme en elle-même était claire, la difficulté reposait notamment sur l'accès aux applicatifs, qui s'est révélé plus long qu'espéré. Accessibles plus tôt, ils permettent aux agents de se familiariser avec ce nouvel outil applicatif »

Dans les mois précédant la mise en œuvre définitive du prélèvement à la source - celle-ci ayant été reportée du 1er janvier 2018 au 1er janvier 2019 -, la réforme a été présentée comme améliorant la vie du contribuable. Solidaires Finances publiques avait notamment alerté les autorités sur « le risque industriel ». En clair, un bug d'ampleur.

« Cela a été présenté comme une réforme fiscale de simplification, alors qu'il s'agit d'une réforme du recouvrement », reproche Anne Guyot-Welke. A quelques semaines de l'entrée en vigueur, la tension était forte. A titre d'exemple, les agents concernés par la réforme avaient notamment reçu pour consigne, dans certains services, de limiter leurs congés.

« Cette situation a donné lieu à des scènes surréalistes, j'en ai été témoin lorsque j'étais agent à l'accueil d'un centre des finances publiques, puisque le site internet ne fonctionnait pas le jour du lancement du prélèvement à la source, rappelle le représentant de la CFTC. Heureusement, cela reste anecdotique, et non dommageable, puisque le problème fut résolu très rapidement. »

De son côté, Solidaires Finances publiques reproche aussi les investissements, évalués à « 214 millions d'euros », pour « une efficacité toute relative ». Pour appuyer son propos, le syndicat majoritaire au sein de la DGFIP s'appuie sur un document des Sages de la rue Cambon, dont l'approche a été jugée « bienveillante ».

En janvier 2022, la Cour des comptes a en effet publié un rapport sur « la mise en œuvre du prélèvement à la source ». Sa conclusion était alors plutôt favorable : « Ce projet apparaît globalement comme une réussite, tant dans son rapport coût-rendement favorable que par son taux d'approbation élevé auprès de la population, peut-on lire. (...) Cette opération a également permis de limiter le coût de la réforme, estimé à un peu moins de 215 millions d'euros, comprenant majoritairement des dépenses d'investissement dans les systèmes d'information. »

Un constat avec lequel s'accordent plusieurs professionnels du droit, spécialistes de la fiscalité. « Globalement, la mise en place du prélèvement à la source ne s'est pas trop mal passée », concède Guy Parlanti, avocat à Paris. « Force est de constater que l'administration sait faire tourner ses ordinateurs », appuie Jean-Yves Mercier du Cercle des fiscalistes. Et de compléter : « Le prélèvement à la source constitue un avantage majeur pour le contribuable ».

Le prélèvement à la source, un outil complexe

Désormais, l'impôt sur le revenu est prélevé à la source sur les revenus, en « temps réel », grâce à l'application d'un taux. Petite subtilité toutefois : à moins d'avoir des revenus tout à fait stables d'une année sur l'autre, deux taux s'appliquent « successivement » sur une année civile, rappelle l'avocat fiscaliste Guy Parlanti.

Prenons l'exemple d'un contribuable célibataire, entré dans la vie active en 2022. Au printemps 2023, la réalisation de la déclaration de revenus a, éventuellement, permis d'ajuster le taux d'impôt à la source qui s'est appliqué entre la date d'entrée en fonction et le mois d'août 2023. Ce taux de prélèvement « ajusté » s'est ensuite appliqué d'août 2023 jusqu'à août 2024, sauf modification volontaire de la part du contribuable.

Pour rappel, ce dernier peut en effet procéder à une modification de taux de prélèvement à la source - sans attendre la période déclarative au printemps - dans la rubrique « Gérer mon prélèvement à la source », en cas de changement de situation (mariage, Pacs, naissance, décès, séparation) ou d'évolution de revenus. Pour le second cas de figure, encore faut-il être en mesure de projeter ses revenus sur l'année d'imposition. Dans le cas contraire, le contribuable peut se retrouver à devoir s'acquitter d'un solde d'impôt sur le revenu au dernier trimestre.

