
Le gouvernement veut appuyer sur la pédale d'accélérateur de la réindustrialisation. Epaulé par le ministre de l'Ecologie Christophe Béchu et le ministre de l'Industrie Roland Lescure, Bruno Le Maire a dévoilé le plan de bataille de l'exécutif destiné à décarboner le tissu productif tricolore. « L'objectif final, c'est de faire de la France la première nation décarbonée en Europe », a déclaré le ministre de l'Economie lors d'une conférence de presse organisée à Bercy ce mardi 16 mai. Le projet de loi vise à favoriser la création d'industries vertes, c'est-à-dire mettre en place la production de nouvelles technologies. Mais aussi à décarboner l'industrie existante. Pressé par le calendrier, le gouvernement doit présenter son texte au Sénat le 19 juin puis le 17 juillet à l'Assemblée nationale, alors qu'il ne dispose pas de majorité absolue. « Face à l'objectif de réindustrialisation, cette loi apporte des propositions qui dans vont dans le bon sens sur la réduction des délais, le foncier, les compétences », juge Olivier Redoulès, économiste à Rexecode, un institut réputé proche des milieux patronaux.
Après les quatre mois de contestation de la réforme des retraites, l'exécutif a lancé une vaste offensive médiatique pour tenter de faire oublier cet épisode orageux. Le chef de l'Etat a multiplié les entretiens dans la presse économique et à la télévision ces derniers jours avant de se rendre au grand raout Choose France organisé au château de Versailles pour vanter l'attractivité du territoire français. Mais les déplacements des ministres et du chef de l'Etat sont toujours marqués par des concerts de casseroles et des périmètres de sécurité pour encadrer les manifestants. Au niveau international, Bruno Le Maire a évoqué « une bataille au couteau entre la Chine, les Etats-Unis et l'Europe. Sous les dorures, les discussions ont parfois été brutales à Versailles. Il n'y a de cadeaux pour personne ».
5 points de PIB, 23 milliards d'euros d'investissement et 40.000 emplois directs
Le chemin de la réindustrialisation promet d'être long et sinueux. Sur le plan macroéconomique, le gouvernement espère augmenter la part de l'industrie dans le produit intérieur brut de cinq points passant de « 10% à 15% d'ici 2030 ». Pour rappel, la place de l'industrie tricolore n'a cessé de dégringoler en France passant de 27,7% en 1949 à 13,1% à la fin de l'année 2021, selon l'Insee. Et sous le premier quinquennat Macron, l'industrie a encore perdu du terrain dans le total de la richesse produite par l'économie tricolore (-1 point de PIB entre fin 2016 et fin 2021). Pour rappel, l'institut de statistiques prend en compte tous les types d'industries dans son périmètre (agroalimentaire, manufacturier,..). C'est pourquoi ce chiffre est supérieur à celui évoqué par le gouvernement. « Le projet de loi seul ne va sans doute pas permettre d'atteindre cet objectif [de 15% du PIB] mais il répond à de nombreuses demandes des industriels », a estimé Olivier Redoulès. , a estimé Olivier Redoulès.
La loi industrie verte détaillée ce mardi permettrait selon les calculs de Bercy de générer 23 milliards d'euros d'investissement et 40.000 emplois directs d'ici 2030. L'exécutif compte sur le crédit d'impôt estimé à 500 millions d'euros pour booster les embauches dans l'industrie verte. « C'est un chiffre significatif dans un contexte budgétaire contraint, mais limité par rapport aux enjeux », précise Olivier Redoulès.
Dans l'étude d'impact encore provisoire consultée par La Tribune, le gouvernement table sur la création de 1.500 à 3.000 emplois par grand projet industriel comme les usines de batteries et un milliard d'euros de chiffre d'affaires pour chaque unité de production tous les ans. A ces effets directs, peuvent s'ajouter des conséquences indirectes sur les territoires (emplois indirects, activité dans les services aux entreprises). « L'effet multiplicateur de l'investissement peut varier en fonction de la nature du projet et de la nature de l'aide (subventions, crédit d'impôt, prêt) », rappelle à La Tribune l'entourage du ministre de l'Economie. Parmi les secteurs ciblés, l'industrie des pompes à chaleur pourrait embaucher à tour de bras (16.000 emplois directs) mais aussi les éoliennes (3.000 emplois directs).
