Précarité alimentaire : « Aujourd'hui, réussir la collecte nationale est une urgence » (Laurence Champier, Fédération française des Banques alimentaires)

Dans un contexte d'inflation et d'augmentation de la précarité alimentaire, les Banques alimentaires lancent aujourd'hui, en présence de la ministre des Solidarités et des Familles Aurore Bergé, leur grande Collecte nationale annuelle, qui aura lieu du 24 au 26 novembre. L'opération est cruciale cette année, explique la directrice générale de la Fédération française des Banques alimentaires Laurence Champier: les capacités d'aide alimentaire du réseau en 2024 en dépendent.
Giulietta Gamberini
« La collecte nationale, que nous réalisons tous les ans en novembre, représente 10% de nos approvisionnements. En trois jours, elle permet de collecter entre 20 et 22 millions de repas, alors qu'en 2022 nous en avons distribué en France l'équivalent de 224 millions (500 millions d'euros en équivalent produits) », explique Laurence Champier.
« La collecte nationale, que nous réalisons tous les ans en novembre, représente 10% de nos approvisionnements. En trois jours, elle permet de collecter entre 20 et 22 millions de repas, alors qu'en 2022 nous en avons distribué en France l'équivalent de 224 millions (500 millions d'euros en équivalent produits) », explique Laurence Champier. (Crédits : Franck Beloncie)

LA TRIBUNE- Comment évolue la précarité alimentaire en France?

LAURENCE CHAMPIER- Depuis trois ans, nous constatons qu'elle augmente significativement. Le nombre de personnes nouvelles qui ont recours à l'aide alimentaire s'est accru de 34% depuis la crise du Covid. Nous constatons également un lien très fort entre les crises successives (sanitaire, économique, inflationniste, géopolitique) et la fragilisation des populations.

En outre, parmi les 17% des actifs qui recourent à l'aide alimentaire, plus de 60% sont en CDI, mais souvent à temps partiel et avec un revenu moyen inférieur à 1070 euros par mois: la précarité alimentaire touche donc de plus en plus des travailleurs pauvres.

Aujourd'hui, l'aide alimentaire est donc absolument essentielle en tant que vecteur d'inclusion sociale. Elle permet non seulement de distribuer des produits, mais aussi d'identifier les personnes en situation de précarité alimentaire, et de les accompagner en matière de logement, de retour à l'emploi, de parentalité etc. L'aide alimentaire est un outil multiforme au service des solidarités: c'est tout l'enjeu des Banques alimentaires.

Quel lien constatez-vous plus précisément entre la précarité alimentaire et l'inflation?

Nous étudions régulièrement le profil des gens qui viennent chez nous, et avons examiné plus spécifiquement l'impact de l'inflation. Il en ressort que, à cause de l'augmentation des prix, l'alimentation est devenue désormais le deuxième poste de dépense des ménages, après le logement. Elle est passée devant les factures d'eau et d'énergie, sur lesquelles en France l'effet de l'inflation a été contenu de manière temporaires grâce aux mesures gouvernementales. Entre 2020 et 2022, les dépenses alimentaires ont augmenté de 14%.

Alors qu'avant l'alimentation pouvait encore constituer une variable d'ajustement, via le choix de produits moins chers, désormais on ne peut même plus adopter une telle stratégie. On est tous obligé d'acheter à des prix qui ont extrêmement augmenté dans la grande distribution. Mathématiquement, plus de personnes font donc recours à l'aide alimentaire, car elles n'ont pas les moyens de faire face à cette dépense contrainte.

Les personnes en situation de précarité alimentaire interrogées pour nos études affirment, en outre, qu'elles n'arrivent plus à acheter dans les commerces des produits frais, de la viande et des fruits et légumes. Elles ne peuvent accéder à ces trois catégories de produits que via l'aide alimentaire. Elles disent aussi avoir quasiment arrêté toutes dépenses hors alimentation: les petits plaisirs du quotidien, y compris aller boire un café, ne sont plus possibles.

Et vous, comment êtes-vous frappé par l'inflation?

