La télémédecine et ses innovations au chevet des territoires

Téléconsultation, cabinet 3.0… La télémédecine comme solution aux déserts médicaux ? Les collectivités territoriales s’en sont largement saisies depuis 2010 et ne cessent de multiplier les expériences, avec un objectif commun : faciliter l’accès aux soins. Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque.
(Crédits : Istock)

La consultation face caméra va-t-elle devenir la norme dans les zones dépourvues de professionnels de santé ? Si la crise sanitaire a donné un sérieux coup de boost à la télémédecine, les pouvoirs publics ont depuis longtemps repéré son potentiel. Dès 2012, elle était intégrée dans le Pacte santé et territoire (porté par Marisol Touraine, ministre de la Santé de François Hollande) comme remède au manque de professionnels de santé. Les régions et départements ont suivi, en lançant différentes initiatives autour de la téléconsultation, mais aussi de la télésurveillance et téléexpertise.

Ainsi, depuis 2019, la Meuse s'est transformée en véritable laboratoire de santé numérique. Lauréat de l'appel à projets Territoires d'innovation, adossé au programme Investissements d'avenir et soutenu par la Banque des Territoires, E-Meuse Santé vise à faire du département une vitrine en la matière. Ce programme associe également la Haute-Marne, la Meurthe-et-Moselle et la région Grand Est.

« E-Meuse Santé est un territoire d'expérimentation à grande échelle, dans lequel se rencontrent les besoins portés par les professionnels de santé, les patients, les aidants et les solutions numériques innovantes proposées par les entreprises françaises, idéalement installées dans le Grand Est. Intégrer une innovation dans le bon écosystème permet une évaluation au plus proche des besoins du terrain, c'est une valeur ajoutée considérable pour ceux qui conçoivent ces solutions », observe Jean-Charles Dron, directeur opérationnel.

Outre sa faible densité médicale, le département est marqué par un taux de pauvreté élevé et une population vieillissante. En écho, le projet se concentre sur l'accès aux soins, la prévention, le suivi des maladies chroniques et le maintien à domicile des personnes âgées. « En tant que collectivité, notre objectif est de donner un accès équitable au service public de santé, avec un impact sur l'attractivité du territoire. Le cœur d'E-Meuse est la technologie, mais notre démarche intègre aussi toute l'organisation territoriale d'accès aux soins. Nous ne sommes pas là simplement pour poser un appareil de télémédecine », avance Julien Didry, vice-président du département chargé du numérique.

La téléconsultation s'est rapidement imposée comme une priorité. Treize sites d'expérimentation ont été implantés dans des maisons de santé, pharmacies, cabinets médicaux, et résidences pour personnes âgées. Ils sont équipés de chariots de télémédecine avec des dispositifs connectés (stéthoscope, otoscope, caméra main) manipulés par un infirmier ou pharmacien, et le médecin traitant reçoit systématiquement un compte rendu. « Ce modèle est celui qui s'adapte le mieux aux besoins de nos territoires. Nous avons eu la chance de pouvoir nous appuyer dans sa construction, sur un médecin local qui assure la réponse médicale en téléconsultation (plus de 4 000 actes à ce jour), comme une sorte de "super remplaçant". Cela a été vraiment très précieux pour démarrer notre expérimentation. Malgré l'explosion des téléconsultations pendant la crise sanitaire, il y a parfois une forme d'inertie des professionnels de santé qui ne voient pas toujours l'intérêt de s'inscrire dans cette pratique. Notre approche contribue à faire émerger des modèles locaux dans lesquels ils trouvent leur place », détaille Jean-Charles Dron.

Cabinets médicaux 3.0

« Dans notre département, le nombre de généralistes a baissé de 20 % en 10 ans et 44 % ont 60 ans et plus, ils vont donc prendre leur retraite d'ici 5 ans. Si nous ne faisons rien, la situation va encore s'aggraver », expose Laurent Richard, vice-président délégué à la santé des Yvelines. Quelque 50 cabines de téléconsultation vont être installées dans les zones les moins bien dotées, les petits villages isolés ou quartiers prioritaires de la politique de la ville. « Notre projet a été construit en totale collaboration avec l'ARS, la CPAM, l'Ordre des médecins et les communautés professionnelles territoriales de santé », poursuit l'élu. Et les consultations seront conduites en priorité avec des praticiens du territoire.

Des sites départementaux, comme les centres de PMI ou les maisons médicales territoriales, accueilleront huit cabines dès ce premier trimestre. Après appel à candidatures, les autres suivront d'ici début 2024, et l'une d'entre elles sera placée à bord d'un bus itinérant. Ce cabinet médical 3.0 permet l'utilisation autonome d'une dizaine d'instruments connectés (tensiomètre, stéthoscope, dermatoscope, thermomètre, etc.). Les patients sont orientés par les médecins, formés à la pratique à distance par la société qui fournit les télécabines, H4D. Créée il y a une dizaine d'années, elle œuvre déjà dans plusieurs collectivités, des hôpitaux et entreprises.

