
C'est un classement au sein duquel la France aurait préféré ne pas figurer en tête. Le pays est, en effet, l'un des plus mauvais élèves européens en matière de dette publique. Et pour cause, elle dépasse désormais les 110% du produit intérieur brut (PIB), contre moins de 100% fin 2019. Au total, son montant pourrait atteindre 3.000 milliards d'euros selon les premiers chiffres que dévoilera l'Insee, mardi, sur l'endettement du pays à fin 2022.
Comment en est-on arrivés là ?
Pour comprendre comment la France est parvenue à un tel niveau d'endettement, rappelons que la dette publique correspond à l'ensemble des engagements financiers pris sous forme d'emprunts par l'Etat, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement.
Si l'Etat s'endette à moyen et long terme, c'est en premier lieu pour combler son déficit budgétaire. En effet, l'emprunt compense l'écart entre ses dépenses et ses recettes. En 2023, le déficit budgétaire à financer est de 158,5 milliards d'euros. Paradoxalement, l'emprunt permet également à l'Etat de rembourser de précédents emprunts qui arrivent à échéance. Un poste qui représente en 2023 pas moins de 149,4 milliards d'euros de dette à lever.
Enfin, dans des circonstances exceptionnelles, l'Etat peut avoir recours à des emprunts pour des périodes courtes, comme par exemple de trois mois. Une dette qui représente un volume d'environ 150 milliards d'euros.
Cela a notamment été le cas lors de la crise du Covid-19. En conséquence, si la dette publique atteignait en 2019, avant le début de l'épidémie, 97,6% du PIB, elle a ensuite grimpé jusqu'à 115,7% en 2020. En cause, les nombreuses mesures prises au nom du « quoi qu'il en coûte » pour soutenir les entreprises notamment. En parallèle, la pandémie, les confinements et couvre-feu à répétition ont mis à l'arrêt un grand nombre de secteurs de l'économie. Et alors que le monde entier connaissait une forte reprise de l'activité, cette dernière a été durement ébranlée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022. De nouveau, l'Etat français a mis la main au portefeuille pour soutenir ménages et entreprises face à la flambée des prix de l'énergie.
La France pourrait-elle se retrouver en défaut de paiement ?
Or, si un Etat se retrouve dans l'impossibilité de rembourser à ses créanciers la somme empruntée, il est déclaré en défaut de paiement. Ce fut par exemple le cas de la Russie en septembre 2022 après avoir « échoué à payer (une échéance) de crédit » en raison des sanctions infligées à Moscou après son invasion de l'Ukraine. La sentence a été prononcée par le CDDC, pour Credit Derivatives Determinations Committee, une instance internationale qui a le pouvoir d'évaluer si des États ou des entreprises ne payent pas bien leurs dettes, et le cas échéant de déclencher des assurances. Le Kremlin s'est, toutefois, insurgé contre un défaut de paiement acté par les créanciers internationaux qu'il considère « illégitime », affirmant avoir suffisamment de devises pour rembourser ses dettes.
Autre exemple, celui du Sri Lanka. Plongé dans la pire crise économique de son histoire, il a annoncé le 12 avril 2022 faire défaut sur l'ensemble de sa dette extérieure, soit 51 milliards de dollars. Un an plus tard, le pays a reçu du FMI un plan d'aide de 2,9 milliards de dollars en échange de garanties en matière de lutte contre la corruption.
Un tel scénario appliqué à la France est toutefois, dans les circonstances actuelles, improbable. Le remboursement de la dette est, en effet, étalé dans le temps, en fonction de la date d'émission des emprunts et de leur échéance. En moyenne, la durée de vie de la dette est de huit ans et demi et elle s'est allongée ces dernières années. Certains emprunts ne devront même être remboursés qu'en 2072. D'importantes échéances approchent toutefois, avec 174 milliards d'euros à rembourser en 2024 et environ 200 milliards d'euros en 2025 et 2026.
Faut-il s'inquiéter de la charge de la dette ?
Si le risque de défaut de paiement paraît peu probable, la question de la dette n'en demeure pas moins préoccupante. En témoignent les alertes qui se sont multipliées ces derniers mois. En juillet 2022, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a ainsi incité l'exécutif à « engager une stratégie de désendettement crédible. Très rapidement, la France doit transmettre son programme de stabilité à la Commission européenne. La maîtrise des dépenses publiques doit être une exigence », insistant notamment sur la charge de la dette. Elle correspond à l'ensemble des intérêts que l'Etat s'engage à payer lorsqu'il emprunte de l'argent sur les marchés financiers, en plus du remboursement du montant emprunté. En France, ces intérêts sur la dette ont coûté à la puissance publique autour de « 35 milliards d'euros en 2021, et environ 50 milliards d'euros en 2022 », estime François Ecalle, ancien haut-fonctionnaire à la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques qu'il décrypte sur son site de référence Fipeco. La charge d'intérêt devait ainsi s'alourdir de 17 milliards d'euros supplémentaires en 2022, d'après le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. « Le coût annuel des intérêts de l'emprunt est le deuxième poste budgétaire de l'Etat » derrière l'Education nationale, ajoute Lisa Thomas-Darbois, responsable du pôle économie et action de l'Etat à l'Institut Montaigne, auprès de l'AFP.