Comme d'autres réseaux associatifs, nous devons faire face à l'augmentation de la demande: l'année dernière nous avons accueilli plus de 200.000 personnes supplémentaires. Nous subissons aussi une augmentation de nos coûts de fonctionnement puisque, en tant que plateforme logistique de solidarité alimentaire, pour mener nos actions, nous avons besoin de camions, de chambres froides, d'entrepôts. L'augmentation liée aux hausses des prix de l'énergie, à elle seule, a été de plus de 16 millions d'euros l'année dernière, sur 45 millions de budget. La crise économique engendre enfin une baisse des dons en nature, de la part des producteurs agricoles et des entreprises agroalimentaires, qui sont eux mêmes en difficulté.

Mais, à la différence des Restos du cœur (qui ont lancé un cri d'alerte en septembre, ndlr), notre modèle est essentiellement fondé sur le don, même si nous complétons nos approvisionnements avec des achats. Il reste donc assez solide face à l'inflation. En plus, nous ne distribuons pas directement nos produits, mais nous nous appuyons sur des associations et des épiceries sociales, ce qui nous permet de répartir ce que nous recevons sur le territoire en fonction des besoins. Et nous fonctionnons grâce à 7.000 bénévoles.

Le gouvernement essaie de mettre les donateurs potentiels autour de la table pour vous aider.

Effectivement, une réunion organisée en septembre avec l'ensemble des acteurs concernés (filières, coopératives, grande distribution et associations) nous a permis d'exprimer nos besoins. Par exemple, nous avons évalué ceux en lait à 1 million de litres pour cette fin d'année, et à 3 millions de litres avant juin 2024. Un accord est en cours d'avancement avec une grande coopérative laitière pour qu'elle nous accompagne à la fois sur du don et sur de l'achat via nos fonds propres. Mais, pour l'instant, nous n'avons pas encore ce qu'il nous faut.

Une autre réunion a été organisée hier matin. Elle a montré que l'appel fait par les associations et relayé par le ministre de l'Agriculture à la rentrée a été entendu: les acteurs de la chaîne alimentaire se sont mobilisés. Leurs dons seront les bienvenus. Mais par rapport à ce que les Banques Alimentaires distribuent chaque année, cela représente un complément.

Quel peut être l'impact de la grande collecte nationale que vous allez effectuer la semaine prochaine?

La collecte nationale, que nous réalisons tous les ans en novembre, représente 10% de nos approvisionnements. En trois jours, elle permet de collecter entre 20 et 22 millions de repas, alors qu'en 2022 nous en avons distribué en France l'équivalent de 224 millions (500 millions d'euros en équivalent produits). Il s'agit de produits qui nous servent de "fonds de placard", pour compenser ce qui nous manque au quotidien: des fruits et légumes en conserve se substituant à des produits frais, des plats cuisinés ou des conserves de poissons remplaçant des protéines animales. Cela nous sert de variable d'ajustement, complémentaire de nos autres sources d'approvisionnement.

Aujourd'hui, réussir la collecte nationale est donc une urgence. Pour pouvoir accueillir de nombreuses nouvelles personnes, et leur fournir une aide alimentaire équivalente en quantité et qualité, nous avons en effet besoin de collecter plus de produits. Si on ne réussit pas la collecte cette année, dès le début de l'année prochaine, nous aurons des difficultés à maintenir un niveau d'aide équivalent. Nous serons obligés de fournir des quantités moins importantes aux organisations avec lesquelles nous travaillons.

Du 24 au 26 novembre, nous installerons donc plus de 9.000 points de collecte dans les magasins, avec des bénévoles en gilets orange chargés de recueillir les produits. Nous avons aussi lancé une plateforme de collecte en ligne (monpaniersolidaire. org) permettant de soutenir les Banques alimentaires via un don monétaire qui sera utilisé pour acheter des produits.

Si vos partenaires reçoivent moins, devront-ils refuser des bénéficiaires?

Ce n'est pas notre objectif. Mais chacun disposera ensuite de sa liberté associative. Ils pourront aussi tenter d'accroître d'autres sources d'approvisionnement.

