Ils sont livreurs, coursiers, serveurs, caissiers, agents de nettoyage, plongeurs, intérimaires, auto-entrepreneurs... depuis le début de la pandémie, de nombreux travailleurs précaires subissent de plein fouet la pire récession économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La persistance du virus, les vagues épidémiques et les mesures de restriction ont clairement bouché l'horizon professionnel de ces travailleurs de l'ombre.
Une protection sociale inefficace face au "travail éclaté"
Pourtant, ils représentent une part relativement importante de la population active. Selon un récent bulletin du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), près "d'un salarié sur 10 est en emploi éclaté durablement précaire". "Emploi éclaté", parce que ce sont des personnes qui souvent cumulent plusieurs emplois ou plusieurs employeurs ou connaissent des interruptions de contrats au cours de la même année.
Si les mesures de chômage partiel ont permis de préserver les revenus d'une grande partie de la population active, beaucoup de travailleurs en situation de sous-emploi risquent de passer à travers les mailles des filets de sécurité. En outre, ils servent souvent de variables d'ajustement pour les entreprises en cas de baisse de l'activité.
Les jeunes travailleurs en première ligne
Sans surprise, les travaux de recherche du laboratoire basé à Marseille montrent que les jeunes sont particulièrement concernés par cette situation professionnelle d'emploi éclaté. Ainsi, 35% des personnes qui occupent ce type de poste ont moins de 30 ans. Une bonne partie d'entre eux sont des étudiants qui exercent des jobs à temps partiel et à durée limitée pour financer leurs études. Pour ces derniers, la pandémie a contribué à accélérer les phénomènes de paupérisation. En effet, beaucoup ont perdu leur petit boulot du jour au lendemain sans vraiment de perspectives claires. La fermeture prolongée des bars et restaurants peut être mal vécue pour une grande partie de ces étudiants. L'autre partie des effectifs concerne ceux qui sortent de leur formation initiale et se retrouvent sur un marché du travail complètement déprimé. L'insertion professionnelle pour les jeunes fraîchement diplômés risque de se transformer en parcours du combattant.
> Lire aussi : Emploi : les obstacles se multiplient sur le parcours d'insertion des jeunes
La situation préoccupante des seniors
À l'autre bout du spectre, les plus de 50 ans sont également concernés par ces formes d'emploi éclaté. S'ils sont moins nombreux en proportion que les jeunes, ils y restent plus longtemps. Le chômage de longue durée supérieur à un an est particulièrement élevé dans cette catégorie de la population. Beaucoup de personnes de plus de 50 ans peinent à retrouver un emploi stable à ce stade s'ils perdent leur boulot et sont parfois obligés de postuler à des temps partiels ou des petits jobs pour arrondir leur fin de mois.
Les femmes surreprésentées dans l'emploi dévalorisé et sous-payé
Du côté des femmes, la situation est guère favorable. Elles seraient surreprésentées (54%) dans les emplois éclatés durablement précaires. Ce poids important des femmes peut s'expliquer par une forte féminisation des emplois peu reconnus économiquement et souvent sous-payés. Elles occupent plus souvent des emplois plus instables et moins rémunérés que leurs homologues masculins.
Corrélation entre "flexibilité" du travail et destruction des droits
La multiplication des employeurs et des petits boulots a des répercussions néfastes sur les droits des travailleurs. Selon les calculs des chercheurs, le volume d'heures travaillées à l'année en médiane est bien inférieur à celui de l'ensemble des salariés (2.841 heures contre 3.579 heures). Outre la flexibilité du travail et les horaires décalés, ces travailleurs cumulent souvent moins de droits au chômage, à la formation que les autres salariés en emploi stable alors qu'ils en auraient le plus besoin.
Ainsi, si deux tiers (65% pour l'ensemble des salariés) d'entre eux souhaitent se former dans les cinq prochaines années, 35% des répondants déclarent ne pas être informés des possibilités de formation et 41% affirment ne pas pouvoir faire de demande de formation, contre 27% pour le reste des salariés. Si l'accès à la formation a connu de nombreuses réformes durant les dernières années, elles "n'ont pas encore pleinement porté leurs fruits", affirment les chercheurs. Avec la pandémie actuelle, l'émiettement du travail risque encore de s'amplifier.
> Lire aussi : Le "big bang" de Pénicaud sur la réforme de la formation professionnelle