Les délais de paiement risquent encore de s'allonger avec la guerre en Ukraine

Le coup de frein de l'économie française en 2022 risque d'allonger les délais de paiement entre les entreprises déjà affectées par deux longues années de pandémie. Si la reprise en 2021 et les mesures du "quoi qu'il en coûte" ont permis à un grand nombre de secteurs de passer les vagues du Covid, les délais de paiement n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant crise, selon la dernière étude du cabinet Altares.
Grégoire Normand
Les délais de paiement ont continué de s'allonger dans la restauration en 2021 malgré la reprise.
Les délais de paiement ont continué de s'allonger dans la restauration en 2021 malgré la reprise. (Crédits : Reuters)

L'éclatement de la guerre en Ukraine à la fin du mois de février a de nouveau plongé un grand nombre de secteurs dans un épais brouillard. Après deux longues années de pandémie, les indicateurs conjoncturels se détériorent à grande vitesse. En seulement quatre semaines, la plupart des économistes ont dégradé leurs prévisions macroéconomiques pour l'année 2022. La flambée des prix de l'énergie et le prolongement de la pagaille dans les chaînes logistiques perturbent grandement l'activité.

"On peut se dire que l'économie française pourrait tenir cette crise après avoir connu la pandémie et la crise financière de 2008 mais j'y crois de moins en moins. Au delà du désastre humain, cette guerre est de nature à dérégler l'économie. Sur les chaînes d'approvisionnement, il n'y a pas vraiment de surprise. A cela s'ajoutent l'explosion des prix de l'énergie et des difficultés dans l'alimentaire et l'agroalimentaire, dans le textile. Des entreprises souffrent. Certains secteurs ne vont pas supporter la hausse des prix comme chez les transporteurs par exemple", explique à La Tribune, Thierry Millon, directeur des études au cabinet Altares.

Même si les derniers pourparlers entre la Russie et l'Ukraine ont provoqué une lueur d'espoir dans certains milieux économiques et financiers, ce spécialiste des données sur les entreprises redoutent une remontée des faillites. "Il est possible de s'attendre à un pic des délais de paiement à l'été 2022. L'étape suivante pour certaines entreprises est la défaillance. Tous les secteurs sont quasiment dans le rouge," a-t-il alerté.

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Un niveau toujours supérieur à 2019

Dans ce contexte particulièrement troublé, le bilan de l'année 2021 dévoilé par le cabinet Altares ce mardi 29 mars dans la soirée indique que les délais de paiement l'année dernière (12,5 jours de retard) n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant crise (11,5 jours de retard). "Chaque jour de retard coûte des milliards d'euros dans les échanges inter-entreprises", rappelle Thierry Millon. Alors que la situation tendait à s'améliorer depuis plusieurs années, la propagation du virus à l'ensemble des secteurs de l'économie français a brutalement fait bondir le nombre de jours enregistrés à partir du printemps 2020, au pic du premier confinement en passant de 11,3 jours à 14,4 jours.

Depuis le pic du second trimestre 2020, la situation tend à s'améliorer. La moyenne des retards de paiement en France se situe environ à une journée de moins que la moyenne européenne à la fin de l'année 2021 alors que les délais de paiement avaient atteint des durées comparables il y a deux ans. Sur ce point, l'économie française progresse plus vite que la moyenne des économies du Vieux continent.

Au pire de la pandémie, Bercy avait mis en place une cellule spéciale de crise dédiée à ce sujet brûlant pour éviter des effets en cascade dans les secteurs les plus secoués par les effets de la pandémie. Sous la houlette du médiateur des entreprises et celui des crédits, cette équipe avait tapé du poing sur la table pour rappeler les règles de bonne conduite en matière de délai de paiement, à savoir le respect des 60 jours à compter de la date d'émission de la facture dans le secteur privé. De nombreux secteurs peuvent néanmoins bénéficier de dérogations explique le site de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

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Tous les secteurs s'améliorent, sauf la restauration toujours dans le rouge

La forte reprise économique en 2021 a boosté l'activité de pans entiers de l'économie tricolore violement affectés par les vagues d'infection et les mesures de restriction. "L'ensemble des secteurs ont réussi à retrouver leur niveau de début de 2020. Le secteur de la construction et de l'industrie ont retrouvé des niveaux remarquables. Dans la construction, les délais sont arrivés à 10 jours en moyenne. Le secteur qui tire la performance est celui du bâtiment", indique le spécialiste.

En revanche, la restauration reste le point noir de cette étude. Les retards dans le secteur tendent même à s'allonger de deux jours entre 2020 et 2021 pour s'établir à 20,3 jours, soit un niveau bien supérieur à la moyenne nationale. Il faut dire que l'hébergement et la restauration ont été fortement heurtées par l'ensemble des mesures de confinement depuis le printemps 2020. "L'hébergement et la restauration ont connu des fortes difficultés. La restauration est aux alentours de 13 jours traditionnellement. Au cours de l'été 2020, les délais ont été proches de 25 jours. Les efforts ont été faits dans l'hébergement mais dans la restauration, cela patine encore un peu. Sur certaines structures, on est encore très loin de leur niveau d'avant crise", souligne M.Millon.

Après avoir frôlé les 20 jours de retard de paiement, le secteur des services aux particuliers a enregistré une baisse assez nette sur la période étudiée (-4 jours). "Les périodes de couvre-feu ont eu de fortes répercussions sur certains établissements comme les salons de coiffure". Quant à l'amélioration dans les services aux entreprises, "ce n'est pas suffisant," estime Thierry Millon. C'est un secteur qui est traditionnellement en retard. Il n'y a pas de raisons d'être en retard dans ce secteur", poursuit-il.

Les grandes entreprises, mauvaises élèves

Au cours de l'été 2020, la plupart des entreprises, quelque soit leur taille, ont connu un allongement des délais de paiement. Au cours de l'automne 2020, les indicateurs sont repassés au vert avec des disparités. Pour les entreprises de moins de 200 salariés, les retards de paiement s'améliorent et se stabilisent pour les établissements de 200 à 999 salariés.

En revanche, les grandes entreprises de plus de 1.000 salariés font figure de mauvaises élèves avec une légère hausse entre 2020 et 2021. "Dans ces conditions, les délais de paiement sont de plus en plus contrastés selon la taille des entreprises. On observe ainsi un écart de 5 jours de retard en 2021 entre les structures de moins de 50 salariés et celles de plus de 1.000 salariés (contre 4,4 en 2020)", soulignent les auteurs de l'étude. "C'est un sujet sensible. Il est nécessaire de pointer les mauvais élèves par le biais du 'name and shame' et en même temps, mettre en avant les bons élèves", souligne Thierry Millon. "La généralisation facturation électronique peut être une solution pour réduire les délais de paiement", veut croire l'expert. En attendant, les incertitudes sur l'issue du conflit en Ukraine pèsent toujours sur le moral des entreprises et des ménages.

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Grégoire Normand
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