
Certes, ce n'est pas la disposition de la loi El Khomri la plus médiatisée et la plus grand public, mais l'article 20 du projet de loi réformant le code du Travail a rallumé la guéguerre que se livrent depuis de nombreuses années les organisations patronales pour mesurer leur représentativité. Un long, un très long feuilleton qui doit normalement trouver son épilogue en 2017 quand les nouvelles règles pour apprécier quelles sont les organisations patronales représentatives en France commenceront à entrer en vigueur. Une question qui peut paraître anecdotique mais qui, en réalité, ne l'est pas. Car il s'agit en fait de savoir quelles organisations sont habilitées à conclure des accords collectifs avec les syndicats de salariés touchant aux relations du travail et quelles organisations sont autorisées à siéger ( et avec quel poids) dans les différentes instances des organismes paritaires, telle l'assurance chômage qui gère tout de même plus de 30 milliards de cotisations patronales... et salariales chaque année.
Un accord CGPME/ Medef revient sur les critères définis par une loi de 2014
Et à ce stade, l'Union professionnelle artisanale (UPA) qui fédère environ 1,3 million de PME et TPE ainsi que l'Union nationale des professions libérales (UNAPL) se sentent particulièrement lésées par les dispositions du projet de loi El Khomri. Jean-Pierre Crouzet, président de l'UPA et Michel Chassang, numéro un de l'UNAPL ont manifesté leur colère face au choix du gouvernement de transcrire dans le projet de loi de la ministre du Travail un accord conclu " en catimini" entre le Medef et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) sans que ces organisations aient leur mot à dire. Un accord qui, pour les deux présidents, n'a donc aucune valeur juridique.
Selon cet accord, les critères retenus pour mesurer à partir de 2017 la représentativité des organisations patronales tiennent compte du nombre d'entreprises adhérentes aux organisations patronales à hauteur de 20% et du nombre de salariés dans ces entreprises à hauteur de 80%. Et ce alors que la loi actuelle, votée en 2014, à la suite d'un accord conclu à l'époque entre le Medef, la CGPME et l'UPA, tient seulement compte du nombre d'entreprises, au nom du principe "une entreprise égale un voix".
Nombre d'entreprises ou nombre de salariés?
Mais, tardivement, le Medef s'est rendu compte qu'avec un tel critère du nombre d'entreprises adhérentes ne prenant pas en compte le nombre de salariés employés, il risquait de perdre sa suprématie... Car ce n'est pas l'organisation de Pierre Gattaz qui totalise le plus grand nombre d'entreprises adhérentes via les fédérations professionnelles. Or, actuellement, par accord tacite, dans les différentes instances paritaires le Medef "pèse" 60% des postes, la CGPME 30% et l'UPA... 10% ... et c'est la même clé de répartition qui prévaut pour les diverses subventions.
Depuis deux ans donc, le Medef n'a eu de cesse de tenter de réformer la loi de 2014, par tous les moyens. En 2015, déjà, grâce à une action de lobbying intense, lors d'une discussion nocturne de la "loi Rebsamen" sur le dialogue social, un amendement gouvernemental avait tenté de revoir le critères de la représentativité patronale en apportant une pondération en fonction du nombre de salariés présents dans les entreprises, mettant ainsi fin au principe "une entreprise, une voix". Mais grâce à une contre-attaque de l'UPA et de la... CGPME, cet amendement avait été refusé. François Rebsamen, alors ministre du Travail, avait laissé aux organisations patronales le soin de trouver de nouveaux critères avant le 15 novembre 2015... Or, à cette date, aucun accord n'était en vue.
Le Medef a aussi déposé devant le Conseil constitutionnel une "question préalable de constitutionnalité", dénonçant cet aspect de la loi de 2014. Or, dans une décision du 3 février 2016, le Conseil constitutionnel a repoussé les arguments du Medef.
Mais finalement, donc, CGPME et Medef sont parvenus à un accord - le fameux 20%/80% - repris par le projet El Khomri... Et pour cause, le gouvernement tient à une certaine stabilité chez ses interlocuteurs patronaux.
L'UPA se fait menaçante
"L'UPA demande au gouvernement de revoir sa copie", a déclaré lors de la conférence Jean-Pierre Crouzet, indiquant que si l'exécutif ne le faisait pas, son organisation et l'UNAPL se tourneraient vers les parlementaires pour modifier ces critères lors des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, via des amendements. Sinon, viendra aussi le temps de l'action juridique, les deux organisations se réservant le droit d'attaquer devant les tribunaux le contenu de la future loi sur cette question de représentativité.
"Les TPE-PME sont totalement oubliées dans la loi", a regretté Michel Chassang, qui a rappelé que 98% des entreprises en France employaient moins de 50 salariés.
"Les clés du dialogue social ont été données à une seule organisation patronale, le Medef", a-t-il fustigé, annonçant la "disparition programmée de la représentation des TPE-PME".
En attendant, pour protester contre cette méthode, l'UPA a décidé de pratiquer la politique de la chaise vide en claquant lundi 22 février la porte de la négociation sur l'assurance chômage et en ne participant pas à diverses réunions organisées par le ministère du Travail.
Mais Jean-Pierre Crouzet s'est fait plus menaçant encore.
"Je ne sais pas si (le gouvernement) mesure à quel point nous sommes au bord de l'explosion. Beaucoup de nos adhérents de diverses branches en ont marre de la pression fiscale et nous appellent à descendre dans la rue".
Une façon de prévenir le gouvernement que la tension pourrait monter d'un cran... Au moment même, où, du côté des organisations syndicales de salariés, on tente également de monter une réaction commune face au projet de loi El Khomri.... Attention, ça commence à faire beaucoup de monde.
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