Emmanuel Macron est donc apparu jeudi 24 février dans la journée aux alentours de 13h30 à la télévision suite à l'attaque russe contre l'Ukraine. Le regard préoccupé, le ton grave, le président français a déclaré : « À cet acte de guerre, nous répondrons sans faiblesse, avec sang froid, détermination et unité ». Et d'ajouter : « les sanctions portées à la Russie seront à la hauteur de l'agression dont elle se rend coupable sur le plan militaire, économique, autant que dans le domaine de l'énergie. Nous serons sans faiblesse (...) Ne cédons à rien de notre unité ». Le président français, qui doit annoncer dans les prochains jours sa candidature à la présidentielle (on évoque notamment un premier meeting à Marseille le 5 mars), en a donc appelé à « l'unité » de la nation face à la tragédie en cours en Ukraine.
Si ses partisans avaient commencé à critiquer les positions pro russes d'Éric Zemmour et de Marine Le Pen, tout en visant Jean-Luc Mélenchon et Valérie Pécresse (sommée de s'expliquer sur les collaborations de François Fillon avec différents groupes pétroliers russes), le chef de l'État a donc entonné une autre musique. Comme lors de la crise sanitaire du Covid-19, ce dernier pourrait bénéficier en termes de popularité de cette ambiance de guerre propice à « l'union nationale ». Et pourtant, ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour Emmanuel Macron. D'abord, tous les Français l'ont constaté : ses efforts diplomatiques, particulièrement mis en scène par ses communicants, ont finalement abouti à un revers magistral pour la France : rappelons que lundi matin, l'Elysée fanfaronnait sur la possibilité d'un sommet entre Vladimir Poutine et Joe Biden sous le haut patronage d'Emmanuel Macron avant d'être contredit vertement par le Kremlin. Et on connaît la suite de l'histoire...
Surtout, cette tragédie internationale va nécessairement bousculer l'agenda politique de la présidentielle française. Dès hier soir, la plupart des candidats sont intervenus à l'antenne de France 2 qui consacrait une émission spéciale aux événements en cours. Chacun a dû préciser ses positions internationales et démontrer sa capacité à emprunter le costume de chef de guerre. Exercice périlleux pour certains novices à la présidentielle. Jusqu'à présent, Emmanuel Macron comptait bénéficier de son image internationale (aux yeux des Français) pour marginaliser facilement ses concurrents. Or, la crise actuelle a montré également au grand jour ses faiblesses dans le domaine (et les faiblesses de la stratégie française à l'échelle internationale).
Pour entamer sa campagne, Emmanuel Macron aurait souhaité entonner le chant de la conquête face à un esprit du déclin représenté par Éric Zemmour. Avec la guerre en Ukraine, il est obligé de jouer en contre, en défense, à l'international. Lui qui aurait aimé se présenter comme le futur leader des États-Unis d'Europe est bien obligé de constater l'extrême faiblesse du consensus européen d'un point de vue stratégique. Bruxelles est d'ailleurs « en panique », selon plusieurs observateurs.
Sans l'OTAN et les États Unis, l'Union européenne apparait totalement impuissante. Avec l'OTAN et les États-Unis, l'Union européenne apparait soumise et ballotée dans un jeu qui la dépasse largement entre la Russie et les États-Unis. En Allemagne d'ailleurs, plusieurs responsables ont reconnu que face à l'offensive russe d'ampleur contre l'Ukraine (que peu d'Européens avaient anticipé), le pays était en situation de fragilité considérable sur un plan militaire. L'un des plus hauts gradés de l'armée allemande a été jusqu'à écrire sur un réseau social que les troupes de son pays étaient « à sec ». Conséquence du désengagement américain progressif du continent européen. Si la brutalité de l'attaque russe a surpris nombre d'observateurs, elle s'explique d'abord par la faiblesse européenne d'un point de vue stratégique.
L'Europe devient la périphérie du monde
À l'automne 2019, lorsqu'Emmanuel Macron avait dénoncé dans une interview à The Economist le fait que l'OTAN se trouvait « en état de mort cérébrale », il rajoutait ses phrases désormais lourdes de sens : « Je pense que l'Europe ne sera respectée que si elle-même a une réflexion en termes de souveraineté. » Ajoutant, sous la forme d'un conseil à ses partenaires européens : « vous devez ré-internaliser votre politique de voisinage, vous ne pouvez pas la laisser gérer par des tiers qui n'ont pas les mêmes intérêts que vous ». Car, on le voit depuis le début de la crise, Américains comme Russes utilisent finalement l'Europe comme leur terrain de jeu.
Dans la guerre froide historique opposant l'URSS et le « bloc occidental », l'Europe se retrouvait au coeur du choc. Aujourd'hui, c'est l'Asie qui se retrouve au centre du jeu, tant au niveau économique que d'un point de vue géopolitique, à travers la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, amène à une marginalisation de l'Europe. Dans ce contexte, les défenseurs du « bloc occidental » comme les tenants du « gaullo-mitterandisme », deux écoles du Quai d'Orsay, sont restés aveugles aux menaces croissantes qui visent le vieux continent. N'oublions pas que durant la guerre froide, les « conflits périphériques » se multipliaient en Asie ou en Afrique, et justement, l'Europe est bien en train de devenir la périphérie du monde...
La guerre en Ukraine le démontre amplement. En moins de quatre heures, les Russes, disposant d'une armée bien plus moderne qu'il y a quelques années, ont attaqué tous les systèmes des défense de l'Ukraine. Les défenses anti aériennes (souvent équipées par des armes américaines) ont rapidement été neutralisées par les nouvelles armes dont dispose la Russie (notamment les missiles hypersoniques). Dans le même temps, sur le front diplomatique, les Américains pourraient très bien « troquer » l'avenir de l'Ukraine vis-à-vis de la Russie pour sécuriser l'accord qu'ils sont en train de finaliser discrètement avec l'Iran.
Dans ces conditions, on se demande quelles pourraient être les réponses « militaires » qu'évoque Emmanuel Macron ce jeudi... Et face aux probables sanctions financières et économiques, de nombreux experts de cybersécurité et des sources de renseignement craignent désormais de possibles représailles russes de cyber guerre à l'encontre du système bancaire et financier européen et occidental.
En attendant, les troupes du président semble elles-mêmes désemparées par la situation. Chez « en Marche ! », on espérait ces derniers jours que le président puisse se mettre en avant comme président des États Unis d'Europe. À l'heure où l'UE est pris de panique, cette posture pourrait avoir du mal à faire son effet auprès de l'opinion. Par ailleurs, plus le temps passe, et moins le président va pouvoir dérouler son nouveau projet, lui qui voulait faire du travail, de l'éducation et de la santé ses principaux objectifs d'un éventuel second mandat. L'attaque de Poutine a donc déjà réussi en France à suspendre pour au moins un temps le débat démocratique. Une raison de plus d'être inquiet de la situation à venir dans les prochaines semaines.
Marc Endeweld.