Les effets de la pandémie sur la trésorerie des entreprises risquent de se prolonger. Plus d'un mois après sa mise en place, le comité de crise sur les délais de paiement tire une nouvelle fois la sonnette d'alarme. L'instance, qui réunit entre autres le médiateur des entreprises Pierre Pelouzet et le médiateur du crédit Frédéric Visnovsky, constate de "nouvelles pratiques anormales" de la part de certaines entreprises. "Dans les retards de paiement, il y a pas mal de cas systémiques [...] nous avons recensé une trentaine de cas importants" explique Pierre Pelouzet interrogé par La Tribune. S'il se refuse à rendre publics les noms des "mauvais élèves" pour l'instant, il signale qu'il est "prêt à les communiquer au ministre de l'Economie Bruno Le Maire qui pourrait s'en charger".
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Dans une récente enquête menée par le cabinet Xerfi, "plus d'une entreprise sur deux constate un allongement des délais de paiement de ses clients. Ce taux atteint 66% dans l'industrie-construction, mais n'est en revanche que de 38% dans le secteur de l'information-communication-services-financiers et immobilier." En outre, près de 60% des dirigeants interrogés anticipent des difficultés financières avant la fin de l'année. Dans ses dernières perspectives de printemps, la Commission européenne table sur un recul brutal du produit intérieur brut (PIB) tricolore de 8,2% en 2020. La récession qui touche l'ensemble du continent européen pourrait provoquer des faillites en cascade.
De multiples dérives
La cellule qui s'est réunie sept fois depuis la fin mars a détecté plusieurs types de dérives entre des clients et des fournisseurs. Certains groupes profitent d'un rapport de force déséquilibré pour mettre la pression à des PME ou des TPE (très petites entreprisesà par exemple. Parmi les principaux dysfonctionnements signalés, les services du médiateur indiquent notamment :
- "Les pressions très fortes exercées pour revoir à la baisse les prix ou les tarifs pratiqués dans les contrats liant clients et fournisseurs, parfois de manière rétroactive et sous peine de ne pas pouvoir concourir à un prochain référencement;
- L'absence de validation de la facture pour service fait, ce qui allonge les délais de paiement;
- Le retard dans l'émission des bons de commande, ce qui décale de fait la facturation, - la demande de récupération par le client des décalages de charges obtenues par le fournisseur".
Pierre Pelouzet juge certaines pratiques "choquantes [...] des entreprises demandent à leurs fournisseurs de faire des baisses très importantes sur leur tarifs, sinon elles les menacent de déférencement. Je trouve ça d'une violence absolue. Il est normal de renégocier des contrats mais il ne faut pas faire de chantage. ll est regrettable que certaines entreprises profitent de leur situation pendant la crise".
Cette administration qui dépend du ministère de l'Economie distingue trois grands groupes. "Les bons élèves, les mauvais élèves et le ventre mou, c'est à dire ceux qui font comme d'habitude. Il faut savoir qu'en France, les retards de paiement sont de 10 jours en moyenne. Au moment de la reprise, ces retards pourraient provoquer des difficultés. Une trésorerie à zéro ne permet de pas de repartir. Si cette prise de conscience n'est pas immédiate, beaucoup d'entreprises pourraient être en grande difficulté" ajoute Pierre Pelouzet.
Forte hausse des incidents de paiement
Les incidents de paiement ont fortement augmenté ces dernières semaines. Selon des statistiques communiquées par Bercy ce mercredi 6 mai, les montants des incidents de paiement sont restés en avril 75% plus élevés qu'à la même période il y a un an. "Ces montants d'incidents attestent de difficultés persistantes de certains clients de toutes tailles à régler leurs fournisseurs" explique le communiqué.
En outre, les équipes du médiateur des entreprises tournent à plein régime actuellement. Les actes de médiation et de sollicitation ont pu dépasser la barre des 600 durant les pires semaines du mois d'avril contre moins de 100 durant les deux premiers mois de l'année. Le comité de crise qui réunit différentes fédérations patronales (MEDEF, AFEP, CPME), organismes consulaires (chambres des métiers de l'artisanat, CCI) et les la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) doit poursuivre ses réunions dans les semaines à venir avec des missions bien élargies a prévenu Pierre Pelouzet.
L'industrie et la construction dans le rouge
La crise actuelle provoque des effets inégaux selon les secteurs. L'industrie et la construction semblent les plus frappées par l'allongement des délais de paiement. Ainsi, deux tiers des entreprises interrogées par le cabinet Xerfi constatent un allongement de la période de règlement des factures. Elles sont suivies firmes spécialisées dans les services aux entreprises (57,9%), puis les services aux ménages (57,9%) et enfin, le commerce, le transport, l'hébergement et la restauration (49,6%). Les secteurs de l'information-communication, les services financiers et immobiliers semblent plus épargnés par ce fléau (38,2%).
Avec cette récession, beaucoup d'économistes redoutent une hécatombe dans les entreprises avec des effets domino dans certains secteurs. Le gouvernement, la Banque de France et la BCE ont prévu un arsenal de mesures pour venir soutenir la trésorerie des entreprises lors de la période de confinement. Si le plan de relance n'est pas à la hauteur, de nombreux établissements pourraient mettre la clé sous la porte.
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