Dans le contexte actuel, la capacité de s'adapter, d'être agile, d'inventer de nouveaux modèles est très importante. Pour notre part, d'ailleurs, nous avons demandé la mobilisation de crédits européens, qui pourraient atteindre 80 millions d'euros entre 2024 et 2027. Nous développons aussi de nouvelles coopérations avec des entreprises et le monde agricole. Par exemple, une coopérative céréalière a créé une chaîne du don des producteurs de blé jusqu'à la transformation en farine. Cela couvre aujourd'hui tous les besoins des Banques alimentaires du Grand-Est.

Les Français qui sont appelés à donner, pourtant, subissent eux aussi la hausse des prix, et se retrouvent dans des situations de plus en plus délicates...

Effectivement, donner une petite part de ses courses peut être aujourd'hui compliqué pour une partie de nos concitoyens. Mais la collecte nationale est désormais à sa quarantaine édition et, en quarante ans, les Français ont toujours été au rendez-vous, malgré leurs difficultés. Je suis sûre que la semaine prochaine, à la sortie des magasins, on aura des caddies remplis de dons.

Il n'y a d'ailleurs pas de petits dons: un pot de confiture, un paquet de café, une conserve de légumes, ce sont des actes concrets nous permettant d'assurer une aide alimentaire de qualité et diversifiée.

Y a-t-il des produits dont vous avez particulièrement besoin?

Oui. Aujourd'hui la précarité alimentaire frappe particulièrement les familles monoparentales, donc il nous faut des produits pour bébés. Mais on a besoin de tous les produits de consommation courante: de riz, de conserves, de plats cuisinés. Il faut aussi donner ce qu'on aurait plaisir à recevoir.

Que demandez-vous au pouvoir politique?

De continuer de soutenir les associations d'aide alimentaire par des subventions pérennes, nous permettant de disposer d'une certaine prévisibilité. Aujourd'hui, ces subventions répondent trop souvent à des urgences, ou ne sont pas assez ambitieuses. Pourtant, si l'Etat devait prendre en charge nos missions, il devrait investir chaque année 500 millions d'euros.

L'aide alimentaire n'est en outre qu'un outil au service de la lutte contre l'exclusion. Ce n'est pas la seule solution: il faut aussi des politiques ambitieuses complémentaires notamment autour de l'emploi et de la juste rémunération des travailleurs, à court comme à moyen terme.

Giulietta Gamberini
Commentaires 7
à écrit le 16/11/2023 à 21:31
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Quant on importe la misere il faut pas pleurnicher..ce pays va vers chaos

à écrit le 16/11/2023 à 14:38
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La pauvreté est exponentielle plus que la générosité Possible des français à qui il reste un peu de marge de manœuvre financière donc les caddies de collectes ne seront pas bien remplis cette année de pauvreté généralisée

à écrit le 16/11/2023 à 12:50
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Les fêtes de Noël pointent le bout du nez et comme chaque année, on ressort les décorations, boules, guirlandes, lumières, et au passage le carton de pauvres que l'on a caché derrière les dogmes le restant de l'année. Parlons alors de l'augmentation ...

le 16/11/2023 à 14:11
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Bravo Raymond bien dit sauf que vous avez oubliez les rachats d'actions !!! Je suis quand même très surpris de vous voir prendre le parti de "la populace" comme vous vous plaisez à qualifier les "sans dents " chers au président Hollande !!

le 16/11/2023 à 15:05
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@Idx. Oublié? Vous ne savez plus lire à présent ou en diagonal uniquement [...patrons et actionnaires sont toujours gagnants au grand jeu schizophrène de la spéculation boursière, du rachat d’action et du dividende en constante amélioration...] Un jo...

à écrit le 16/11/2023 à 10:32
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on espere que tous les gens qui parlent a longueur de temps de generosite et de solidarite, y compris ici, seront d'une generosite exemplaire, au lieu de ressortir leur celebre ' je n' en n'ai pas les moyens, moi, mais les riches - les autres, donc-...

à écrit le 16/11/2023 à 8:43
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Tiens une nouvelle institution européenne liée à la surveillance fiscale crée en 2021 sort déjà un rapport alarmant, les mégas riches ne paieraient que de 0 à 0.5% d'impôts en UE. Et c'est encore à nous que vous faites appel tandis que la crise écono...

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