« C'est la première fois que nous intervenons pour un maillage aussi important avec une telle dynamique. L'approche du département repose vraiment sur la notion d'espace de santé du territoire. Nous l'accompagnons pour rencontrer tous les acteurs et voir comment compléter les dispositifs déjà en place avec nos cabines de télémédecine. Travailler de cette façon permet de penser de façon collaborative l'ensemble du système en fédérant, la médecine de ville, l'hôpital, les urgences », souligne Valérie Cossutta, directrice générale d'H4D.

Faire le pont avec le national

Certaines régions sont des championnes de la télémédecine. En Normandie, les actes réalisés à distance ont bondi de 10 700 en 2019 à plus de 400 000 deux ans plus tard. Normand'e-Santé (NeS), le groupement régional d'appui au développement de la e-santé, est le bras armé de l'Agence régionale de santé (ARS). « Nous jouons un rôle d'experts en accompagnant les professionnels de santé dans le déploiement de leurs projets en santé numérique. Par exemple, si certains veulent se coordonner pour proposer un dispositif de télémédecine dans un territoire en difficulté, nous intervenons en appui pour leur proposer des solutions techniques, en assurant la sécurité des données, en leur faisant part de notre retour d'expérience. Nous rencontrons également les acteurs du terrain pour essayer de les fédérer autour de projets communs. En revanche, nous n'arrivons jamais avec un projet clé en main mais bien pour les accompagner », assure Karine Hauchard, directrice adjointe de NeS.

Le groupement a créé la plateforme de télémédecine régionale, Therap-e. Elle compte 7 179 utilisateurs, dont 2 000 dans le secteur libéral.

« La télémédecine connaît une vraie dynamique à l'échelle nationale, liée au contexte post Covid-19. Les moyens alloués atteignent aujourd'hui un niveau que nous n'avions jamais vu depuis une dizaine d'années. Tout l'enjeu est de rester ancré dans nos territoires et avec les besoins de nos utilisateurs pour ne pas tomber dans une sorte de jacobinisme qui pourrait se révéler néfaste. Nous devons garder ce lien avec le terrain et faire le pont avec le socle national constitué par le Dossier médical partagé et Mon espace santé. Ils permettront de donner une autre dimension aux projets que nous portons dans la région », ajoute Olivier Angot, directeur de NeS.

Parmi ces dispositifs phares, un système de télésurveillance géré de bout en bout. « Ce programme permet d'assurer le suivi des patients insuffisants cardiaques, notamment après une hospitalisation. Une application mobile leur pose cinq jours sur sept des questions sur leur état de santé et leur hygiène de vie, pour évaluer les critères d'une potentielle complication. Ces informations sont consultées quotidiennement par une équipe de soins, qui peut directement échanger avec le patient et l'informer sur la conduite à tenir. Ce système vise entre autres à accompagner dans une meilleure connaissance de sa pathologie et sur les bons réflexes à avoir », explique Karine Hauchard. Cette initiative fait partie du programme national visant à évaluer l'entrée de la télémédecine dans le droit commun (qui sera effective le 1er juillet prochain).

Impulsion des professionnels de santé

Les acteurs de santé locaux sont généralement les mieux placés pour cerner les besoins. L'expérimentation Cica'Corse a été impulsée par l'URPS infirmiers, chargée de représenter ces professionnels libéraux sur le territoire. « La région a la chance d'être très bien dotée en infirmiers libéraux. L'expérimentation est née de leur pratique et des difficultés rencontrées lors de la prise en charge des patients au domicile présentant des plaies chroniques ou complexes. Avec ce dispositif, une équipe d'experts donne son avis lors d'une téléconsultation, propose un plan de prise en charge, puis l'équipe soignante de territoire prend le relais en intervenant auprès du patient », indique Carine Albertini, chargée de mission à l'ARS. Dans l'« île-montagne », des heures de trajets sont souvent nécessaires pour accéder à des soins spécifiques, obstacle d'autant plus important pour une population vieillissante.

Le projet, qui associe les centres hospitaliers de Bastia et d'Ajaccio, a été autorisé pour cinq ans en 2019 dans le cadre du dispositif « article 51 » (permettant de tester des modalités de prise en charge innovantes dans l'Hexagone). « Nous avons constitué une équipe virtuelle, réunissant des médecins généralistes, des chirurgiens, des infirmiers salariés et libéraux. Chacun reste dans sa structure, une plateforme nous permet d'avoir accès à nos dossiers et à un système de téléconsultation. Cica'Corse valorise l'expertise des infirmiers et dégage du temps médical grâce à des protocoles de coopération permettant de déléguer certains actes », complète Clarisse Goux, trésorière de l'URPS infirmiers Corse et instigatrice du projet. Une limite toutefois : « La télémédecine est encore nouvelle pour les infirmiers, les pratiques doivent encore évoluer pour qu'elle devienne une habitude. » Car l'e-santé reste avant tout un outil à la main des professionnels de santé. À ces derniers de se l'approprier pour faire éclore tout son potentiel et répondre aux défis actuels et à venir.

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T14

Commentaire 1
à écrit le 09/05/2023 à 12:35
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"Téléconsultation, cabinet 3.0… La télémédecine comme solution aux déserts médicaux ? " Ça doit être sympa pour les hémorroïdes.

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