Quand le désert médical avance

En France, environ 20 millions de personnes, soit 30 % de la population, habitent dans une zone définie comme « désert médical ». Si cette pénurie de professionnels, dont on parle depuis 20 ans, a d’abord été cantonnée aux campagnes, voici qu’elle touche désormais les villes et notamment les localités autour de Paris. Population vieillissante exigeant plus de soins, assouplissement tardif du numerus clausus pour les étudiants en médecine, départ massif à la retraite des médecins formés à partir des années 1970… : les raisons de cette situation sont nombreuses. Et la crise actuelle ne pourra pas être résorbée avant 2030 au plus tôt. En attendant, les élus locaux, les pouvoirs publics et les organismes représentatifs cherchent des solutions pour attirer les jeunes dans ces déserts… ( Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Il ne décolère pas... « Certaines femmes prêtes à accoucher devront parcourir 180 km - deux heures de route - pour aller dans une maternité », tonne Vincent Chauvet, le maire (Modem) d'Autun, une petite ville de 13 000 habitants en Saône-et-Loire. L'Agence régionale de santé (ARS) a en effet décidé, du fait que l'hôpital local n'était pas, apparemment, en mesure d'assurer la garantie de continuité des soins, faute de pédiatre, la fermeture du service de gynécologie-obstétrique. Décision communiquée au maire... à la dernière minute. Et alors que quatre autres élus locaux - à Ganges (Hérault), Sedan (Ardennes), Guingamp (Côtes-d'Armor) et Porto-Vecchio (Corse) -, sont aux prises avec les mêmes décisions, qui feront disparaître leur maternité, Vincent Chauvet les a contactés pour voir quelles pourraient être les actions à mener en commun ou celles qui auraient, dans l'une ou l'autre commune, déjà fait leurs preuves pour lutter contre ce « grand déménagement du territoire » qu'il refuse, et, de façon plus générale, contre ce que l'on appelle des déserts médicaux, même si, techniquement, la commune d'Autun n'en est pas un. Et, bien sûr, dans ces petites villes, la population a manifesté pour dire son attachement à la maternité.

La notion de désertification médicale, dont on parle depuis les années 2000, est circonscrite, dans le jargon de l'administration française, à quelque chose de bien spécifique, comme l'indique Guillaume Chevillard, chargé de recherche à l'Irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé) : « Il s'agit avant tout de mesurer l'accès à un médecin généraliste, en fonction de la distance à parcourir, des délais pour les rendez-vous et les soins non programmés. » C'est cette définition, celle de « communes sous-denses en médecins généralistes », car affichant ainsi un indicateur d'accessibilité potentielle localisée inférieur ou égal à 2,5 consultations par an - qui permet de dire si le lieu doit être ensuite considéré comme une « zone d'intervention prioritaire », susceptible de bénéficier de mesures visant à attirer des médecins généralistes... En effet, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), les Français iraient aujourd'hui consulter leur médecin généraliste en moyenne 3,4 fois par an. Un indicateur en baisse, d'ailleurs, puisque le chiffre était de 3,5 en 2019 et 3,7 en 2016. Une commune dont l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée est inférieur ou égal à 2,5 consultations par an est donc considérée comme sous-dotée en médecins généralistes. Toujours selon la Drees, près de 26 départements ont au moins 200 communes sous-dotées en médecins généralistes, d'après l'étude qu'elle a menée entre 2019 et 2021 sur toute la France. L'Aisne, l'Eure, la Seine-et-Marne, la Saône-et-Loire, l'Oise, la Côte d'Or sont ainsi les départements les plus touchés. En revanche, sept communes seulement dans les Bouches-du-Rhône affichaient un indicateur d'accessibilité potentielle localisée inférieur à 2,5 consultations par an.

