
L'économie française subit de plein fouet les effets dévastateurs de la guerre en Ukraine. Un an après l'éclatement du conflit en Ukraine, l'appareil productif tricolore est toujours en plein marasme. D'après les chiffres communiqués par les douanes ce mardi 7 février, la balance commerciale tricolore a enregistré un plongeon abyssal. « La balance des biens clôture l'année avec un déficit de 164 milliards d'euros. Sur ce total, la moitié est imputable à cette balance énergétique et l'autre moitié est liée au déficit structurel qui lui se maintient », a déclaré le ministre en charge du commerce extérieur, Olivier Becht, lors d'un point presse.
Le déficit enregistré en 2022 est deux fois supérieur à celui de 2021 et 2,5 fois plus haut que la moyenne de la dernière décennie. « Le chiffre global de 2022 n'est pas une surprise. Il vient confirmer les chiffres des 11 premiers mois de l'année, » a déclaré Denis Ferrand, économiste et directeur général à COE-Rexecode interrogé par La Tribune. « Derrière ce chiffre, il y a des facteurs conjoncturels comme la crise exceptionnelle de l'énergie et des facteurs plus structurels. La France n'a pas réussi à enrayer son déficit de compétitivité. L'examen des résultats de parts de marché de la France dans la zone euro indique que la place de l'Hexagone s'est un peu affaiblie entre 2019 et 2022 » , a-t-il complété.
Alors que le gouvernement ne cesse de répéter que l'économie française « résiste, » ces chiffres pourraient mettre à mal la stratégie économique de Bercy basée en grande partie sur la politique de l'offre et l'attractivité.
La crise énergétique plombe la balance commerciale
Sans surprise, la crise énergétique a provoqué un choc majeur sur la balance commerciale tricolore. « 85% de la dégradation de la balance des biens s'explique par la crise énergétique. Les coûts de l'énergie ont été multipliés par deux entre 2021 et 2022. Le premier facteur est l'importation de gaz. Il a fallu reconstituer les stocks de gaz », a détaillé le ministre. En effet, la guerre en Ukraine a complètement chamboulé les cartes de l'approvisionnement énergétique sur le Vieux continent. En quelques mois, les Etats européens ont dû anticiper les menaces de coupure gaz russe tout en cherchant d'autres sources d'approvisionnement à des prix souvent prohibitifs.
Résultat, la facture énergétique de l'Hexagone s'est envolée. Les importations de gaz ont augmenté de 248% à 59 milliards d'euros, celles de pétrole brut de 99% à 33 milliards d'euros, celles de produits pétroliers de 60% à 38 milliards d'euros selon les Douanes. «La France paye lourdement la facture énergétique », a résumé le ministre.
L'immobilisation du parc nucléaire et la dépréciation de l'euro ont également dégradé la balance
Le second facteur évoqué par Olivier Becht est l'importation d'électricité de l'étranger. « La France a dû faire face à une immobilisation de son parc nucléaire durant l'année 2022. Il a fallu rattraper la maintenance des années Covid » a-t-il expliqué.
Enfin, la dépréciation de l'euro face au dollar, en principe favorable aux exportations, a joué en défaveur de l'appareil tricolore exportateur. « L'euro s'est déprécié de 11% face au dollar. La France n'a pas eu le bénéfice de cette dépréciation sur certains exports », a précisé Olivier Becht. En outre, une partie des importations, notamment dans le secteur de l'énergie sont libellées en dollar. Ce qui peut grandement pénaliser la balance commerciale de l'Hexagone.
La balance des services à un niveau record
Le bilan 2022 est également marqué par quelques points positifs. La balance des services a atteint un excédent record de 50 milliards d'euros. « C'est du jamais-vu. Cela s'explique par le retour des touristes (+14 milliards d'euros), des gains dans les entreprises de transports (+25 milliards d'euros), et aussi les services financiers (+9 milliards d'euros) », a passé en revue Olivier Becht.
Après plusieurs années de fermetures des frontières dans le contexte de la pandémie, de nombreux touristes étrangers sont venus en France l'été dernier contribuant ainsi à rééquilibrer la balance commerciale globale. Aussi, le Brexit semble avoir eu des répercussions favorables sur la balance des services. « Le dynamisme de la place de Paris s'explique en partie par un effet post-Brexit. Paris est devenue la première place financière en Europe après Londres en 2022, » a expliqué le ministre.
Une désindustrialisation à marche forcée
Ces facteurs conjoncturels n'expliquent pas l'ensemble des mauvais chiffres de 2022. D'autres facteurs plus structurels ont pu également jouer un rôle majeur. « Ce déficit structurel s'explique par la désindustrialisation du pays. 25 ans de désindustrialisation se paie très cher », a déclaré le ministre devant les journalistes.
Malgré cette avalanche de mauvais chiffres, le membre de l'exécutif assume la stratégie économique de l'exécutif. « La France a entamé une politique de réindustrialisation depuis cinq ans », a assuré Olivier Becht. « C'est un mouvement qui prend du temps, mais qui est engagé ».
Pourtant, de nombreux travaux ont jeté une lumière crue sur les facteurs de désindustrialisation propres à l'Hexagone. Le très épais rapport (457 pages) de la commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France dévoilé l'année dernière a pointé par exemple les effets néfastes du « rêve d'une France sans usine » cher à Serge Tchuruck, ex-PDG de Total. « Le rêve d'une France sans usine a montré non seulement ses limites, mais sa dangerosité. Dans un cercle vicieux, les délocalisations d'usines ont entraîné une délocalisation de la recherche et du développement, conduisant dans certaines branches à un manque d'innovations technologiques favorisant de nouvelles délocalisations », a ainsi critiqué le député (PS) et rapporteur de la Commission Gérard Leseul.
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