Léa Moukanas, au chevet des ados malades

Depuis 2015, Léa Moukanas dirige l’association Aïda dont une des premières missions est de soutenir les adolescents atteints d’un cancer, et leurs familles. Une structure créée par des jeunes pour des jeunes, qui ont fait de l’engagement leur credo. (Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : DR)

Un jour de juin 2016, Léa a débarqué devant les portes de la clinique parisienne Édouard-Rist. Quatre camarades auraient dû l'accompagner. Ils étaient vingt-deux. Quelques minutes plus tard, vingt-deux autres ados les rejoignaient et transformaient une salle de l'établissement en un lieu de fête et de partage dans laquelle résonnait la musique d'Orelsan mêlée aux conversations joyeuses de ces rencontres adolescentes. Des lycéens en pleine forme face à de jeunes patients, dont certains atteints d'un cancer.

Léa Moukanas a alors 16 ans, elle préside l'association Aïda depuis un peu plus d'un an et voit enfin la concrétisation des efforts des derniers mois. Elle garde un souvenir très précis de cette journée, de cette euphorie qui emporte tout le monde, qui rend heureux des bénévoles et ces jeunes hospitalisés. Elle n'a rien oublié du regard de Justine qui l'a traînée dans sa chambre pour quelques morceaux de piano et qui lui a simplement dit : « Merci. C'était cool. Je me suis sentie jeune à nouveau, et pas malade. »

Aujourd'hui, l'association intervient dans 50 hôpitaux de 15 villes de France, compte 20 salariés et forme chaque année 2500 bénévoles. Moyenne d'âge : 17 ans ! Léa en a 22 désormais, a grandi au rythme de « Aïda », a passé des années à construire cette aventure à l'âge « où vous devez vous construire. Résultat, suis en avance sur des sujets. Et en retard sur d'autres » dit-elle dans un immense éclat de rire.

Avec une énergie impressionnante, elle raconte cette histoire sans jamais céder à une quelconque forme de pathos, sans jamais chercher à nous émouvoir, préférant mettre en avant l'action de l'association et les projets qu'il reste à réaliser. Pourtant, en parcourant son livre Je veux être utile. L'engagement n'a pas d'âge (édition Robert Laffont, 2022) où elle revient en détail sur son parcours, difficile de retenir cette satanée larme qui perle au coin de l'œil.

Il faut une certaine dose de courage, de volonté, pour arpenter à longueur de journée les couloirs des hôpitaux, les chambres des ados malades à leur domicile, parfois les services de soins palliatifs et garder le sourire pour ces patients âgés de 15 à 25 ans et qui ont été invisibilisés dans le système de santé. Un âge où l'on fait les premiers choix de vie, où l'on refuse l'autorité parentale. Où le « non » est une réponse quasi systématique. L'histoire de Léa est celle d'une jeune fille à qui les adultes ont beaucoup dit non et qui a répondu par... oui !

LE DÉCLIC

À l'origine de la création de l'association, il y a un événement. La mort de la grand-mère adorée de Léa Moukanas, Aïda. Âgée de 60 ans, elle décède d'une leucémie foudroyante. Léa découvre alors le milieu hospitalier, croise le regard d'un garçon de son âge, prend conscience que ce lieu brasse toutes les générations, et toutes les classes sociales. Un endroit dans lequel elle se sent étrangement bien. Naît alors l'idée de l'association, avec l'envie d'aider et de soutenir des ados atteints d'un cancer. Poussée par ses camarades de classe, elle élabore son projet.

