Santé : « La question de l’accès aux soins n’est pas uniquement géographique, elle est aussi financière » (Laure de la Bretèche)

ENTRETIEN. Parmi les missions de la Caisse des Dépôts : la réduction de la fracture territoriale. Et face aux déserts médicaux, l’établissement public n’est pas en reste. Il déploie même de nombreux leviers en télémédecine. Le point avec Laure de la Bretèche, directrice déléguée des Politiques sociales. Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque.
Laure de la Bretèche.
Laure de la Bretèche. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Après l'explosion de la médecine à distance pendant la crise sanitaire, où en sont les dispositifs de télémédecine aujourd'hui ?

LAURE DE LA BRETÈCHE- La télémédecine n'est pas un nouveau domaine de la médecine, mais une nouvelle modalité pour enrichir des disciplines préexistantes, elles-mêmes en mouvement permanent (nouveaux traitements, découvertes scientifiques...). Dans un contexte où le besoin de soins augmente très significativement avec le vieillissement de la population, ces dispositifs innovants sont très scrutés. Ils sont une promesse de gain de temps face à une ressource médicale raréfiée, et donc de meilleure allocation des ressources financières alors que le budget de l'assurance maladie est sous très forte contrainte.

Le grand tournant a vraiment été le premier confinement du printemps 2020. Il a conduit à une suspension partielle de l'accès aux soins pour assurer la gestion de crise, qui a été particulièrement périlleuse pour les malades chroniques et pour les personnes âgées polypathologiques. La forte attente suscitée par la télémédecine dans ce contexte a d'ailleurs conduit le conseil de l'ordre des médecins à alerter sur ses limites. Dans une recommandation de décembre 2020 dédiée aux « mésusages » de la télémédecine, il rappelle notamment l'importance du contact direct avec le patient et la nécessité que ces innovations fassent une place à une intervention directe de médecin.

Comment la Caisse des Dépôts en est-elle venue à s'intéresser à la télémédecine ?

L. de la B. En tant qu'investisseur, la Caisse des Dépôts a pour mission de soutenir des initiatives dans les territoires, là où les règles du marché sont insuffisantes ou inadaptées pour répondre aux besoins. Il peut s'agir notamment de secteurs confrontés à des failles de marché, où les technologies ne sont pas matures. La télémédecine correspond bien à ce cadre d'action. Quand elle est apparue comme levier déterminant pour les équilibres à long terme de l'accès aux soins, la Caisse lui a donné une place significative, au tournant de la crise Covid-19 en septembre 2020.

En fait, la télémédecine est d'abord un moyen de repenser le bon usage du temps médical et de ce qui peut être fait à distance. Mais la question de l'accès aux soins n'est pas uniquement géographique, elle est aussi financière. Dans certains territoires, l'offre de soins se déséquilibre au profit du secteur 2, c'est-à-dire d'honoraires excédant significativement les tarifs de la sécurité sociale, la télémédecine peut être aussi un moyen de restaurer un choix pour les habitants. Freiner l'irruption d'une médecine à deux vitesses entre aussi dans les priorités de la Caisse des Dépôts car les fractures sociales sont totalement indissociables des lacunes territoriales.

Quelle est la coordination entre les différentes entités intervenant dans ce champ ?

En se structurant autour de toutes ces questions, la Caisse entend consolider les différentes actions existant en son sein : la Banque Publique d'Investissement (BPI), dont elle est cofondatrice avec l'État, est chargée de toute la dimension de soutien aux start-up et d'émergence de l'innovation. Des projets sont également menés par la Banque des territoires. La direction des Politiques sociales est, quant à elle, en charge de la coordination. Elle cherche à identifier les expériences les plus pertinentes et les différents axes stratégiques sur lesquels nous pouvons réunir l'ensemble de nos acteurs. Enfin, La Poste, à travers sa réflexion servicielle, renforce ses moyens pour jouer un rôle en matière de prévention, à laquelle contribue la télémédecine. Nous avons créé une communauté de l'e-santé permettant à l'ensemble de ces acteurs d'être cohérents et coordonnés.