Cet alourdissement de la charge de la dette s'explique en partie par le resserrement monétaire opéré depuis près d'un an par la Banque centrale européenne (BCE) avec des hausses successives de ses taux directeurs. Un premier est intervenu en juillet 2022 de 50 points de base, suivi de deux autres de 75 points, avant un dernier en date de 50 points en décembre, mettant fin à l'ère de l' « argent gratuit » de la décennie 2010 avec ses taux d'intérêt très faibles, parfois nuls, voire négatifs. Les Etats européens pouvaient alors emprunter davantage sans que leur charge de la dette n'augmente proportionnellement.
Un autre facteur est venu alourdir la charge de la dette française, cette fois, à court terme : l'inflation généralisée causée par la forte reprise à la sortie de la crise sanitaire et exacerbée par la guerre en Ukraine. Or, 12% de la dette française est indexée sur l'inflation, ce qui signifie que les taux d'intérêts grimpent mécaniquement en même temps que l'inflation.
Or, au-delà de la valeur absolue de la dette, « ce qui est important », c'est de pouvoir payer les intérêts et rembourser la dette quand elle arrive à maturité, « et surtout d'avoir la possibilité de se refinancer à tout moment sur les marchés », pointe Anne-Laure Kiechel, fondatrice du cabinet Global Sovereign Advisory, auprès de l'AFP. Si ce dernier point devenait impossible pour la France, sa dette serait alors considérée comme « insoutenable » et mettrait le pays en difficulté. Actuellement, la dette française est toujours considérée comme un actif sûr et l'écart avec les taux d'intérêt de l'Allemagne, pris en référence car c'est le pays qui emprunte au taux le plus bas dans la zone euro, ne s'est pas significativement élargi. « La situation des finances publiques de la France restera ainsi en 2023 parmi les plus dégradées de la zone euro, alors que la Commission européenne juge que les risques sont élevés sur la soutenabilité de la dette publique française à moyen terme », a néanmoins alerté la Cour des comptes dans son rapport public annuel dévoilé le 10 mars dernier.
La question de la dette publique préoccupe-t-elle moins les pouvoirs publics ?
Pour autant, l'obsession de réduire la dette publique française semble, ces récentes dernières années, avoir été reléguée au second plan. En témoignent les propos d'Emmanuel Macron qui avait qualifié, avant même le Covid, la limite du déficit public à 3% imposé par Bruxelles comme un « débat d'un autre siècle », des propos réitérés juste avant qu'il ne prenne la présidence temporaire de l'UE il y a un an. Sans compter les nombreuses mesures de soutien à l'économie du fait de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. « La politique, c'est des choix (...) Il est impératif de réduire l'endettement public », avait de son côté assuré Bruno Le Maire en juin 2022, rappelant néanmoins qu'« il faut dans le même temps protéger nos compatriotes qui sont les plus fragiles, mais les protéger de manière responsable ».
Un en« même temps » privilégié avec l'aval de Bruxelles qui a suspendu depuis mars 2020 le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) dont les règles adoptées en 1997 limitent les déficits des Etats de la zone euro à 3% du PIB et la dette publique à 60%. « L'incertitude accrue et les risques importants de dégradation des perspectives économiques dans le contexte de la guerre en Ukraine, les hausses sans précédent des prix de l'énergie et les perturbations persistantes de la chaîne d'approvisionnement justifient la prolongation », avait ainsi justifié le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, en mai 2022 après avoir reprolongé cette suspension. Mais, en mars dernier, il a finalement indiqué que la réactivation de ces règles interviendrait le 31 décembre 2023. « Il s'agit d'aller vers des politiques budgétaires plus prudentes », a-t-il expliqué.
Mais tout ne redeviendra pas comme avant, a admis l'institution européenne. Une réforme des règles budgétaires au sein de la zone euro a été présentée en novembre et est actuellement en discussion avec les Vingt-Sept. Compte tenu des conséquences de la pandémie, la Commission européenne estime, en effet, qu'il n'est « pas approprié » de simplement revenir à la mise en œuvre des « anciennes règles » du Pacte de stabilité. « Pour faire la jonction » avec la réforme attendue mais qui ne sera pas encore entrée en vigueur fin 2023, la Commission a donc décidé d'appliquer dès l'an prochain dans sa surveillance budgétaire « certains éléments des orientations de la réforme ».
(Avec AFP)
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