« Le risque de conflit social tient plus à l'inflation qu'à la réforme des retraites »

INTERVIEW. Rémi Bourguignon est chercheur et enseignant à l'IAE Paris Est, Université Paris Est-Créteil. Il est un fin connaisseur des syndicats et des conflits sociaux. Pour lui, en 2023, s'il y a des tensions, elles seront essentiellement provoquées par l'inflation qui va continuer à rogner le pouvoir d'achat des Français. La réforme des retraites, même avec un décalage de l'âge à 65 ans, est finalement attendue. Il y a comme une lassitude des Français sur ce sujet.
Fanny Guinochet
2023 promet d'être une année tendue socialement à cause de l'inflation
2023 promet d'être une année tendue socialement à cause de l'inflation (Crédits : ERIC GAILLARD)

Les syndicats préparent déjà leurs armes pour combattre, ce qu'Emmanuel Macron appelle souvent la mère de toutes les réformes, la réforme des retraites. Les détails seront présentés par le gouvernement le 10 janvier prochain. Mais, c'est surtout la question des salaires et des rémunérations qui risquent de détériorer le climat social dans l'Hexagone, selon Rémi Bourguignon, chercheur et enseignant à l'IAE Paris Est, Université Paris Est-Créteil.

LA TRIBUNE - Les Français se moquent-ils d'un passage de l'âge de départ à la retraite à 65 ans ?

Rémi Bourguignon - Non, mais cela fait tellement longtemps que l'exécutif en parle que finalement, les Français s'y préparent. Il y a une forme de fatalisme, de lassitude, de fatigue sur ce dossier. Et puis la réforme qui va être présentée en janvier par Emmanuel Macron revient à un format assez classique, que les Français connaissent : le décalage de l'âge. Le président a abandonné son grand projet de réforme par points, avec un passage à un système universel de retraite... qui était, au final, bien plus anxiogène. On revient à une réforme paramétrique. Que les syndicats se préparent à combattre cette réforme, est attendu. Mais je ne suis pas sûr qu'ils emporteront avec eux l'adhésion des Français, comme en 2010 par exemple. Les bastions habituels se mobiliseront, notamment les régimes spéciaux. Mais pour le reste, les Français ont la tête occupée à autre chose : maintenir leur pouvoir d'achat. Et, pour ce faire, c'est bien dans les entreprises que les bras de fer vont s'exercer, pour obtenir des hausses de salaires.

On l'a constaté en 2022, il y a eu une hausse des conflits sociaux autour des rémunérations. Il n'y a aucune raison qu'en 2023 cela change, car l'inflation va rester élevée selon les économistes. Surtout, depuis les ordonnances Macron de 2018, la négociation se fait au niveau des entreprises. Il est probable que les salariés des grands groupes s'en sortent mieux, et obtiennent des revalorisations, mais pour les autres, les marges de manœuvre risquent d'être faibles... et donc alimenter la grogne, nourrir du ressentiment.

Les syndicats vont devoir se positionner...

Oui, et d'autant plus que cette année 2023 va être très dense en élections professionnelles. Il va y avoir dans de nombreuses entreprises, les votes pour le renouvellement des CSE, les comités sociaux et économiques. C'est une conséquence directe de la loi de 2018 d'ailleurs. Ils doivent être renouvelés au maximum 4 ans après. Nous y sommes. Le législateur ne l'a pas forcément anticipé, mais là, où auparavant, il y avait des élections professionnelles au fil de l'eau dans le secteur privé, elles vont être organisées quasiment toutes en même temps. Ce qui va générer de la concurrence entre les centrales, des bras de fer. Ce calendrier risque d'accroitre les tensions intersyndicales, et de polariser les différences. De tendre encore le climat social global. Surtout, si les syndicats sont trop occupés à se faire réélire sans obtenir des avancées - de pouvoir d'achat -, les Français les mettront en minorité. Ils s'en détourneront, en se disant, que décidément, « ils ne servent à rien ».

Surtout dans un contexte, où les syndicats se font doubler par des collectifs...

Effectivement ! Les Gilets jaunes restent un véritable traumatisme pour la CGT. Et on l'a vu récemment avec le conflit des contrôleurs à la SNCF, il a échappé aux centrales habituelles... Il est né sur les réseaux sociaux, les contrôleurs ont exprimé leur ras le bol et se sont organisés pour mener des actions. Au final, ils l'ont emporté et ça a payé. De fait, ces expériences mettent en difficulté les organisations classiques. Elles se sentent - à raison - menacées. Le risque de se faire déborder peut donc les amener à vouloir montrer les muscles, alors qu'en d'autres temps, elles auraient plus facilement négocié avec la direction. Auparavant, les organisations auraient évité une grève en période de Noël etc.

Ne croyez-vous pas un mouvement coordonné de grande ampleur ?

Non, on le voit bien : chacun se mobilise pour sa « paroisse ». La CGT a essayé de lancer un mouvement général de grève quand il y a eu le conflit dans les raffineries Total, en octobre dernier, en embarquant la SNCF, ou la RATP. Cela n'a pas pris. On revient de plus en plus au contraire à une approche catégorielle. Les travailleurs se mobilisent métier par métier. Il n'y a pas de solidarité globale. Le rêve de la grève générale de la CGT aura bien dû mal à prendre. Ce qui est plus facile à gérer pour le gouvernement. Ce dernier reste d'ailleurs fidèle à lui-même : c'est, dans l' entreprise, dans la branche que les problèmes doivent se régler. Pour lui, l'action politique n'a pas à négocier. Le gouvernement amène les syndicats à fournir un avis. Mais au final, c'est bien lui qui tranche.

