LA TRIBUNE DIMANCHE - La Cour des comptes tire la sonnette d'alarme et évoque la nécessité de trouver 50 milliards d'euros... Vous partagez ce diagnostic ?
PATRICK MARTIN - Oui, et depuis longtemps. On ne découvre pas aujourd'hui la situation critique de nos finances publiques. L'État et les collectivités, ainsi que les systèmes de santé, doivent faire des efforts considérables afin de tenir leur trajectoire de réduction des déficits. Il y va de la crédibilité de la France vis-à-vis des investisseurs, des créanciers et de nos partenaires de l'Union européenne.
Mais où trouve-t-on l'argent ?
Au bon endroit... Le gouvernement prête beaucoup plus d'attention à la sphère privée - ménages et entreprises - qu'à ses propres dépenses. Par exemple, il y a eu, selon l'Insee, 60.000 créations d'emplois dans le secteur public l'an dernier, soit 2 milliards d'euros de dépenses supplémentaires par an, alors que le privé, lui, a détruit 12.000 postes au quatrième trimestre. Il y a certes des postes à créer en première ligne à l'école, à l'hôpital et dans les forces de l'ordre, mais les coûts de ces administrations nous paraissent très excessifs. Prenez le secteur hospitalier, en France 34% des effectifs de ce secteur sont des non-soignants, contre 25% seulement en Allemagne. Ce qui représente des milliards d'euros, sans que cela contribue directement à la santé des Français.
Le gouvernement annonce pourtant un plan de simplification...
Le chantier indispensable de la simplification ne constitue pas à ce stade une véritable réforme de l'État. Il y a pourtant des pistes d'économie, notamment en matière d'effectifs. Car il ne faut pas lever le pied sur l'investissement. L'État devrait s'intéresser à lui-même au moins autant qu'aux entreprises ! Les surcoûts des administrations pénalisent les chefs d'entreprise, les agriculteurs et, bien entendu, les ménages.
Dans cette recherche d'économies, vous craignez que les entreprises soient mises à contribution ?
Dans le budget de l'État et le budget de la Sécurité sociale, la tentation de Bercy de remettre en question les dispositifs de soutien aux entreprises est déjà là, alors même que notre économie ralentit. Je suis très inquiet pour l'investissement de nos entreprises, alors qu'au contraire il faut qu'elles puissent investir massivement pour développer l'intelligence artificielle, opérer leur indispensable transition écologique... Nous sommes face à un risque de décrochage structurel vis-à-vis de nos concurrents, notamment les États-Unis, qui investissent des milliards de dollars dans l'économie et attirent les entreprises européennes.
Le chantier indispensable de la simplification ne constitue pas à ce stade une véritable réforme de l'État
Vous craignez que le gouvernement revienne sur sa promesse de supprimer les impôts de production (la CVAE notamment) ?
Les impôts de production pénalisent notre compétitivité. Au moment où la concurrence internationale redouble d'intensité, il faut tout faire pour permettre à nos entreprises de croître et d'embaucher. C'est pareil pour les charges sociales sur les salaires, nous sommes actuellement compétitifs sur les bas salaires du fait des exonérations de charges mais, pour les rémunérations autour de deux smics, le coût du travail en France pour les entreprises reste de 12 % plus élevé qu'en Allemagne. Le gouvernement, fidèle à sa rhétorique fiscale, nous répète qu'il n'y aura pas de hausses d'impôts. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'entend pas minorer les allègements d'impôts, comme il l'a déjà fait sur les charges sociales, ou reporter indéfiniment des baisses promises comme avec la CVAE. Ce qui revient au même ! Dans cette recherche d'économies, les entreprises ne doivent pas être prises pour cible. Cela pèserait sur la croissance. Nous ne réussirons pas à atteindre le plein-emploi - objectif que nous partageons avec le gouvernement - si nous sommes dans une trajectoire économique molle. Et j'ajoute que ce n'est pas seulement avec une réforme de l'assurance chômage que nous parviendrons au plein-emploi.
En même temps, les entreprises du CAC 40 affichent des bénéfices record, les dividendes versés aux actionnaires augmentent...
Ce sont les actionnaires qui décident du niveau des dividendes, ce ne sont pas les dirigeants de ces entreprises. Rappelons que 40 % du capital du CAC 40 est détenu par des investisseurs étrangers. Si on avait plus de fonds français, ce serait peut-être différent... Par ailleurs, le CAC 40, dont une grande partie de l'activité est à l'étranger, ne reflète pas ce que vivent toutes les entreprises. Ces champions sont indispensables, car ils sont des locomotives pour toutes leurs PME sous-traitantes. Mais, attention, les recettes des impôts sur les sociétés ont diminué l'an dernier de 4,4 milliards d'euros, signe que leur rentabilité se dégrade. La croissance a d'ailleurs été revue à la baisse... Dans ce contexte, nos entreprises ont surtout besoin que le gouvernement réaffirme sa politique de l'offre. Car c'est actuellement un peu confus sur le prix de l'énergie, les prélèvements obligatoires, la stabilité fiscale... Il ne faudrait pas que la stratégie de réindustrialisation de la France s'enraye.
Vous évoquez la réforme de l'assurance chômage. Une négociation se tient actuellement avec les syndicats...
La négociation est en cours, je ne la commenterai pas. Mais j'entends le gouvernement pointer du doigt le coût de notre modèle social. Oui, nos régimes sociaux coûtent très cher, et leur financement reste en grande partie assis sur les salaires - ce qui pénalise les entreprises comme les salariés. Si l'État entend prendre la main sur l'Unedic - le régime qui gère l'assurance chômage -, alors il faut qu'il aille au bout de la logique en transférant les 4,05 % de cotisations chômage des entreprises sur la CSG ou la TVA, comme il l'a fait pour les cotisations salariales. Qu'il transfère le financement de l'assurance chômage à la solidarité nationale ! Le Medef est très ouvert sur ce point, même si ce n'est pas son souhait. Mais le gouvernement ne peut pas s'arrêter à mi-chemin.
Si l'État entend prendre la main sur l'Unedic, qu'il aille au bout de la logique et qu'il transfère son financement à la solidarité nationale !
Alain Minc propose d'augmenter la TVA pour récupérer des milliards d'euros. Qu'en pensez-vous ?
L'avantage de la TVA, c'est qu'elle taxe aussi nos importations, mais il ne me semble pas que ce soit la solution... L'État doit surtout s'employer à ce que le pays crée de la richesse. Attention aux mauvaises équations économiques. Le cas du logement est symptomatique. Ce que l'État a gagné d'un côté, il le perd de l'autre. La suppression des dispositifs type Pinel, par exemple, représente 2 milliards d'euros de gains pour les finances publiques... mais cela signifie presque autant de pertes de rentrée de TVA - puisque l'on construit moins dans le neuf. Cela se traduit aussi par une chute de 23 % des droits de mutation pour les collectivités territoriales. Sans oublier les suppressions d'emploi qui en découlent - estimées par la filière à 300 000 -, qui pèseront sur l'assurance chômage... Bref, au final, l'État a-t-il vraiment fait une économie ? Non ! Il faut être attentif à ne pas faire de mauvaises économies qui accentueraient encore notre déficit.
Mais tailler dans la sphère publique risque de tendre le climat social...
Actuellement, le climat social dans les entreprises privées est assez apaisé. Les employeurs ont fait le job, ils ont augmenté les salaires au-delà de l'inflation. Il devrait donc y avoir un gain de pouvoir d'achat pour les salariés cette année.