Comment intervenez-vous concrètement auprès des territoires ?

Un de nos champs d'intervention concerne l'appui au développement des téléconsultations. Sur ce point, les expériences s'enrichissent avec le temps. Mais alors que des projets accompagnés il y a quelques années avaient souffert d'une faible accessibilité pour la population cible, nous avons constaté que leur installation pouvait fonctionner dans les Maisons France Services, dans lesquelles la Caisse des Dépôts est engagée. Une autre de nos orientations porte sur la télémédecine au domicile. La Caisse des Dépôts soutient un certain nombre d'entreprises dans ce cadre, par exemple la société Lucine qui permet le suivi des maladies chroniques.

Nous convergeons pleinement avec les réalisations de la délégation du numérique en santé (DNS) et de l'agence du numérique en santé (ANS). Leur feuille de route 2023 vient d'être lancée, elle est très orientée sur les territoires et comprend notamment un volet sur la formation en e-santé. Nous apportons notre soutien à ce plan via  France 2030 et l'appui à l'axe compétences et métiers d'avenir. Ceci permet à la fois de faire émerger des formations nouvelles et d'investir dans des structures offrant ces formations. À travers Mon compte formation, que nous gérons à la direction des Politiques sociales, nous portons également une vigilance particulière à ce type de dispositif.

Votre accompagnement des projets va parfois au-delà, dans quel cadre ?

Pour certains projets notre intervention relève plus de l'ordre de la coordination, afin de créer des écosystèmes dans les territoires. Nous avons été opérateurs de l'appel à projet Tiers lieux d'expérimentation, lancé par l'ANS et conduit par la Banque de territoires dans le champ de la filière numérique en santé. Ils ont vocation à réunir une diversité d'acteurs pour mettre en œuvre les expérimentations, les évaluer et contribuer à leur accès au marché. Nous accompagnons également le projet E-Meuse Santé, dans le cadre des Territoires d'innovation.

Par ailleurs, au titre de mes fonctions à la Caisse des Dépôts, je préside Arpavie, un groupe associatif de résidences pour personnes âgées dont la Caisse est l'unique membre de droit. Cette filiale joue un peu le rôle d'incubateur d'une réflexion sur la télémédecine et ses usages pour la prévention de la dépendance des plus âgées. Avec ses 45 Ehpad et ses 80 résidences autonomie, Arpavie est très présente en Île-de-France, dont certains territoires ont toutes les caractéristiques d'un désert médical. Cela nous a conduits à une réflexion très concrète sur l'usage de la télémédecine et à développer un partenariat avec le dispositif Presage. Il permet d'anticiper les risques d'hospitalisation et vise à prévenir les dégradations de santé. Nous avons ainsi réduit de 20 % les hospitalisations non programmées, sachant que Presage arrive à prédire environ 80 % d'entre elles. Et toutes les personnes qui ont eu une intervention médicale de prévention ont évité l'hospitalisation. Lorsqu'elle est pratiquée au plus près du besoin, la télémédecine a vraiment un effet très net.

En mars 2021, nous avons également créé Assist (association innovation, santé et territoires) avec le Groupe VYV, en vue d'accompagner très concrètement différentes actions. Nous avons soutenu en Bourgogne des expérimentations s'appuyant sur l'intelligence artificielle et un certain nombre de dispositifs médicaux connectés en Ehpad afin de mieux accompagner le recours aux soins dans ces maisons très insuffisamment médicalisées. Ce dispositif ad hoc permet d'accélérer le démarrage de petits projets, sur lesquels nous ne serions peut-être pas intervenus dans nos structures classiques, en leur donnant en quelque sorte le financement du dernier kilomètre.

