
LA TRIBUNE - Quel bilan global tirez-vous de cette année 2022 marquée par la guerre en Ukraine et l'explosion des prix ?
PIERRE PELOUZET - Les tensions sur les matières premières et l'énergie ont marqué l'année 2022. Ces deux sujets ont fait remonter le nombre de saisines en cours d'année. On devrait approcher les 2.500 saisines en fin d'année, soit un niveau proche de 2021. L'année dernière, l'économie est repartie. Mais rapidement, nos services ont rencontré des sujets de tensions sur les matières premières.
Pour rappel, le médiateur avait enregistré plus de 4.000 saisines en 2020, année de la pandémie. Le nombre de saisines en 2022 reste bien au-dessus de son niveau d'avant crise. En 2019, le médiateur avait enregistré 1.300 saisines. On est moins dans le tsunami de 2020 mais les tensions restent fortes entre les entreprises.
Comment les relations entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants ont-elles évolué durant cette année ?
Durant la crise sanitaire, on avait identifié deux groupes d'entreprises : les « solidaires » et « les égoïstes ». Depuis, ces deux groupes existent toujours. Actuellement, beaucoup d'entreprises s'engagent dans le parcours national des achats responsables avec une charte et un label. Il y a un engouement pour ces outils. Beaucoup d'entreprises basculent dans le camp de « la solidarité ». Malheureusement, d'autres en sont très loin et restent dans le camp « des égoïstes ».
Avez-vous constaté un allongement des délais de paiement ?
Aujourd'hui, le niveau des délais de paiement n'est toujours pas revenu à celui d'avant crise. Cette tension survient à un moment où les TPE et les PME ont de plus en plus besoin de trésorerie pour payer leurs factures d'énergie ou de matières premières.
En 2020, nous avons assisté à une explosion des délais de paiement, en particulier entre mars et juillet. Beaucoup d'entreprises ne payaient plus. En moyenne, les retards pouvaient atteindre 15 jours lissés sur l'année. En 2021, on a réussi à contenir cette explosion à 12 jours de retard.
Quels ont été les secteurs les plus touchés en 2022 ?
Nos équipes ont beaucoup travaillé avec le BTP. Le secteur a connu de nombreuses agitations et continue d'en connaître. Nous avons mis en place une médiation de filière. Les entreprises ont signé un accord pour améliorer la prise en compte des hausses de prix des matières premières, des délais de paiement.
Le BTP est en première ligne mais ce n'est pas le seul secteur. L'automobile, l'industrie, l'aéronautique, la cosmétique sont également affectées par la flambée des matières premières, l'énergie et les retards de paiement.
Au printemps dernier, vous aviez annoncé la mise en place d'un comité sur l'énergie. Quelles ont été les actions mises en œuvre ?
Dans le cadre de ce comité sur l'énergie, on a fait remonter les entreprises qui ne jouaient pas le jeu en imposant des conditions anormales à leurs clients dans le contexte de crise. Plus récemment, nous avons mis en place une check-list énergie.
Beaucoup d'entreprises ne lisent pas leur contrat d'énergie. Il est important qu'elles sachent si elles ont droit au tarif protégé. Beaucoup d'entreprises vont signer des contrats sur le marché libre alors qu'elles pourraient être au tarif régulé.
Il existe plusieurs façons d'optimiser son contrat en jouant sur les tarifs de jour ou les tarifs de nuit. Il existe des prix de référence sur le site de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Quelles sont vos perspectives d'activité pour 2023 ?
Les activités de médiation vont se poursuivre sur les sujets d'énergie, de matières premières, les délais de paiement. Toutes ces difficultés ne vont pas s'arrêter. Nos activités traditionnelles de ruptures de contrats, de propriété intellectuelle vont continuer. Je m'attends à un niveau d'activité au moins équivalent à 2022, voire plus si l'économie continue à se tendre.
Pourrait-on assister à une hausse des défaillances au premier trimestre 2023 ?
Les défaillances retrouvent des niveaux proches à la période pré-Covid même si on est encore en deça. Tout va dépendre de la conjoncture et de l'évolution des aides. A ce stade, il y a surtout un effet « rattrapage ». Les entreprises indiquent que les carnets de commande sont pleins.
Elles expriment surtout de l'incertitude sur la visibilité. Même si pour l'instant la conjoncture tient, je lance un appel à la vigilance. Il s'agit de bien connaître les outils mis à disposition des entreprises. S'agissant des grands acteurs, c'est le moment de payer en temps et en heure pour ne pas accélérer les difficultés des TPE et PME.
Les potentielles coupures d'électricité pourraient-elles avoir des répercussions sur l'économie française ?
Nous en parlons régulièrement au sein du comité énergie. Il y a eu un recensement des entreprises en fonction du niveau de « criticité ». Normalement, les entreprises qui se situent dans des secteurs critiques ne devraient pas être affectées. Pour les autres entreprises, les coupures devraient durer deux heures sur un calendrier anticipé. Elles seront prévenues. Je ne crois pas à un impact fort sur l'économie.
Propos recueillis par Grégoire Normand
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