Crédit d'impôt, bonus automobile...
Le projet de loi veut muscler le développement des technologies vertes par le biais d'un crédit d'impôt « investissements industrie verte ». Ce nouvel outil devrait être mis en place dans le prochain budget 2024. Son coût est estimé à 500 millions d'euros. Il doit favoriser la production de nouvelles batteries, de panneaux solaires, d'éoliennes et de pompes à chaleur. Ce crédit d'impôt concernera les investissements relatifs au terrain, aux bâtiments ou à l'achat de machines mais aussi les droits de propriété intellectuelle, les brevets ou encore les licences. « L'assiette du crédit d'impôt sera égale au coût des investissements dans les secteurs stratégiques pour la réindustrialisation verte et son taux pourra aller de 20% à 45% », explique le dossier de presse.
Parmi les autres grandes mesures évoquées figure le bonus écologique. « Ce bonus [existant] représente 1,2 milliard d'euros par an, dont 40% sont déjà partis Asie depuis le mois de janvier 2023. Or, nous n'avons pas vocation à financer sur des fonds publics le développement des usines en Asie », a déclaré Bruno Le Maire. Cette mesure directement inspirée de l'IRA américain (Inflation Reduction Act) vise à soutenir l'industrie automobile européenne. Le bonus sera attribué « en fonction du calcul de l'empreinte carbone de l'acier, de la batterie, et l'intégration de produits recyclés ou biosourcés dans le cycle de fabrication », ont expliqué les conseillers du ministre de l'Economie lors d'une réunion avec les journalistes. Interrogé sur les éventuels risques juridiques relatifs au règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC), Bercy assure que « ce n'est pas un dispositif qui va créer des barrières à l'entrée. La conditionnalité ne se fait pas sur des critères de localisation mais d'environnement ».
Friches et financement
La question du foncier a ravivé les débats entre la nécessaire réindustrialisation et la préservation des sols. L'un des objectifs du projet de loi est de livrer des sites clés en main. L'Etat va s'engager « à pré-aménager et pré-équiper 50 sites France 2030 », soit environ 2.000 hectares pour de nouvelles usines. La Banque des territoires doit mettre un milliard d'euros sur la table. Le gouvernement s'est également engagé à diviser par deux les délais d'implantations pour les passer de 17 mois à 9 mois. Le but est d'engager plusieurs procédures en parallèle afin d'accélérer les temps de traitement des dossiers.
Sur le volet financement, le gouvernement a annoncé le lancement d'un nouveau produit d'épargne climat pour les mineurs dont la collecte annuelle pourrait atteindre 1 milliard d'euros. Ce livret doit bénéficier d'une exonération fiscale et sociale et sera plafonné à 23.000 euros comme le livret A. Interrogée par La Tribune, l'ONG Reclaim Finance s'est montrée sceptique sur cette proposition. « Ce produit va coûter un milliard d'euros aux finances publiques sans condition [...] Il faut mettre en place des garde-fous et faire en sorte que ce texte aille soutenir des secteurs émergents de l'économie verte », a jugé Antoine Laurent chargé de plaidoyer et ancien conseiller du député Mathieu Orphelin pendant la législature 2017-2022.
Un texte jugé « timoré »par les ONG
Sur le front écologique, le projet de loi devrait permettre de réduire les émissions de CO2 de 41 millions de tonnes d'ici 2030, soit 6,3 millions de tonnes chaque année. L'impact le plus important sur l'empreinte carbone proviendrait du crédit d'impôt (-34,6 millions de tonnes en cumulé). Viennent ensuite, le bonus automobile (-3,2 millions de tonnes), le financement (-2,1 millions de tonnes) ou encore la réhabilitation des friches (-1,6 million de tonnes).
Dans un communiqué, le Réseau action climat a salué « la volonté de conjuguer les ambitions climatiques et industrielles mais appelle le Parlement à renforcer le texte, trop timoré en l'état au regard des enjeux environnementaux et sociaux actuels ». Les organisations écologistes mais aussi le Conseil national de la transition écologique (CNTE) rassemblant des organisations patronales et syndicales, des élus et associations avaient pointé il y a quelques jours le manque de définition claire de l'industrie verte dans un avis. En attendant son passage au parlement, le projet de loi promet des débats enflammés.