L'année 2023 va aussi être marquée par le congrès de la CGT..

Oui, mais la succession de Philippe Martinez n'est pas claire. La CGT est en crise depuis longtemps, et n'a pas tranché en termes de lignes à tenir. Ce qui conduit plusieurs candidats à se déclarer. La CGT est tiraillée entre les durs, les radicaux, et ceux qui sont ouverts à la négociation. Avec ce passage de mandat de Philippe Martinez, elle risque de se trouver encore plus affaiblie qu'auparavant. Quant à la CFDT, elle reste assez discrète. Elle va essayer de limiter les dégâts de l'inflation, mais elle ne sera pas en capacité d'obtenir beaucoup d'avancées. Elle n'est pas très écoutée par le gouvernement, y compris sur le sujet des retraites. L'année 2023 prévoit d'être difficile pour ces organisations.

Lire aussiRetraites : faut-il craindre une grève générale en janvier ?

Fanny Guinochet
Commentaires 16
à écrit le 02/01/2023 à 22:35
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le pouvoir d' achats est prioritaire ; le loyer 50% de notre revenu EDF ET GDF 35 % donc rien pour vivre ..payer notre gaz et électricité ..un découvert bancaire un crédit .on se moque du peuple trop c' est de trop on peut pas accepter .surtout q...

à écrit le 01/01/2023 à 20:55
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Avec ce gouvernement, nos services publics n'en finissent pas de se dégrader....... à se demander si le but de ce gouvernement ne serait pas au final de privatiser l'école, la santé, la sécurité.... comme aux Etats-Unis ou au Royaume Uni.

à écrit le 31/12/2022 à 17:38
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comme d'habitude Macron va nous enfumer dans le style predicateur mais ce monsieur est completement hors sol aucune notion de terrain il plane dans les nuages il est vrais qu'il n'est pas le seul !!!! tout ou presque va a veaux l'eau je crain...

à écrit le 31/12/2022 à 17:24
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La Tribune s’imagine déjà avec la victoire du passage en force de la réforme des retraites voulue par Macron et la droite libérale, «  la mère de toutes les réformes » celle qui fera travailler 3 ans de plus ceux qui ont commencés à travailler jeunes...

à écrit le 31/12/2022 à 11:46
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si déjà nous arrêtions les prépensions de 3 ans de chômage gratuit et des 30 jours de congés payés et des supers-avantages des fonctionnaires et pseudo-fonctionnaires de la planète 'il ne faut surtout pas se fatiguer à la Francaise" ? Les syndicats ...

le 01/01/2023 à 10:16
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ah la grande époque des fonctionnaires. allez dire ça aux infirmières qui vous soignent payer uniquement sous forme de primes qui ne rentreront pas dans leur retraite. un esprit trop petit Si l'état ne change pas ce mode c'est qu'il sait que cela ...

à écrit le 30/12/2022 à 17:05
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N'essayez pas de nous faire croire que la réforme des retraites ben finalement ça va passer comme une lettre à la poste. Rendez-vous en janvier.

le 31/12/2022 à 8:59
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encore un macroniste par interets avant la reforme des retraites pour combler les deficits il y avait la sante plusieur demande des medecins la secu ou la c'est un gouffre avec des prestations qui disparaisse de l'autre cote de la mediteranne

à écrit le 30/12/2022 à 13:15
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Mais pourquoi vouloir prendre sa retraite ? L'essentiel, c'est d'avoir une pension a 60ans pour se permettre d'arrêter de travailler quand on n'en peut plus ?

à écrit le 30/12/2022 à 13:13
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Mais..., pourquoi vouloir prendre sa retraite? L'essentiel... c'est d'avoir une pension a 60ans pour se permettre d'arrêter de travailler quand on en peut plus ?

à écrit le 30/12/2022 à 13:10
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On travaillait dur pour améliorer notre qualité de vie. Aujourd'hui, c'est l'inverse : moins de services de santé, moins de transport, moins de sécurité, moins de pouvoir d'achat, moins de confort. Etant donné le niveau de baisse de leur pourvoir d'a...

le 31/12/2022 à 11:19
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Mais un président ministres et membre du sénat et assemblées national et européenne qui nous coutent tous de plus en plus cher et un pognon de dingue qu'on pourrait largement économiser pour partir en retraite a 50 ans...

à écrit le 30/12/2022 à 12:39
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Bonjour, En France, l'ons a collé des étiquettes politique au syndicat, histoire de bien divisé et de régné sur le monde de l'entreprise.... Bien sûr ils ne faut pas le dire... Le syndicat ne représente personne, sauf des fonctionnaires... ( Trops...

à écrit le 30/12/2022 à 10:24
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C est sur la mentalité française individualiste tant des syndicats que des salariés fait le beurre du gouvernement … inspirez vous du modèle allemand : 80% de salariés syndicallises prive- publics, co- gestion des entreprises par les syndicats , 6 à ...

le 30/12/2022 à 23:11
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On se heurte à un facteur culturel car là où le patron allemand va considérer ses employés ou ses fournisseurs comme des partenaires, le patron français va souvent les considérer comme des vassaux ou bien comme des secondes classes devant être au gar...

à écrit le 30/12/2022 à 10:13
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Bonjour, Bien sur qu'ils y des mécontents ... Inflation importante, pas de hausse de salaire. Reforme des retraites injuste et scandaleux... Reforme du chômage sans reduction des prélèvement... Absence de discution social dans le cadre du trav...

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