Toutes les méthodes sont bonnes pour arriver au chiffre tout rond de 100 milliards. Près de deux ans après le lancement en grande pompe du plan de relance par le Premier ministre Jean Castex, la Commission des affaires économiques du Sénat vient de livrer un rapport critique sur cette fameuse enveloppe destinée à doper l'économie française en sortie de crise. Selon la sénatrice Anne Chain-Larché (Les Républicains), environ 20% des mesures annoncées seraient en fait un recyclage de dispositifs déjà existants.
Citant l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l'élue de Seine-et-Marne évoque notamment "MaPrimeRénov", "qui se contente de prendre le relais, pour un montant moindre, de l'ancien crédit d'impôt pour la transition écologique [CITE]".
Contestation de la bonne exécution des crédits
Elle souligne également le plan climat de Bpifrance (1,5 milliard d'euros) au titre du prêt vert. Cette mesure a été intégrée au plan de relance alors qu'elle avait déjà été annoncée en 2019.
"Un premier bilan des crédits engagés l'an passé fait apparaître un éparpillement et une inefficience des dépenses, qui laissent filer la dette, mais ne sont pas de nature à transformer structurellement l'économie à moyen et long terme. Si le plan de relance a bien fait redémarrer le moteur, c'est un moteur qui tourne à vide et dont on ne voit plus bien dans quelle direction il nous propulse", résume la sénatrice.
Alors que l'exécutif s'est récemment félicité du décaissement "rapide" de ces 100 milliards, ce document relativise grandement la bonne exécution de ces crédits. Surtout, la déferlante de la cinquième vague pourrait à nouveau obliger le gouvernement à revoir ses ambitions à la baisse. En effet, même si le taux de vaccination de la population française et européenne est supérieure aux précédentes vagues, les perspectives économiques pour le début de l'année 2022 pourraient bien s'assombrir.
La rapidité au détriment de la qualité
Lors d'une réunion la semaine dernière avec des journalistes, l'entourage du ministre de l'Économie Bruno Le Maire a expliqué que, sur les 100 milliards d'euros annoncés, 60 milliards d'euros de crédits avaient été engagés à la fin du mois de novembre, s'approchant ainsi de l'objectif des 70 milliards d'euros fixés par l'exécutif à la fin de l'année 2022. Sur ces 60 milliards, "34 milliards ont vraiment été décaissés, mais nous n'avons pas d'objectifs de décaissement avant la fin de l'année", explique-t-on à Bercy.
Si l'objectif de rapidité a été respecté, de l'avis du comité de suivi et d'évaluation présidé par l'économiste Benoît Coeuré, en revanche la qualité des investissements suscite des interrogations. "L'exigence de qualité des investissements ne semble pas avoir été érigée en priorité de la gouvernance de France Relance, ce qui a pu nuire au potentiel de transformation du modèle économique de ce plan", explique Anne-Chain Larché.
La vice-présidente de la délégation aux entreprises souligne notamment les limites du plan en matière de transition écologique. En matière de transports et mobilité, le bilan est bien maigre. Sur les 60% de fonds décaissés en faveur de l'automobile et l'aéronautique, seulement 3% des projets aéronautiques (sur 367) et 30% des projets automobiles contribuent de manière explicite à la mobilité verte comme l'électrique ou l'hydrogène. À cela, s'ajoute le manque de ciblage de certaines mesures.
Une numérisation des entreprises "pas assez appuyée"
L'autre enjeu du plan de relance est la numérisation des entreprises. Il faut dire que la pandémie a donné un coup d'accélérateur à certains secteurs comme ceux de la livraison, la vente en ligne, les nombreux services à distance. Beaucoup de petites entreprises et PME ont dû trouver rapidement des solutions numériques pour tenter de pallier la fermeture administrative de leur activité.
Face à ce défi, le gouvernement avait mis en place un chèque numérique de 500 euros, jugé "bien faible" par la commission des affaires économiques car il ne permet pas "d'accompagner sur la durée" la numérisation des entreprises. En outre, l'action de "mise à niveau numérique des entreprises" en France est bien inférieure aux moyens alloués dans les autres grandes puissances européennes.
Ainsi, la France a consacré 21% (8 milliards sur 40 milliards) des fonds européens de la relance et de la résilience au numérique, contre 52% en Allemagne (13 milliards sur 25 milliards) ou 28% en Espagne (19 milliards sur sur 69 milliards).
Le rapport étrille la méthode du plan d'investissement de France 2030
Annoncé par Emmanuel Macron à la mi-octobre après un long discours de près de deux heures sous les dorures du château de l'Élysée, le plan d'investissement de 34 milliards d'euros continue de susciter de nombreuses critiques.
Le rapport d'information de la chambre haute désapprouve notamment la méthode de l'exécutif passant par un "un amendement ouvrant 34 milliards d'autorisations d'engagement sur 10 ans, sans étude d'impact et sans aucun détail sur sa gouvernance -, peu conformes aux usages parlementaires et laissant transparaître une préoccupation bien faible pour l'efficience de la dépense publique".
À l'issue de la présentation d'Emmanuel Macron, les conseillers du chef de l'État n'avaient pas caché leur agacement face aux questions des journalistes sur le pilotage et la sanctuarisation budgétaire de France 2030 au-delà de 2022.