Le discours était bien rôdé. Depuis des mois, le gouvernement prépare les Français à l'idée que l'heure est venue d'en finir avec l'argent magique, le « quoi qu'il en coûte », le bouclier tarifaire et les aides multiples pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages. C'était sans compter sur ces appels à l'aide formulés par les associations caritatives, les Restos du Cœur en tête, qui éclatent en pleine semaine de rentrée scolaire.
De plus en plus d'étudiants et de travailleurs précaires se tournent désormais vers l'aide alimentaire. Dans un contexte d'inflation persistante, les associations traversent ainsi une crise inédite. Elles alertent sur l'aggravation de la pauvreté en France, l'augmentation des difficultés des ménages français, et notamment la situation des familles, qui, faute de moyens, sautent des repas ou dorment à la rue.
Une mise en lumière
Dans ce contexte, le dernier baromètre annuel du Secours populaire, publié ce mercredi 6 septembre, fait l'effet d'une bombe. De fait, 43% des personnes interrogées se disent dans l'impossibilité de consommer des fruits et légumes tous les jours. Près d'un Français sur cinq vit à découvert. Pire, 35% des sondés déclarent ne plus faire trois repas par jour. Ils sont un tiers à se priver pour que leurs enfants mangent à leur faim.
Des difficultés que les associations et les syndicats dénoncent depuis plusieurs semaines, mais qui, ces derniers jours, ont pris une tournure plus politique. Dimanche, Patrice Douret, le dirigeant de l'association les Restos du Cœur, a lancé un véritable cri d'alarme au micro de TF1. Alors qu'elle assure 35% de l'aide alimentaire en France, l'association fondée par Coluche ne parvient plus à faire face financièrement. L'inflation persistant, les personnes qui viennent frapper à sa porte sont de plus en plus nombreuses. Au point qu'elle envisage de refuser près de 150.000 bénéficiaires cette année... Et de prévenir, sans un coup de pouce, les Restos du Cœur risque de mettre la clé sous la porte d'ici 3 ans.
Le gouvernement a, certes, répondu rapidement, allouant 15 millions d'euros. Mais cet appel a ouvert la porte à d'autres requêtes. Les autres associations, comme la Croix-Rouge, elles aussi en difficultés, ont également sollicité la générosité des Français.
Un casse-tête pour l'exécutif
Ce coup de projecteur sur la pauvreté en France intervient surtout alors que le gouvernement boucle son budget 2024. Bercy table sur 10 milliards d'euros d'économies. Pour ce faire, l'exécutif prévoit de réduire le remboursement des médicaments et de rogner les niches fiscales, notamment. Place aux économies, et non à la distribution d'aides ou de chèques. Alors que le prix des carburants augmente, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, a fermé la porte à l'idée d'une remise à la pompe. Un dispositif trop coûteux et pas écologique, selon lui.
Même son de cloche pour le bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité. Souhaitant maintenir sa trajectoire budgétaire, l'exécutif préfère privilégier les aides ciblées. Tout en tenant son credo : ne pas augmenter les impôts.
« Mais si cette question de la pauvreté s'installe trop dans le débat, ça va être difficile de tenir », redoute un ministre.
De facto, les oppositions monteront au créneau lors du débat du projet de loi de finances 2024 au Parlement, fin septembre. L'idée d'une taxe sur les superprofits promet de revenir en force.
Les entreprises à la rescousse
Sans trop le dire, l'exécutif se tourne désormais vers les entreprises pour qu'elles prennent le relais, et participent à la lutte contre la vie chère. Le géant TotalEnergies, par exemple, s'est engagé à ne pas vendre les carburants au-delà de 2 euros, dans ses 3.500 stations-services en France. Une initiative saluée par le gouvernement. Tout comme celles, plus ponctuelles, des opérations d'essence à prix coûtant, mises en place par des enseignes comme Leclerc, certains week-ends.
« Quand Bruno Le Maire fait pression sur la filière alimentaire pour qu'elle rogne ses marges et n'augmente pas les prix sur plus de 5.000 produits essentiels, cela revient à leur demander de prendre en charge une sorte de bouclier tarifaire sur l'alimentation », s'agace un représentant patronal. Et ce membre du comité exécutif du Medef d'analyser : « Ce n'est pas du chantage, mais ça y ressemble, car derrière, c'est : "si vous ne faites pas un geste, je vous applique une taxe !" »
De leur propre chef, de nombreux chefs d'entreprises ont toutefois répondu présents aux demandes de dons des associations cette semaine. La famille Arnault a notamment promis de verser 10 millions d'euros aux Restos du Cœur. La fondation du Crédit Mutuel Alliance Fédérale a annoncé qu'elle donnait 7,5 millions d'euros à la Croix-Rouge, et 5 millions aux Banques alimentaires.