Évidemment, si l'on ajoute l'accès à des services d'urgence, à une maternité ou à des spécialistes, comme des pédiatres ou des cardiologues, le nombre de personnes vivant dans de tels territoires « sous-dotés » ne peut que s'accroître... Reste que même avec la seule définition officielle, la plus limitée, ce sont déjà 30 % de la population, en France, qui habitent dans une zone d'intervention prioritaire. Autrement dit, quelque 20 millions de personnes sont dans une zone définie comme un désert médical, même si elles-mêmes, d'ailleurs, ont accès à un généraliste. Et cette situation ne cesse de s'aggraver, puisqu'avec cette même définition, les données ne faisaient état, il y a quelques années, que d'une proportion de 8 %, puis de 12 % de la population...

Normalisation espérée

Non seulement le désert avance, mais en plus, alors qu'il touchait certes peu ou prou tous les départements, voici maintenant qu'il prend un caractère nouveau : le phénomène affecte en effet aussi, désormais, les zones périurbaines, et en particulier celles de la région parisienne. Parmi les communes de plus de 50 000 habitants, celle d'Argenteuil (95) affiche le plus mauvais score, avec 1,74 consultation par an et par habitant, suivie par Corbeil-Essonnes (91), avec 1,93 et par Chelles (77), avec 1,91 visite. « Cette nouvelle particularité s'explique par le fait que la population augmente dans ces zones - alors qu'elle fond, d'ailleurs, en ruralité -, et que cela se conjugue avec une raréfaction des médecins », explique Guillaume Chevillard.

Le mot est lancé. Les médecins, en particulier généralistes, se font rares... Et cela risque de se poursuivre. Pour plusieurs raisons. D'une part, le départ à la retraite prochain et massif des médecins de la génération des baby-boomers, et de l'autre, pour les remplacer, le nombre encore trop faible de jeunes médecins formés - malgré l'assouplissement progressif du numerus clausus, un quota imposé depuis 1971 pour limiter le nombre d'étudiants admis (du fait d'abord des capacités du système éducatif à les accueillir, puis, en théorie, des besoins en soins identifiés), transformé en numerus apertus depuis 2021. Pour l'heure, selon les chiffres de la Sécurité sociale, 46 % des médecins généralistes sont âgés de 55 ans ou plus et 42 % des spécialistes sont dans le même cas. Ce qui laisse penser que près de la moitié des 229 000 médecins (généralistes et spécialistes) que comptait la France au début 2022 pourraient devoir être remplacés dans les dix ans à venir. Or, c'est à peu près le laps de temps nécessaire pour former un jeune médecin... Déjà, plus de 10 000 étudiants ont été admis en deuxième année en 2021 (contre moins de 7 500 en 2010). L'espoir d'une « normalisation » de la situation est donc permis - à l'horizon de 2030 ou 2035 seulement, cela dit.

Diversifier les profils d'étudiants

Entre-temps, il faudra donc gérer la pénurie. Notamment en encourageant de jeunes médecins à aller s'installer dans les déserts médicaux, afin de ne pas accroître les disparités qui existent déjà en matière de densité de médecins (laquelle s'élève en moyenne à 340 médecins pour 100 000 habitants actuellement, selon la Sécurité sociale), et qui fragilisent un peu plus la cohésion sociale et territoriale du pays. Mais comment ? Les incitations actuelles sont, de l'avis d'Élise Fraih, présidente de ReAGJIR (le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants), rares et surtout, peu connues. C'est notamment le cas du contrat d'engagement de service public, créé en 2009 et réformé en 2019, qui permet aux étudiants des 2e et 3e cycles de percevoir une allocation mensuelle de 1 200 euros. En contrepartie, ils s'engagent pendant un nombre d'années égal à celui durant lequel ils auront perçu l'allocation (et pour deux ans minimum) à exercer, une fois leur formation terminée, dans des zones où l'offre de soins est insuffisante ou difficile d'accès. Peu promue, cette bourse est peu utilisée - et donc peu efficace... « Alors que les étudiants en médecine viennent en majeure partie des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, nous pensons qu'il faut accroître la diversité des milieux sociaux et inciter les jeunes issus des territoires sous-dotés - urbains ou ruraux - à faire des études de médecine. Il y a aura ainsi plus de chances pour qu'une fois formés, ils s'installent dans leurs lieux d'origine. Tout cela prendra du temps, bien sûr, et il faudra financer ces initiatives, mais la coercition que veulent mettre en place certains députés est illusoire et montre qu'ils ne comprennent pas ce que nous faisons. Et parachuter seul un jeune médecin dans un territoire sous-doté ne sert pas à grand-chose... », poursuit Élise Fraih, qui s'est installée il y a quelques années à Dachstein, un petit village à 30 minutes de Strasbourg.

