Le dilemme des restaurants face au couvre-feu  : fermer le soir ou rester ouvert jusqu'à 21h  ?

Si certains préfèrent s'adapter dans l'espoir de sauver les meubles, d'autres ont déjà décidé de tirer un trait sur le service du soir. Néanmoins, la grogne monte et les recours risquent de se multiplier dans les prochains jours. Ainsi, à Toulouse, l'arrêté préfectoral ordonnant la fermeture des bars et des mesures restrictives aux restaurants vient d'être suspendu ce vendredi.
(Crédits : MICHELE TANTUSSI)

[Article publié le 16.10.2020 à 10h47, MàJ 18h30 avec la suspension de l'arrêté imposant la fermeture des bars en Haute-Garonne]

Dernière soirée avant un couvre-feu d'au moins quatre semaines - voire peut-être six - pour les 20 millions d'habitants de d'Île-de-France, Lyon, Lille, Toulouse, Montpellier, Saint-Etienne, Aix-Marseille, Rouen et Grenoble.

Comme l'a expliqué le Premier ministre Jean Castex jeudi 15 octobre, à partir de minuit dans la nuit de ce vendredi à samedi, ce sera « chacun chez soi de 21h à 06h » dans les zones concernées, à moins d'avoir en main une attestation dérogatoire pour aller par exemple au travail, à l'hôpital ou à la pharmacie, rendre visite à un proche en situation de dépendance ou sortir son animal de compagnie.

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À chaque restaurant son cas particulier

Dans toutes ces villes, les soirées au restaurant vont devoir être écourtées, ce qui provoque l'ire des restaurateurs. Tous se posent la même question : rester ouvert le soir, au risque d'alourdir ses pertes, ou non ? Florent Poulard, chef propriétaire de Monsieur P., un petit restaurant au cœur de Lyon, tentera une nouvelle organisation. Il proposera « une petite formule de 18h à 19h, sans entrées » et fermera à 20h30. « Mais si on fait dix couverts à 20 euros, c'est plus rentable de fermer que d'être mi-ouverts (...) on verra si c'est viable en fin de semaine prochaine ».

Même doute à Paris pour Gabrielle Beck, la patronne du Tintamarre, qui fait 60% à 70% de son chiffre d'affaires le soir, malgré un nombre de couverts plus important le midi car « ce sont des formules beaucoup plus économiques ». « Je risque de devoir fermer et de mettre au chômage partiel mes salariés », craint-elle.

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À Marseille, le gérant du bar-brasserie Castell York - qui ne souhaite pas être nommé - sur la place Castellane devra, la mort dans l'âme, « supprimer le service du soir » et mettre au chômage partiel ses quatre employés, même s'il essaiera « d'étaler une partie de leurs horaires sur la journée pour moins les pénaliser ». Il n'a reçu « aucune aide de l'État pour l'instant ».

Un peu plus loin, au restaurant italien La mère Buonavista, Stain Roman ne décolère pas contre les annonces du président : « Je n'ai jamais vu ça en 50 ans que je suis ici. On va fermer le soir, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ? Il faut que nos employés soient dehors à 21h », s'emporte la septuagénaire, qui dit avoir perdu 60% de son chiffre d'affaires depuis l'épidémie. « On tape sur les petits et les supermarchés très fréquentés restent ouverts », s'insurge la restauratrice. « On est en train de nous ruiner ».

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« C'est la galère »

Si les restaurateurs sont prêts à s'adapter, qu'en sera-t-il des consommateurs ? C'est la question que se pose Laurent Saturinini, gérant du Relais Corse, qui sert de la charcuterie fine insulaire sur l'une des principales artères de Marseille, l'avenue du Prado. « C'est la galère, est-ce que les gens vont accepter de se mettre à table à 18h30, alors que c'était plutôt l'heure où ils venaient prendre l'apéro ? ».

D'autant plus que, depuis mars, les restaurateurs sont soumis à la valse des périodes d'ouverture/fermeture. En témoigne la situation marseillaise : après les deux mois d'inactivité du confinement, les restaurants ont dû baisser le rideau à 23h... puis refermer pour une semaine fin septembre avant de pouvoir rouvrir une semaine et de nouveau fermer à 21h à partir de samedi pour cause de couvre-feu. « On n'y comprend plus rien. On ne sait pas comment gérer nos stocks, c'est très compliqué », désespère Laurent Saturinini.

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Une situation qui ne s'arrête pas à la deuxième ville de France. À Lyon, Florent Poulard s'alarme « d'un endettement énorme ». « On sauve les meubles mais on creuse encore la dette et on n'a pas de trésorerie », souffle celui dont l'établissement a ouvert le 5 février 2020, cinq semaines avant le confinement. Ce problème de dette, Gabrielle Beck le connaît aussi dans son restaurant parisien. Selon elle, l'aide de 1.500 euros reçue pendant le confinement « ne couvre rien du tout ». « J'ai eu la chance d'avoir un propriétaire qui m'a offert trois mois de loyer, mais depuis juillet je dois payer. C'est une dette remise à plus tard ». Avec un chiffre d'affaires divisé par deux, elle ne se rémunère pas et désormais « ne dort plus » avoue-t-elle, la voix étranglée.

Le gouvernement a annoncé jeudi une série de mesures pour soutenir les indépendants, en particulier les secteurs pâtissant du couvre-feu. Parmi elles, l'élargissement du fonds de solidarité et le prolongement de six mois du Prêt garanti par l'État (PGE). Reste à voir si cela sera suffisant pour un secteur qui représente 110.000 établissements, 360.000 salariés et 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France d'après la FAFIH, l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) des métiers du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration et des activités de loisirs.

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Première contestation: l'arrêté est suspendu à Toulouse

Face à ces nouvelles restrictions, la contestation monte. À quelques heures du couvre-feu, le tribunal administratif de Toulouse a suspendu ce vendredi l'arrêté du préfet de Haute-Garonne qui ordonnait pour quinze jours la fermeture des bars et imposait des mesures restrictives aux restaurants. Le juge administratif, saisi dans le cadre d'un référé liberté, a considéré "qu'il n'était pas démontré qu'une fermeture totale était nécessaire, adaptée et proportionnée au but poursuivi de lutte contre la propagation du covid-19", indique le tribunal administratif dans un communiqué.

(Avec AFP)

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