Existe-t-il des prérequis à la réussite de ces innovations et expérimentations ?

Les projets accompagnés par la Caisse obéissent à une règle d'or : le partenariat. Elle n'intervient jamais seule, le plus souvent quand il y a une initiative locale identifiée et que le projet répond bien aux objectifs stratégiques fixés par les autorités publiques, dont l'État. Un gros travail a été fait dans le champ de la télémédecine et de la santé numérique, avec la mise en place d'une gouvernance nationale et d'un pilotage des grands objectifs. L'État appelle à la mobilisation des acteurs, il faut maintenant unir nos efforts et forces, d'où notre contribution via les différents appels à projets et la BPI.

La Caisse mobilise les leviers qu'elle active depuis toujours, comme l'ingénierie et la coordination. Il y a aussi une forme de capitalisation sur les éléments permettant à une solution de fonctionner. Dans cette logique, l'évaluation constante est indispensable pour avoir le plus de retours d'informations possible. Des équipes dédiées mènent une instruction longue et approfondie.

Aujourd'hui, les grands enjeux sont à la fois de « laisser sa chance au produit » et d'accepter avec humilité l'idée que la télémédecine peut aussi créer des effets non anticipés... et positifs ! Une innovation a toujours des effets imprévus, c'est sa force. Elle aura fait ses preuves si elle permet d'améliorer les grands indicateurs de santé publique, mais il est encore bien trop tôt pour le mesurer.

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T14

Commentaires 10
à écrit le 08/05/2023 à 9:24
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"Il déploie même de nombreux leviers en télémédecine." En 2019, 15% de la population n'a pas utilisé Internet au cours de l’année. Ce non-usage est étroitement lié à la fracture numérique. Si l'accès à Internet se développe, des inégalités persist...

le 08/05/2023 à 14:20
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C'est d'ailleurs ce qui est amusant quand on échange avec des retraités défendant leurs avantages sur ces colonnes : à les lire, ils se présentent comme des pauvres alors qu'ils ont souvent fait des études supérieures alors que 80 à 85% de leur class...

à écrit le 08/05/2023 à 8:54
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Quand est ce que l'on va se décider à débrancher ces hauts fonctionnaires qui ont mis la France dans cet état. Encore un effort et avec l'IA à venir la Télémédecine nous soignera directement pour les pathologies à venir. Qu'on laisse les médecins pre...

le 08/05/2023 à 14:25
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Oh, si on devait débrancher tous les inutiles... vaste programme!

à écrit le 07/05/2023 à 19:11
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La France, patrie des “droits de l’Homme” qui vante la télémédecine après avoir saccagé le système de santé? Revenons sur un peu d'histoire avec tout d'abord le haut fonctionnaire Jean de Kervasdoué, qui mettra en place un “programme de médicalisatio...

à écrit le 07/05/2023 à 14:56
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Tant qu'on vivra dans l'illusion des soins gratuits en France, l'offre de soins s'y étiolera. Il faut accepter de payer les soins de santé, c'est une question de bon sens

le 08/05/2023 à 8:55
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Au minimum recevoir une facture pour se rendre compte du cout de la santé.

le 08/05/2023 à 13:58
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Le gros problème, c'est qu'avec un salaire médian voisin du Smic, l'essentiel de la population est insolvable et les classes moyennes supérieures ont souvent une mentalité d'aristocrate pour qui tout devrait être du gratuitement...

à écrit le 07/05/2023 à 9:55
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Je lis régulièrement des contributions "d'experts en tout " concernant le sujet qui tous oublient ou ignorent que rien ne se fera sans la participation active des ..... médecins eux-mêmes qui bien souvent ne sont pris que comme une partie d'un tout c...

à écrit le 07/05/2023 à 9:27
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Encore de la pub, non pas pour la médecine, mais le numérique et l'IA ! Bref, rien de sobre et de résilient pour soi-disant régler un problème !

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