Sur le fond, la tâche peut également se complexifier, dès lors que le foyer fiscal dispose de revenus de nature différente - autres que des salaires ou pensions de retraite par exemple -, voire réalise des dépenses éligibles à un crédit d'impôt. Revenus fonciers, bénéfices industriels et commerciaux (BIC), emploi d'un salarié à domicile... Certains revenus - ou dépenses - donnent lieu au versement d'un acompte, trimestriel ou mensuel, en parallèle du taux qui s'applique déjà sur les revenus du contribuable.

« Pour s'y retrouver en tant que contribuable ce n'est pas simple, souffle l'avocat fiscaliste Guy Parlanti. Le prélèvement à la source est un dispositif difficile à gérer pour des gens qui ont des revenus de natures différentes et qui fluctuent dans le temps. Il revient au contribuable d'adapter l'impôt à sa situation, et non l'inverse. »

Des difficultés de compréhension persistantes

Sollicitées par La Tribune, plusieurs organisations syndicales disent observer des difficultés persistantes de compréhension des contribuables, notamment pour ceux qui quittent la vie active ou qui la rejoignent. Résultat, elles ne se satisfont pas des chiffres transmis chaque année, en termes de modulation de taux, au regard du nombre de changements de vie intervenant chez les contribuables.

« Les modulations de taux restent très faibles, assure ainsi la secrétaire nationale de Solidaires Finances publiques. Les contribuables ont encore besoin d'être rassurés, et se tournent vers les agents, y compris pour les plus jeunes. »

Faut-il en déduire pour autant que les contribuables peinent à se saisir du prélèvement à la source, en changeant leur taux ? Interrogée à ce sujet, la Direction générale des finances publiques fait valoir les cinq millions de foyers fiscaux qui ont procédé à un changement, depuis la mise en place de la réforme, sur les 40 millions de foyers fiscaux au total. A Bercy, on met également en évidence les délais de paiement octroyés par l'administration fiscale pour permettre aux foyers fiscaux de s'acquitter d'un solde d'impôt : le chiffre a été divisé par trois depuis la mise en place du prélèvement à la source, nous assure-t-on.

« Le plus grand gagnant de la réforme du prélèvement à la source, de mon point de vue, c'est l'administration fiscale, assure l'avocat Guy Parlanti. Ce mécanisme permet en effet une meilleure collecte et, surtout, une plus grande sécurité de celle-ci. En effet, on transfère la charge de la collecte de l'impôt sur le revenu à l'employeur ou à la caisse de retraite. La question qui a émergé à l'époque était : pourquoi ne pas procéder à une simple mensualisation de l'impôt ? C'est le même principe, sauf que la problématique reste celle du débiteur. »

Des nouveautés en 2025

Un constat partagé par Solidaires Finances publiques, partisan lui aussi d'une mensualisation généralisée de l'impôt sur le revenu, jugée « moins coûteuse » que la réforme finalement retenue. « Elle n'aurait pas perturbé les services et les contribuables », martèle Anne Guyot-Welke, a fortiori dans un contexte marqué par une « baisse des effectifs » au sein des finances publiques. Reste, à ses yeux, la problématique du « chiffrage », jugé insuffisant, de la réforme du prélèvement à la source, pour en mesurer la pleine appropriation.

« La perfection en matière de collecte de l'impôt sur le revenu est impossible dans le domaine », excuse de son côté Jean-Yves Mercier, du Cercle des fiscalistes.

Dans ce contexte, faut-il, dès lors, refondre le calcul de l'impôt sur le revenu, en profondeur ? A ce stade, le scénario ne paraît pas envisagé. L'année 2025 promet toutefois quelques nouveautés en matière de fiscalité pour les particuliers. Lors de sa conférence de presse la semaine passée, Emmanuel Macron a confirmé une baisse d'impôts, pour les classes moyennes, de deux milliards d'euros en 2025. Dans les faits, celle-ci implique deux options, qui peuvent se cumuler : une évolution des tranches du barème de l'impôt sur le revenu et un abaissement du taux de la première tranche, aujourd'hui à 11%.

Lire aussiPrélèvement à la source : le taux individualisé par défaut, une mesure de justice économique dans les couples ?

Autre chantier, l'individualisation par défaut du taux de prélèvement à la source, pour les couples mariés et pacsés, « à compter du 1er septembre 2025 ». Sur le papier, le sujet ne paraît pas représenter de difficultés techniques particulières, d'autant plus que l'option existe déjà, au choix du contribuable. « De ce point de vue, le mécanisme de collecte de l'impôt devient de plus en plus personnel », observe l'avocat fiscaliste Guy Parlanti.