D'ailleurs, les autres incitations, comme le contrat d'aide à l'installation des médecins (toujours dans des zones sous-dotées), proposant un coup de pouce financier, accordé une seule fois et versé aux médecins en deux fois : 50 % dès l'installation et 50 % après un an, sont, elles aussi, peu prisées. « Un médecin qui s'installe a besoin d'un environnement adéquat, explique Emmanuel Touzé, professeur de neurologie et doyen de l'unité de formation et de recherche santé à l'université de Caen Normandie. Il doit pouvoir avoir accès à des spécialistes pour des avis de premier recours et à un plateau technique pour des examens complémentaires. C'est donc une nouvelle organisation du territoire qui doit se mettre en place. » Et c'est d'ailleurs le cas dans de plus en plus de lieux. Sous forme, notamment, de maisons de santé ou de centres pluri-professionnels, qui font que le jeune médecin n'est pas isolé et qu'éventuellement, il peut avoir recours à d'autres experts. « Les acteurs : collectivités, agences régionales de santé, centres hospitaliers régionaux et universitaires... dialoguent de plus en plus dans les territoires pour trouver des solutions innovantes, se félicite-t-il. Et les jeunes, aujourd'hui, veulent de toute façon travailler en réseaux. »

Ce sont donc plusieurs pièces d'un même puzzle - y compris, comme le rappelle Élise Fraih, « un emploi pour le conjoint du médecin et des perspectives de vie dans le lieu d'accueil », qu'il faut réunir pour venir à bout des déserts médicaux. Le maire d'Autun, Vincent Chauvet, ne dit pas autre chose lorsqu'il estime que « toutes les subventions, tous les investissements du type "Action Cœur de ville" et autres ne serviront à rien si, autour, on ferme des hôpitaux et que les médecins ne peuvent faire appel à des confrères. D'autant que ce qui freine l'arrivée de nouveaux habitants dans les villes moyennes, c'est avant tout l'accès aux soins. »

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T14

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Commentaires 5
à écrit le 30/04/2023 à 11:46
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Le numerus clausus voulu par la corporation, a reduit le nombre des médecins pour qu'ils puissent s'installer où ils veulent et gagner plein de pognons

le 01/05/2023 à 10:26
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il y a de moins de médecins en activité, découragés par la masse de travail et la pauvre rémunération de leurs 9 années d’études une fois installé. De plus on rajoute une obligation de faire les 2 premières années sans avoir la possibilité de redoubl...

à écrit le 29/04/2023 à 21:52
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Si cela continue, nous allons bientôt devoir aller nous faire soigner à l'étranger, dans les pays frontaliers, par exemple, non ?

à écrit le 29/04/2023 à 19:57
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Pas besoin d'habiter un désert médical pour ne plus avoir de médecin référent. J'habite à la périphérie d'une grande agglomération et pfuuiiit! Plus de médecin depuis 2 ans et impossible de se faire admettre ailleurs: "On ne prend plus de nouveaux ...

à écrit le 29/04/2023 à 9:04
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En France, les gens ne veulent pas payer pour leur santé, donc l'offre de soins disparait. Le personnel de santé ne vit pas d'amour et d'eau fraiche, à un moment donné, faut arrêter de nier la réalité

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