Sauf qu'on lui dit non, car pour créer une association, il faut être majeur. On lui dit encore non pour se rendre dans des hôpitaux : « T'es trop jeune. T'as pas ta place dans les services hospitaliers... » Non, encore non, toujours non. Léa l'entend, mais refuse cette situation. Elle s'accroche, utilise un subterfuge pour faire signer les papiers de l'association par sa mère, s'entoure de quelques camarades de classe et parle de « Aïda », partout et tout le temps, notamment sur les réseaux sociaux. Les enseignants jouent le jeu, et surtout les autres élèves se mobilisent immédiatement. Cela tombe bien parce que des familles contactent rapidement Léa. Des ados hospitalisés à domicile ont besoin de rencontrer des jeunes de leur âge, parler jeux vidéo, musique et série, partager quelques heures pour oublier, un peu, la maladie. Léa, comme d'autres élèves, sèche alors les cours pour assurer des visites, et sillonne la France, avec le secret espoir de convaincre les hôpitaux du bien-fondé de leur démarche. Léa crée une formation pour les bénévoles et parvient finalement à convaincre un animateur de la clinique Édouard-Rist. L'association n'a pas encore soufflé sa deuxième bougie... Tout s'accélère : des hôpitaux qui disent oui, des bénévoles toujours plus nombreux, des entreprises qui suivent, des sollicitations médiatiques aussi.

Si la disparition d'Aïda a été un déclic, Léa Moukanas sait aussi que cette aventure germait en elle depuis longtemps. Une suite d'événements comme de petits cailloux : la mort d'une camarade de classe âgée de 13 ans, et surtout la fuite du Liban où elle est née, « ce pays où il n'y a pas d'État, où on t'apprend que quand quelque chose n'existe pas, il faut le créer ». L'enfant timide devient une ado engagée et qui dit : « Juste rêver ne m'intéresse pas, je veux faire. »

L'ENGAGEMENT

Le mot « engagement » est sa ligne de conduite. Alors que Léa Moukanas vient de terminer ses études à Science Po, la suite est toute tracée. Elle reste à la tête d'Aïda avec des convictions qu'elle défend inlassablement. Si elle accepte d'être la porte-parole des jeunes qui s'engagent pour l'association, elle refuse d'être une icône, comme elle refuse les nombreuses sollicitations politiques. « Ma place, elle est dans la création de projets, des projets que je désire piloter. » Elle poursuit en affirmant avec clarté : « L'action que je veux porter, c'est celle de la santé. Je suis une amoureuse de l'hôpital public. Je sais que cela peut paraître bizarre de dire cela comme ça. Mais, pour moi, l'hôpital, aujourd'hui, ressemble à Beyrouth. Un chaos organisé, qu'il faut sauver à tout prix. » Elle répète que tous les bénévoles passés par « Aïda » deviennent des ambassadeurs de la santé publique, des défenseurs du système de soins. La moitié d'entre eux disent d'ailleurs vouloir travailler dans le secteur de la santé. « Tous portent un engagement sociétal fort » insiste Léa Moukanas.

EN 2050

Elle calcule rapidement dans sa tête son âge en 2050 et, avec toujours autant de lucidité, elle énonce ses missions : porter encore des problématiques sur la santé, créer des services, aider les jeunes dans leur parcours de soins et à revenir dans une vie loin de l'hôpital. Continuer aussi à accompagner les 2200 bénévoles, étendre les actions à tous les territoires en France. Léa Moukanas revient rapidement à un futur plus proche rythmé par des projets ciblés comme « Highway to Health ». Des week-ends réunissant plusieurs dizaines de jeunes, patients et bénévoles, au cours desquels il est question de tous les sujets tabous : le corps, la sexualité notamment. Avec un grand sourire, Léa évoque aussi la nouvelle formation mise en place à Science Po pour les jeunes qui ont été malades. Parce que la vie « après la maladie » nécessite aussi un accompagnement. À l'entendre, on se dit que ses journées déjà pleines risquent d'être denses, mais Léa Moukanas répond : « Je suis giga heureuse. J'ai un job qui a du sens, et j'ai la chance d'avoir trouvé ma place. » Cheffe d'entreprise et femme engagée, elle confirme qu'elle continue d'aller dans les hôpitaux. « J'ai besoin d'y être. D'échanger avec les équipes et les patients. » Léa Moukanas ne veut pas être une icône. Certes. Une personne exemplaire, elle l'est. Et c'est déjà beaucoup.

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T14

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