Pauline Chateau
Commentaires 15
à écrit le 24/01/2024 à 15:36
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Maintenant il faut poursuivre en supprimant toutes les niches fiscales pour les particuliers et les entreprises. Cela permettra d'avoir enfin un impôt juste et lisible. On saura enfin si "on" paye trop d'impôts, car alors le "on" sera tout le monde.

le 24/01/2024 à 19:02
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Dans les niches fiscales vous avez les livrets défiscalisés entre autres. Les allocations familiales sont ds revenus non taxables. Vous êtes d'accord pour les fiscalisés ?

à écrit le 24/01/2024 à 15:12
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Avant, on nous calculait le taux à payer, mais en décalé, maintenant c'est nous qui devons actualiser le taux qui va être appliqué à chaque changement de revenus pour l'année courante, au fil de l'eau. Heureusement qu'il y a un simulateur permettant ...

à écrit le 24/01/2024 à 13:11
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L'état,les organismes,la réglementation Après avoir plafonner le montant des loyers, on nous impose maintenant encore des augmentations considérables de la taxe foncière,des assurances, l'énergie ,un étranglement progressif , cela entraîne un parfum...

à écrit le 24/01/2024 à 13:09
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L'état,les organismes,la réglementation Après avoir plafonner le montant des loyers, on nous impose maintenant encore des augmentations considérables de la taxe foncière,des assurances, l'énergie ,un étranglement progressif , cela entraîne un parfum...

à écrit le 24/01/2024 à 12:46
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Prélèvement ou non, quelle importance? La République fait aussi pire que l'Ancien Régime: nos comptes sont dans le rouge vif et il semble bien que le Ministère, comme nos élus, s'en fout... républicainement, puisque nous n'avons plus de roi. Faisons ...

le 24/01/2024 à 19:07
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Ce sont les français qui s'en fout... de la dette. La preuve ? beaucoup demandent que l'état prenne en charge en partie l'électricité, l'essence sans compter des chèques pour ceci ou cela. Les français ne sont pas très futés en économie.

à écrit le 24/01/2024 à 9:06
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Pouvons-nous faire confiance à une administration qui a accumulé les erreurs? en dehors de la palme de pays le plus imposé du monde, certains se souviendront du prélèvement concernant un inconnu, du temps de Fabius (aux finances), de la taxe foncière...

le 24/01/2024 à 12:53
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Supprimer un impôt ou une taxe brutalement n'est pas forcément une bonne chose ; il faut y réfléchir à deux fois. La vignette aurait dû être conservée dans son principe : moyennant une modulation adaptée elle serait bien utile aujourd'hui, transform...

le 24/01/2024 à 15:36
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En parlant de vignette : La fin d'une Ère. Gérald Darmanin a annoncé lundi 17 juillet la suppression à partir du 1er avril 2024 de la vignette verte apposée sur le pare-brise des voitures. L'attestation d'assurance sera directement contrôlée sur u...

le 25/01/2024 à 9:31
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@Uranus: Soyons sérieux: nous subventionnons à crédit par excès d'impôt et taxes; si les entreprises retrouvaient une rentabilité suffisante, les gouvernements ne seraient pas obligés de les "transfuser" comme pendant la crise de la Covid. Nous faiso...

à écrit le 24/01/2024 à 8:51
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Avec ce prélèvement à la source, le français n'est plus un homme libre désirant collaborer à l'ensemble dans un pays af"Franc"hi, mais plutôt à un assujetti, sujet du roi, à la Couronne ! :-(

le 24/01/2024 à 11:35
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Faux ,vous restez libre de choisir le montant de vos prélèvements et de les ajuster en cas de besoin sachant qu'au final les impôts sont toujours dus .

le 24/01/2024 à 11:41
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Au moins avec le prélèvement à la source la France s'est aligné sur la plupart des autres pays. On ne peut pas contester le fait que les déclarations fiscales se sont simplifiées et que ceux qui avaient dépensés tout leur revenu n'ont plus de problèm...

le 24/01/2024 à 15:55
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Visiblement certain ne veulent pas comprendre le sens du mot Franc, Affranchi, France qui veut dire Libre.

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