Le retour du tragique dans l'histoire ! Emmanuel Macron n'a cessé depuis son entrée sur la scène politique d'évoquer ce risque : de mars 2020 avec la pandémie mondiale de Covid à février 2022 avec le retour de la guerre au cœur de l'Europe, le moins que l'on puisse dire est que la fin de son quinquennat donne raison à cette quasi-prédiction du président. A peine le monde commençait-il à espérer que l'arrivée du printemps sonne la fin de la crise sanitaire, ou offre au moins un répit jusqu'à l'automne prochain, que Vladimir Poutine fait ressurgir « les fantômes du passé », selon l'expression même du chef de l'Etat en ce premier jour de l'invasion de l'Ukraine.
Entre le 11 mars 2020, lorsque l'OMS déclare l'état de pandémie mondiale, et le 24 février 2022, lorsque Moscou commence à bombarder Kiev et plusieurs villes ukrainiennes, laquelle de ces dates fera l'histoire du 21ème siècle. A coup sûr, le Covid marquera durablement les esprits, avec ses 6 millions (probablement trois ou quatre fois plus en réalité) de morts, ces longs mois de quasi-hibernation d'un monde pris de court par cette très mauvaise grippe symbole de la fragilité de l'humain face à la nature.
Mais avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, on entre dans une autre dimension : Emmanuel Macron a parlé, à juste titre, d'un « tournant dans l'histoire de l'Europe », un de ces événements géopolitiques majeurs qui changent tout et qui aura « des conséquences directes et indirectes, profondes et durables, sur nos vies ». A commencer par un surcroît d'inflation sur les prix du pétrole, du gaz et du blé.
En mars 2020, Emmanuel Macron avait proclamé, d'un ton martial, cette phrase incroyable - « nous sommes en guerre » - pour annoncer un confinement total qui s'était achevé, sous sa forme stricte, le 11 mai. Guerre contre un virus invisible contre lequel l'humanité a réagi par le meilleur, la découverte en un temps record de plusieurs vaccins efficaces.
Face à l'invasion russe, Emmanuel Macron s'est bien gardé de répéter cette formule : de fait, l'Ukraine ne faisant pas partie de l'OTAN, l'Occident n'est pas « en guerre » contre la Russie. Mais l'horloge de l'apocalypse, comme on disait pendant la guerre froide, vient de se rapprocher dangereusement de minuit. En lançant les chars russes à travers la frontière de l'Ukraine, Poutine n'a pas hésité à menacer de dommages jamais connus dans l'histoire tous ceux qui s'opposeraient à lui. Comme entre puissances nucléaires, la guerre est impossible car impensable, la seule arme crédible dont dispose l'Occident est donc l'économie. Le problème, c'est qu'elle est à double tranchant. En voulant faire mal à Poutine, nous nous faisons mal à nous-mêmes, l'effondrement des marchés financiers en ce jeudi noir en a donné la mesure.
Menacer comme l'a fait le G7 la Russie de sanctions « dévastatrices » a en outre peu de chance de faire plier la détermination de Poutine. Les sanctions infligées depuis l'annexion de la Crimée en 2014 n'ont en rien dissuadé l'autocrate russe de mettre à exécution son plan géostratégique, celui d'une Russie impériale dont les frontières occidentales retrouveraient peu ou prou celles de Pierre le Grand. Jusqu'où ira l'invasion russe et comment l'arrêter ? Comment mettre fin à l'engrenage infernal d'une guerre que nous n'avons pas vu venir ? Le dosage des sanctions donnera le ton dès cette fin de semaine dans un scénario rendu imprévisible par le comportement erratique du président russe qui s'est visiblement joué de tous ceux qui ont cru à la carte de la diplomatie. Face à Poutine, seul compte le rapport de forces. Et pour l'heure, c'est une bataille que l'Europe a perdu. L'histoire retiendra que l'Occident et en particulier l'Union européenne a fait preuve de naïveté dans sa relation avec Poutine, dans un mélange de déni et de mépris pour une Russie devenue économiquement une puissance moyenne.
Erreur funeste dont nous allons maintenant payer le prix. On l'a vu avec la crise sanitaire, dans un monde interdépendant, ne pas se préoccuper de sa souveraineté est se mettre en danger. Impuissante face à l'agression de l'Ukraine, l'Europe révèle au grand jour son impréparation et son incapacité à affronter la possibilité d'une guerre en son cœur.
Alors que la Russie pourrait se tourner plus encore vers la Chine dont les besoins sont immenses, le piège se referme sur l'Europe et ce n'est pas un hasard si Poutine a déclenché son offensive en pleine flambée des prix de l'énergie. Il sait que le contexte lui est favorable. Et ce n'est peut être que le début de la naissance d'un nouvel ordre mondial. Si l'Occident laisse la Russie envahir l'Ukraine, pourquoi ne pas imaginer le même scénario pour la Chine et Taiwan, l'un des principaux fournisseurs mondiaux de composants électroniques. Qui a dit déjà que le "monde d'après" sera comme le monde d'avant, en pire...
Sujets les + commentés